Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 5 novembre 2013 à 11h00
Commission élargie : finances - affaires économiques - affaires étrangères - développement durable

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget :

Je remercie les parlementaires qui, dans leurs interventions, ont posé beaucoup de questions stratégiques et qui nous engagent dans le temps long du redressement de nos comptes. Par souci de méthode, je partirai des considérations plus générales, qui sont aussi les plus polémiques – je commencerai donc par répondre à M. Chrétien – pour en venir ensuite aux considérations les plus précises, qui sont aussi les plus techniques – je répondrai alors aux rapporteurs spéciaux.

Le fait qu'il puisse y avoir un décalage entre les objectifs que l'on s'assigne en tenant compte de la conjoncture économique et les résultats que l'on atteint ne signifie pas nécessairement que les déficits augmentent et dérapent. Je rappelle quelques éléments, afin que nous tombions tous d'accord sur les chiffres passés et sur la tendance.

En 2011, le déficit était de 5,3 %. Il s'est monté à 4,8 % en 2012. À cet égard, si nous n'avons pas atteint les 4,5 % prévus, c'est pour des raisons extrêmement précises qui ne sont pas imputables, en grande partie, à ce gouvernement. Je pense à l'obligation où nous nous sommes trouvés de procéder au financement en crédits de paiement du budget européen, liée à la décision, prise en novembre 2010 par un certain nombre de gouvernements conservateurs, de tarir la source du financement de ce budget. Au moment où les nouvelles perspectives budgétaires de l'Union européenne pour la période 2014-2020 ont été votées, le président du Parlement européen a d'ailleurs fait du comblement du déficit résultant de la décision en question une condition de leur adoption par le Parlement. Il y a eu également l'affaire Dexia. Si nous n'avions pas pris en loi de finances rectificative, après le rapport de la Cour des comptes, un certain nombre de dispositions pour procéder au redressement de nos comptes, le déficit aurait été de 5,3 % en 2012 également. En 2013, le déficit est de 4,1 %, ce que semble confirmer la Commission européenne dans ses prévisions de ce jour. Il sera, selon nos prévisions, de 3,6 % l'an prochain.

La Commission européenne évoque 3,7 % pour 2015, mais vous savez qu'elle raisonne à politique inchangée. Or nous avons bien l'intention de poursuivre notre stratégie d'économies. Si nous corrigeons dans ce sens la trajectoire budgétaire que la Commission a eu à examiner, nous atteindrons bien les objectifs que nous nous sommes assignés. Il n'est donc pas correct de faire peur avec les 3,7 % évoqués ce matin, puisque la Commission raisonne toujours à politique inchangée alors qu'on sait parfaitement que les gouvernements adaptent leur politique pour atteindre les objectifs qu'ils se sont assignés en matière de déficit. Partir donc de 5,3 % pour arriver l'an prochain à 3,6 %, sauf à ce que les règles de l'arithmétique aient complètement changé au cours des dernières semaines, cela s'appelle bien une diminution.

Je pourrais faire la même démonstration à propos des déficits sociaux. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités en 2011, le déficit du régime général et du FSV était de 20,8 milliards. Il s'élevait à 17,5 milliards en 2012. Il sera de 16,2 milliards en 2013 et nous nous proposons d'atteindre 12,8 milliards en 2014. Si nous maintenons cette tendance, les déficits des comptes sociaux seront de 4 milliards en 2017, ce qui signifie qu'ils auront été divisés par 5 en cinq ans, conformément à l'objectif que nous nous sommes assigné. Entre ce que vous indiquez et la réalité, monsieur Chrétien, il y a un décalage – celui-là même qui sépare la bonne foi de la mauvaise foi.

Monsieur le président Carrez, vous avez exprimé des préoccupations proches des nôtres, en posant des questions précises sur le solde primaire, l'évolution de la dette et de la charge de la dette, et les dispositifs de financement de la dette. En 2015, le solde primaire devrait être à l'équilibre ; pour être précis, nous prévoyons moins 0,1 point de PIB, après moins 2,6 points en 2011. En 2015, le solde stabilisant la dette sera de moins 3,1 points de PIB et le déficit public sera de moins 2,8 points de PIB. Le solde stabilisant la dette et le poids de la dette dans la richesse nationale seront donc en diminution. Nos objectifs demeurent inchangés.

S'agissant des détenteurs de la dette française, la répartition donnée par M. Chrétien est inexacte. Au 30 juin 2013, la part de la dette détenue par des non-résidents est de 63 %. Après avoir connu en 2010 un pic à 71 %, cette part a diminué, pour deux raisons : les investisseurs français se sont désengagés de la dette des pays de l'Europe du Sud pour se réorienter progressivement vers la dette française ; et la part des titres à court terme, particulièrement prisés des non-résidents, a baissé. Nous communiquerons à la commission des finances toutes les informations nécessaires, afin de pouvoir ensemble suivre de façon très attentive ces évolutions.

Monsieur le rapporteur Dominique Lefebvre, vous vous êtes interrogé sur l'évolution de la structure de la dette, l'évolution de la charge de la dette et la décomposition de cette dette. Les chiffres concernant le besoin de financement de l'État pour 2014 que vous avez donnés recoupent les nôtres : nous prévoyons que ce besoin atteindra 177 milliards d'euros, décomposés comme suit : 70,2 milliards couvriront le déficit à financer, duquel est déduite la dotation du programme d'investissements d'avenir – PIA – comme c'était le cas dans les précédents programmes ; 104,8 milliards, au titre de l'amortissement de la dette de l'État à moyen et long terme, à échéance 2014 ; 1,8 milliard enfin pour les autres besoins de trésorerie, qui tiennent compte principalement des décaissements relatifs au PIA.

Comme vous l'avez souligné, le besoin de financement de l'État demeurera en 2015 très contraint par le niveau des tombées. Celui-ci sera élevé, en raison de l'arrivée à échéance d'un volume important de titres à moyen terme émis en pleine crise financière. 53 milliards de titres émis en 2009 et 2010 seront ainsi à refinancer ; le montant des amortissements pourrait être de l'ordre de 125 milliards d'euros. Pour 2016 et 2017, l'estimation des amortissements est plus difficile car le programme d'émission de titres arrivant à échéance n'est pas encore achevé. Le niveau des tombées devrait cependant rester proche de celui de 2015.

Le PLF pour 2014 prévoit que la charge de la dette atteindra 46,7 milliards, conformément au chiffre indiqué par Pierre Moscovici et moi-même en commission des finances. Ce montant est proche de celui qui était prévu dans la loi de finances pour 2013 – 46,9 milliards –, révisé depuis à 45 milliards, compte tenu de l'effet « taux ».

A l'attention de M. Lefebvre et de M. Chrétien, qui s'est légitimement interrogé sur ce sujet, je précise que le scénario de taux sous-jacent à cette prévision est très prudent. Il repose sur l'hypothèse d'une remontée progressive de l'inflation et des taux d'intérêt des titres d'État plus rapide que celle prévue par le consensus des économistes. Dans ce scénario, fin 2014, le taux à dix ans atteindrait 3,5 %, et le taux à trois mois 0,5 %.

Sur la période 2015-2017, la trajectoire pluriannuelle présentée dans le rapport économique, social et financier associé au PLF repose aussi sur une remontée progressive des taux d'intérêt. Néanmoins, le calcul de la charge de la dette de l'État n'a pas été revu en détail pour l'ensemble de la période et le sera seulement dans le prochain programme de stabilité de la France, début 2014.

S'agissant du PIA, je souhaite préciser que sur les 12 milliards annoncés par le Premier ministre le 9 juillet, seul 1,7 milliard affectera les émissions de dette, les décaissements étant progressifs : ils sont effectués à mesure que les opérations sont prêtes.

Monsieur Alauzet, vous m'avez interrogé sur de nombreux points, à commencer par le remboursement des contentieux fiscaux européens. S'il faut, une fois que les contentieux sont ouverts, se battre avant que de capituler, comme l'a rappelé M. Carrez tout à l'heure, il est prudent aussi de ne pas ouvrir de nouveaux contentieux, susceptibles d'être aussi coûteux pour notre pays que les précédents, et de nous abstenir de présenter des dispositions en loi de finances ou en loi de finances rectificative qui pourraient en être à l'origine. Nous n'avons aucun intérêt à ne pas nous battre pour le stock, mais aucune raison d'alimenter le flux !

Les remboursements de contentieux européens sont pris, vous le savez, sur la mission « remboursements et dégrèvements » au sein du programme 200. Il est important de savoir à quel point ces contentieux grèvent nos finances publiques : leur coût estimé est de 2,8 milliards en 2014, après 1,1 milliard en 2013. En 2013, nous devrions décaisser 2 milliards au titre du contentieux OPCVM, sur un coût global de 5 milliards. Le contentieux précompte devrait nous coûter 800 millions d'euros, sur un coût total de 2 milliards. Afin que le Parlement puisse exercer ses prérogatives de contrôle, nous sommes très vigilants sur la nécessité de l'informer sur l'évolution de ces contentieux, ce qui n'a pas été forcément le cas, je le dis sans esprit polémique, sous le précédent gouvernement.

Vous souhaitez que la dépense fiscale sectorielle en matière de TICPE puisse être évaluée, ce qui permettrait de mieux mesurer ses impacts socio-économiques. Nous pourrons le faire devant la commission des finances, lieu privilégié de communication de ces informations, tout comme devant le comité pour la fiscalité écologique, qui trouvera là un élément d'aide à la décision et à l'orientation de ses réflexions.

L'exonération de taxe sur le kérosène pour les vols internationaux – un sujet qui vous tient particulièrement à coeur, monsieur Alauzet – est une obligation internationale. Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'une dépense fiscale. Le coût de la non-exonération pour les vols métropolitains serait de l'ordre de 300 millions d'euros, avec des conséquences qui pourraient être sérieuses pour un certain nombre de compagnies.

S'agissant de l'architecture globale de la mission et de ses possibles évolutions, vous avez suggéré d'inscrire les remboursements et les dégrèvements d'impôts en moindres recettes. Cela pourrait avoir un sens, mais, comme vous le savez, la LOLF ne nous le permet pas. Ils sont néanmoins inscrits comme tels dans l'article d'équilibre. Par ailleurs, nos systèmes d'information ne nous permettent pas d'accéder à vos propositions sur la refonte du programme 201, même si j'en saisis toute la pertinence.

Vous m'avez interrogé également sur les derniers effets du bouclier fiscal. Le coût des remboursements au titre de cette mesure est de 180 millions en 2013 ; il devrait être nul en 2014.

Monsieur le rapporteur Alexis Bachelay, vous m'avez questionné sur la politique industrielle et sur la stratégie de participation de l'État, soulignant avec justesse que l'État actionnaire était l'un des leviers de notre stratégie de développement économique. M. Moscovici et M. Montebourg ont exposé la doctrine du Gouvernement en la matière et insisté sur le fait que l'État devait gérer de façon très dynamique son portefeuille de participations. Pour cela, comme vous l'avez souligné, chaque euro investi doit être aussi utile que possible et la participation de l'État au capital des entreprises doit être adaptée aux objectifs que nous poursuivons. La compétitivité de notre économie n'est pas seulement affaire de diminution du coût du travail, même si nous avons pris des mesures en ce sens. Il faut savoir réinvestir dans les secteurs les plus porteurs, en matière d'innovation, de transferts de technologie, pour assurer la montée en gamme de nos produits et redresser notre appareil productif.

L'État actionnaire a illustré cette volonté dans le cadre des cessions de titres, qui ont rapporté cette année 2 milliards d'euros de ressources, dont 1,6 milliard pour le compte spécial participations.

Cette année, les ressources de ce fonds d'affectation nous ont permis de financer une dotation en fonds propres de la BPI à hauteur de 380 millions d'euros, sachant que l'État s'est engagé à poursuivre ces versements – 1,15 milliard reste à verser d'ici 2018 – afin de renforcer les capacités d'intervention de la BPI, dans la mesure où celle-ci peut contribuer à réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés tels que le confortement des filières, l'innovation ou encore les transferts de technologies.

Il revient naturellement à l'État d'articuler ces différents outils d'intervention, puisqu'il a la main sur l'Agence des participations de l'État, qu'il est coactionnaire de la BPI avec la Caisse des dépôts et consignations, et qu'il pilote le programme d'investissements d'avenir.

En matière d'investissement, précisément, la BPI a d'ores et déjà formulé une doctrine, examinée par son conseil national d'orientation, approuvée par son conseil d'administration et récemment présentée devant l'Assemblée, doctrine qui est complémentaire de l'intervention de l'État. La BPI privilégie les interventions minoritaires associées à des objectifs tels que le soutien à l'innovation, l'accompagnement à la consolidation d'un secteur et la stabilisation de l'actionnariat. Sa stratégie repose sur des détentions moins longues que celles de l'État.

Quant à l'État actionnaire, le ministre de l'économie et des finances et le ministre du redressement productif ont annoncé en août dernier les grands principes de sa doctrine, qui s'inscrit dans un horizon de détention de long terme et dans les secteurs les plus stratégiques, puisqu'ils sont liés à des enjeux technologiques essentiels, qu'il s'agisse de la défense, de l'énergie nucléaire, des grands services publics ou encore des grandes infrastructures d'importance et d'intérêt nationaux. Un comité stratégique consultatif sera créé dans les prochaines semaines pour éclairer les ministres quant à la stratégie à adopter en matière de gestion des participations et pour adapter la doctrine à l'évolution du paysage économique et industriel. Selon l'ordre du jour de ses réunions, il pourra associer les représentants de la BPI et du Commissariat général à l'investissement, afin de renforcer l'articulation entre les différents éléments du dispositif – répondant ainsi à votre préoccupation, monsieur le député.

J'en viens à votre deuxième question relative aux grandes orientations de la politique industrielle, par-delà les outils que mobilise le Gouvernement. Chaque entreprise dont l'État est actionnaire participe par ses propres actions à la politique industrielle nationale. Plus largement, l'État actionnaire s'attache aujourd'hui à promouvoir une stratégie industrielle globale qui permet d'anticiper sur un certain nombre d'enjeux stratégiques des entreprises et de mener une réflexion sectorielle au sein des filières.

J'en rappelle les principaux piliers. Dans le secteur de la défense, tout d'abord, nous devons réfléchir aux implications des contraintes budgétaires sur les dépenses d'armement, et anticiper la reconfiguration d'une industrie européenne encore très fragmentée. Ce point est très important, car il renvoie à des préoccupations budgétaires dans un secteur tout à fait stratégique non seulement pour des raisons de sécurité et de souveraineté nationales, mais aussi pour des raisons industrielles. En effet, si nous voulons pouvoir financer dans de bonnes conditions les opérations et les équipements qui les rendent possibles, la maîtrise budgétaire est indispensable.

Ensuite, le secteur de l'énergie doit s'inscrire dans la perspective de la transition énergétique. Ce chantier important pourra demain trouver des déclinaisons européennes : l'Allemagne, par exemple, est engagée dans une transition énergétique à long terme. Nous pourrions tout à fait articuler certaines de nos initiatives avec elle afin de donner un sens à l'action de l'Union européenne. C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'a été créé en février dernier l'Office franco-allemand pour les énergies renouvelables. S'agissant de l'approvisionnement, il convient également de répertorier les ressources minières et les matières premières les plus stratégiques et d'orienter le positionnement de certaines de nos entreprises dans leur filière.

Enfin, l'État actionnaire doit veiller à favoriser systématiquement les partenariats les plus stratégiques pour mieux réaliser nos ambitions et mettre en valeur nos atouts. Je pense notamment à la réorganisation de l'actionnariat d'EADS, à notre volonté d'engager DCNS dans la diversification de ses activités industrielles autour des énergies marines renouvelables, ou encore aux rapprochements industriels engagés entre Nexter et Giat Industries.

Les opérations de reclassement des titres d'Areva au sein de la sphère publique visent à financer une partie du démantèlement des installations nucléaires du CEA, en complément des subventions budgétaires qui y sont consacrées. Vous avez raison, monsieur Bachelay, de souligner qu'une réflexion plus large mérite d'être engagée sur le mode de financement des charges de démantèlement, lesquelles s'étaleront sur plusieurs décennies. A cet égard, la Direction du budget et l'APE ont entrepris une réflexion commune.

S'agissant des banques multilatérales de développement, je rappelle que le montant total des dépenses qui leur sont consacrées pour la période 2011-2024 s'élève à 328 millions d'euros, à raison d'un montant annuel de 56 millions d'euros environ pour la période 2011-2015, puis de 15 millions entre 2016 et 2018. L'imputation budgétaire de ces dépenses sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » est bien conforme à l'objet patrimonial de ce CAS lorsqu'il s'agit d'augmentation de capital. En effet, les augmentations de capital des banques multilatérales de développement se traduisent pour l'État par la souscription d'un actif financier en contrepartie du versement de capital et, de surcroît, ces actifs entraînent des retombées financières – augmentation des actifs de la banque lorsqu'elle est rentable, voire du capital lui-même en cas d'incorporation des réserves.

Telles sont les réponses que je souhaitais vous apporter, mesdames et messieurs les députés, tout en me tenant à votre disposition dans les jours et les semaines qui viennent pour répondre à toute autre question.

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