Les financements alloués à la culture constituent des investissements fondamentaux d'une société, au même titre que ceux consacrés à l'éducation, à l'enseignement supérieur ou à la recherche. Cette approche avait conduit au doublement du budget de la culture au début des années 1980, et à son augmentation sous tous les gouvernements de gauche précédents. Après que j'ai plaidé depuis deux ans pour que le budget de la culture soit sanctuarisé comme l'ont été ceux de l'éducation et de la recherche, je me réjouis que les crédits du ministère soient globalement stabilisés dans le projet de budget pour 2015 et dans la programmation triennale.
Cette stabilisation globale concerne les crédits du programme « Création » si l'on tient compte de l'achèvement de la construction de la Philharmonie de Paris et des crédits consacrés à l'éducation artistique, en espérant que, comme l'année précédente, une part significative de la réserve parlementaire continuera à les abonder.
Les activités culturelles représentent près de 700 000 emplois et 3,2 % de la valeur ajoutée totale de notre pays, soit sept fois la valeur ajoutée de l'automobile, quatre fois celle de la chimie, et la somme de celles dégagées par l'agriculture et les industries alimentaires. La culture est un facteur déterminant de l'attractivité des grandes métropoles, et certains grands projets culturels ont même été des facteurs décisifs du renouvellement urbain. Je pense par exemple au musée Guggenheim de Bilbao ou au Louvre-Lens. Tous les grands projets culturels provoquent de forts effets induits sur l'activité économique, comme l'illustrent de nombreuses études d'impact. Les retombées économiques évidentes des grands investissements du passé font d'ailleurs aujourd'hui la renommée de notre pays. Ces leçons ont bien été comprises par toutes les grandes métropoles européennes qui, sans exception, consacrent une part importante de leur budget à la culture.
En matière culturelle, l'Etat doit continuer de jouer son rôle, qui est essentiel. Il doit initier et soutenir le lancement de grands projets culturels et ne pas se contenter dans ce domaine d'une étroite vision budgétaire et comptable. Le vice-président de la commission des finances que je suis peut s'autoriser cette remarque.
Renoncer au nom de l'austérité budgétaire à de grands investissements culturels n'est pas plus justifié dans la crise que renoncer à de grands investissements technologiques. C'est pourquoi je salue en particulier l'achèvement du beau projet de la Philharmonie de Paris dont le coût – 381 millions d'euros – est à mettre en regard de celui de la construction de la Philharmonie de Hambourg – 789 millions – ou de la rénovation du Staatsoper de Berlin – 289 millions. Madame la ministre, sur le plan financier, qu'en est-il aujourd'hui de la parité entre l'État et la ville de Paris qui constituait l'un des fondements du projet ?
Je rappelle que, grâce à l'action publique, nous avons conservé un réseau de libraires. Grâce à elle aussi, la vitalité du cinéma français se maintient alors que le cinéma européen s'est effondré, et notre territoire continue d'attirer les créateurs et les touristes du monde entier dans des proportions qui sont sans commune mesure avec la réalité de notre puissance économique.
L'intervention publique est d'autant plus nécessaire qu'une partie importante des dépenses culturelles, notamment celles qui concernent le spectacle vivant, sont soumises à ce que les économistes appellent la « loi de Baumol ». L'interprétation de La Flûte enchantée demande à peu près aujourd'hui la même quantité de travail qu'à l'époque de Mozart, alors même que l'on produit vingt fois plus de biens aujourd'hui en une heure de travail qu'au début de la révolution industrielle et que les salaires ont augmenté dans les mêmes proportions. En d'autres termes, ce secteur est confronté par nature à des coûts croissants, de sorte que sa préservation ne peut être assurée que grâce à un financement public important et même croissant.
Ce soutien au spectacle vivant passe aussi par ce qui constitue l'un des acquis fondamentaux de l'exception culturelle française : le régime de l'intermittence. Ce régime ne devrait pas être considéré comme une simple assurance chômage, mais comme une contribution indirecte à la création culturelle dans un domaine caractérisé par une précarité inhérente à la création. En outre, les artistes, comme les scientifiques ont non seulement une mission de création mais aussi une mission d'éducation qui devrait être mieux reconnue par le régime des intermittents. Au moment où nous relançons à juste titre l'éducation artistique à l'école, il me paraît important que le volume d'heures d'enseignement pouvant être assimilées à des heures travaillées au titre de l'annexe 10 du régime général d'assurance chômage soit augmenté, comme le suggérait en avril 2013 l'excellent rapport de la mission d'information commune de l'Assemblée sur les conditions d'emploi dans les métiers artistiques, présidée par Christian Kert, et dont le rapporteur était Jean Patrick Gille.
Madame la ministre, le grand projet de loi que vous nous présenterez l'année prochaine a vocation à rassembler dans un seul texte la préservation du passé et du futur. Intégrera-t-il tous les secteurs culturels ?
Jack Lang disait en 1982 : « Il n'y aura de renaissance économique que si chacun de nos pays croit en l'avenir, est prêt à investir dans l'intelligence et l'imagination, croyant d'abord en lui-même avant de se soumettre à la fatalité de prétendues lois internationales. » Trente ans plus tard, ce discours est toujours d'actualité.