Intervention de Didier Migaud

Réunion du 2 décembre 2015 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier, président de la Cour des comptes :

Merci, monsieur le président, pour ces propos introductifs, qui me facilitent la tâche au moment de délivrer les messages que la Cour des comptes souhaite faire passer.

Je suis heureux de vous présenter ce nouveau rapport public thématique, consacré au programme d'investissements d'avenir, qui trouve son origine dans le rapport Investir pour l'avenir qu'avait rendu au mois de novembre 2009 la commission présidée par MM. Juppé et Rocard, que le Président de la République avait chargée de définir les priorités d'investissement propres à « préparer l'avenir de la France ». Présenté comme un programme exceptionnel d'investissements de long terme pour la recherche et l'innovation, son montant de 35 milliards d'euros correspondait à celui proposé par cette commission. Sa gestion budgétaire et financière visait à préserver le montant de ses crédits des régulations et des aléas des lois de finances annuelles ; à cette fin, elle s'éloignait du droit commun, et la gouvernance du programme s'appuyait sur un service créé spécifiquement et placé auprès du Premier ministre, le commissariat général à l'investissement (CGI).

La Cour a déjà procédé à un premier examen du PIA dans son rapport public thématique du mois de juin 2013 sur le financement de la recherche. Cinq ans après le lancement du premier PIA, elle a souhaité procéder à une enquête sur l'ensemble du PIA. Si le présent rapport ne constitue pas une évaluation des résultats du programme – il est trop tôt pour en juger –, il dresse un premier bilan de sa mise en oeuvre.

La Cour a trois messages à vous communiquer. Premièrement, alors que le PIA a été conçu comme un programme très ambitieux et innovant dans son contenu et ses modalités, ses originalités ont tendance à s'estomper – c'est un peu ce que vous disiez, monsieur le président. Deuxièmement, l'approche de procédure budgétaire retenue pour sanctuariser les crédits du PIA n'a pas atteint complètement cet objectif. Elle a, par ailleurs, eu des conséquences contestables. Troisièmement, le PIA est régi par une gouvernance originale, qui a singulièrement affaibli le rôle des ministères. Les méthodes sur lesquelles il s'appuie peuvent être améliorées et simplifiées, même si certaines d'entre elles méritent sans doute d'être reprises plus largement.

Le premier message de la Cour porte sur la très grande ambition et le caractère innovant du programme d'investissements d'avenir, dans sa conception, et sur ses caractéristiques originales, qui comme je l'ai dit, tendent à s'estomper.

Tout d'abord, le PIA a été conçu comme un programme très ambitieux et innovant dans son contenu et ses modalités. Le rapport de la commission Juppé-Rocard préconisait « un nouveau modèle de développement, plus durable » reposant sur l'innovation et la connaissance, appliquées prioritairement à l'« économie verte ».

Trois axes d'investissements transversaux et deux thématiques sectorielles ont été privilégiés. Le premier axe est le financement de projets d'excellence, portés par des organismes du secteur de la recherche et de l'enseignement supérieur. La valorisation des résultats de la recherche et la promotion d'une recherche orientée vers le développement industriel constituent le deuxième axe d'investissement. Les pouvoirs publics ont ainsi entrepris de soutenir la recherche partenariale public-privé au sein des PME, la valorisation des innovations et le transfert de technologies de la recherche publique vers les entreprises. Le troisième axe transversal correspond au soutien aux entreprises innovantes, notamment aux PME industrielles. Les deux grands thèmes retenus pour le PIA sont, d'une part, la protection de l'environnement, avec environ 4 milliards d'euros consacrés aux biotechnologies, aux écotechnologies, à l'énergie, à la ville de demain et au véhicule du futur, et, d'autre part, le numérique, avec près de 4,5 milliards d'euros consacrés aux réseaux à très haut débit et aux usages innovants.

Le montant du premier PIA était conforme aux préconisations du rapport de 2009. Le PIA 2, pour sa part, a été lancé bien rapidement, sans attendre l'évaluation des résultats du PIA 1, et repose sur une vision stratégique moins structurée. Bien que doté d'un volume financier trois fois moins important, il est articulé autour de huit priorités – dont certaines n'ont pas de lien avec les lignes tracées dans le rapport 2009. Dans l'hypothèse d'un PIA 3, un retour à une vision stratégique unifiée et renouvelée est sûrement souhaitable.

La Cour s'est ensuite intéressée aux effets du PIA. Elle a tout d'abord constaté que les opérations ont été contractualisées plus lentement que prévu, et que les dépenses n'ont pas été exécutées aussi rapidement qu'espéré. Cela découle de l'importance des volumes financiers concernés, mais aussi de la lourdeur de certaines procédures et de difficultés rencontrées dans la négociation des contrats. Par ailleurs, plusieurs actions n'ont pas rencontré le succès espéré ; c'est le cas de filières thématiques telles que les éco-industries et le numérique, dont moins de 30 % des montants prévus étaient contractualisés à la fin de l'année 2014. Au total, à cette date, 75 % des crédits du premier PIA étaient contractualisés et un peu moins de 40 % décaissés.

Des premiers effets sont cependant visibles sur les trois axes transversaux d'investissements, grâce notamment à la mobilisation des acteurs académiques et économiques. Ainsi, huit initiatives d'excellences ou IDEX, 171 laboratoires d'excellence ou LABEX, et 93 équipements d'excellence ou ÉQUIPEX ont été lancés, pour un montant total de près de 10 milliards d'euros. En matière de valorisation de la recherche, France Brevets et quatorze sociétés d'accélération du transfert de technologies ont été créées, pour un montant total de 950 millions d'euros. Des fonds d'amorçage, de capital-risque, de refinancement dans le cadre d'OSEO, ainsi que divers dispositifs comme les prêts verts ou le programme de soutien aux innovations de rupture, ont été financés.

Il est néanmoins trop tôt pour mesurer précisément les effets du PIA sur l'économie, ainsi que la pertinence des projets choisis. La Cour aura l'occasion d'y revenir.

J'en viens aux spécificités du PIA, dans sa conception et ses modalités de mise en oeuvre.

Le rapport de 2009, s'appuyant sur le constat d'un recul de la part de l'investissement dans les dépenses publiques avec la crise, a préconisé un « investissement ciblé et exceptionnel ». Son caractère exceptionnel devait se traduire dans sa temporalité et dans son montant. Finalement, le caractère exceptionnel du programme est tout relatif et tend à s'estomper davantage encore. D'une part, l'effort consenti en faveur du PIA n'avait pas vocation à être répété dans le temps. Or, un PIA 2 a été lancé en 2014, et un PIA 3 est annoncé dans les mois à venir. D'autre part, les moyens effectivement disponibles sont inférieurs aux montants évoqués par la communication gouvernementale. Annoncé à 35 milliards d'euros, le PIA 1 ne s'appuie que sur 24 milliards d'euros directement mobilisables. Il en va de même pour le PIA 2 : 12 milliards d'euros affichés et 10 milliards d'euros consommables. La différence résulte de l'existence de dotations non consommables, qui sont placées, et dont seuls les intérêts sont utilisables par les destinataires de ces fonds.

Par ailleurs, la Cour ne constate pas d'augmentation de l'effort d'investissement de l'État depuis 2010, PIA inclus. La part des investissements dans les dépenses de l'État est au même niveau en 2014 qu'en 2000, autour de 8 %, après avoir atteint 10 % en 2008 et 2010, avec le plan de relance. En euros constants, en 2014, le montant des dépenses d'investissement de l'État et de ses opérateurs a été inférieur de près de 20 % à celui du plan de relance de 2008-2009 et a retrouvé un niveau similaire à celui de 2001-2002. Certes, ces chiffrages ne tiennent pas compte des prêts et des prises de participation, que la comptabilité nationale intègre non pas dans les investissements publics mais dans les opérations financières. Ils ne tiennent évidemment pas compte non plus des dotations non consommables. Ils permettent toutefois de constater que le PIA semble avoir essentiellement deux effets : d'un côté, une gestion plus centralisée des investissements de l'État ; de l'autre, le maintien de leur niveau à un ordre de grandeur comparable à la situation antérieure.

Dans son rapport, la Cour formule des propositions d'évolution des informations sur le PIA, donc de la communication sur ce programme. Sa complexité et son originalité justifient que les informations utilisées pour le décrire et pour présenter ses résultats soient plus précises et plus transparentes, sur quatre points. Premièrement, il faudrait faire mieux apparaître les montants réellement disponibles pour financer les projets, en distinguant les dotations non consommables des intérêts qu'elles produisent. Deuxièmement, il faudrait insister sur les montants contractualisés, plus représentatifs de l'avancement réel du programme. Troisièmement, il faudrait utiliser les notions de cofinancement et d'effet de levier conformément à leur définition financière habituelle et, en particulier, ne pas comptabiliser les prêts garantis par le PIA comme des cofinancements – ces prêts représentent 40 % des 20 milliards d'euros de cofinancements privés identifiés pour le PIA. Quatrièmement, il faudrait ne pas comptabiliser les remboursements de prêts au titre des retours sur investissements. En effet, les remboursements ne font que compenser la mise initiale, alors que les retours sur investissements représentent une création de richesse pour l'État.

J'en viens au deuxième message de la Cour : les particularités budgétaires du PIA n'ont pas permis de « sanctuariser » les crédits du programme autant que prévu. Ces particularités présentent même des conséquences contestables.

La gestion budgétaire des crédits des PIA est organisée en deux temps. L'année du lancement du PIA – 2010 pour le PIA 1 et 2014 pour le PIA 2 –, les crédits sont ouverts dans le budget de l'État, sur des programmes budgétaires spécifiques. Ces crédits sont versés à une douzaine d'opérateurs, qui les placent immédiatement sur un compte au Trésor. Pendant les années suivantes, ces opérateurs sont mandatés par le CGI pour organiser la sélection des projets, contractualiser avec les bénéficiaires finaux, verser les crédits, suivre les projets. Cette gestion budgétaire et financière, spécifique au PIA, conduit à contourner les règles de l'annualité budgétaire – ce qui n'est pas surprenant puisque c'était l'un des objectifs affichés. Elle a pour objectif d'éviter le risque de sacrifier le long terme au court terme au cours des dix années de mise en oeuvre du programme. En termes budgétaires, cette pratique prévient le recours à la technique du report des crédits, qui n'est pas automatique d'une année sur l'autre ; d'autre part, le transfert des crédits aux opérateurs les fait échapper à la régulation budgétaire. Dès le départ, la préservation des crédits du PIA constituait en effet une préoccupation majeure.

Le principe d'additionnalité des crédits du PIA par rapport aux dotations habituelles des ministères était présenté comme essentiel à la réussite du programme. Il devait garantir le caractère particulier et supplémentaire de l'effort d'investissement. Dans la réalité, il n'a pas toujours été respecté. Ainsi, le premier PIA a servi à financer des projets lancés avant sa création, mais dont le financement n'était pas assuré, comme les réacteurs ASTRID – Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration – et Jules-Horowitz. Il s'est parfois substitué à des financements préexistants, comme le « fonds chaleur » de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Il a également été utilisé pour financer des opérations dont la nature ou la finalité ne relèvent pas du PIA ; citons les infrastructures de l'appel à projets « transports en commun en site propre ». Enfin, il n'est pas rare que les pouvoirs publics substituent des dotations budgétaires habituelles et déjà prévues aux investissements annoncés.

La gestion extrabudgétaire du PIA, à travers le transfert systématique des crédits à des opérateurs a deux autres grands types de conséquences contestables. Elle prive tout d'abord le Parlement d'une partie de son pouvoir de décision sur des montants de dépenses publiques très importants – même si son information fait l'objet de dispositifs particuliers, notamment le comité de surveillance, qui comprend des parlementaires, dont quatre membres de votre commission. Ainsi, alors que, depuis 2010, l'utilisation des crédits du PIA1 a été sensiblement modifiée, par des redéploiements à hauteur de 6,2 milliards d'euros, les parlementaires ne se sont exprimés que sur 28 % de ceux-ci. Elle conduit ensuite à exclure de la norme de dépenses les opérations du PIA, en transférant globalement les crédits à des opérateurs en une seule fois ; ces dépenses sont des dépenses qui ne sont pas des dépenses. Ces opérations sont ainsi regardées comme exceptionnelles et ne sont pas comptabilisées dans la base de calcul de la norme, pendant l'année du lancement du programme. Au cours des exercices suivants, les décaissements des dotations consommables au profit des bénéficiaires du PIA ne sont pas non plus comptabilisés dans la norme de dépenses, puisque ce sont les opérateurs, et non l'État, qui les réalisent. Le PIA a dès lors permis, en sortant de la norme une partie des investissements de l'État, d'assouplir la contrainte budgétaire et d'en réduire significativement la portée.

Les dérives se sont très nettement accrues avec le PIA 2 et ses redéploiements, avec le financement d'actions qui ne correspondent pas aux objectifs du PIA. C'est le cas notamment des crédits affectés par la loi de finances initiale de 2014 au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour un montant de 1,7 milliard d'euros, dans le cadre de ses activités pour le ministère de la défense : ces crédits ne financent pas de nouveaux projets mais compensent l'insuffisance des recettes exceptionnelles qui, aux termes de la loi de programmation militaire 2014-2019, devaient alimenter le budget de la défense.

Compte tenu de l'ensemble de ces dérives, la Cour réitère la recommandation, déjà formulée dans son rapport sur le budget de l'État du mois de juin dernier, d'un retour au droit commun, notamment par l'intégration des décaissements du PIA dans la norme de dépenses.

Après s'être penchée sur l'impact budgétaire du PIA, la Cour a analysé ses conséquences sur la dette et le déficit publics. À l'origine, le lancement d'un « grand emprunt » était censé financer les propositions du rapport Investir pour l'avenir. En réalité, il n'y a pas eu d'emprunt spécifique pour financer le PIA, ni en 2010 ni en 2014. Ce choix est d'ailleurs heureux, puisqu'un emprunt massif pour des dépenses différées et, pour une part importante, à un horizon lointain, aurait sûrement été de mauvaise gestion.

Par ailleurs, plusieurs modalités visent à alléger l'impact du PIA sur la dette et le déficit publics. La répartition initiale des crédits du PIA1 et du PIA2 accorde une large place aux prêts et aux prises de participations. Ces modes de financement représentent 29 % de l'enveloppe disponible pour financer les projets – dotations consommables et intérêts des dotations non consommables. Or, ils ne sont pas pris en compte pour déterminer si le déficit public dépasse ou non le seuil des 3 % du PIB prévus par les traités européens. De ce fait, alors que les deux PIA ont, quand on fait le total des dotations consommables et des intérêts des dotations non consommables, un impact de 34 milliards d'euros sur la dette publique, ils ne pèsent que pour 24 milliards d'euros sur le déficit public.

Les prêts et prises de participation n'ont pas seulement pour objectif de limiter l'impact sur les comptes publics. Ils visent aussi à augmenter les retours financiers à moyen et long termes pour l'État, retours qui auront vocation à diminuer l'impact global du PIA sur le déficit public. Cette recherche de retour financier présente un autre avantage, puisqu'elle permet aussi de sélectionner des projets plus solides. Les conditions de retour sur investissement pourraient néanmoins être mieux adaptées aux différents types de projets, et surtout connues en amont de la sélection.

Au total, ces retours financiers, nets des pertes éventuelles sur les prêts et les participations, ont vocation, à plus ou moins long terme, à réduire l'impact global des investissements d'avenir sur les finances publiques.

La Cour appelle cependant l'attention sur deux points qui pourraient au contraire avoir des conséquences négatives sur le budget de l'État à moyen et long termes.

Le premier est l'avenir des dotations non consommables. À l'origine destinées à apporter une dotation en capital aux regroupements universitaires sélectionnés et à leur offrir une certaine autonomie financière, sur le modèle des universités anglo-saxonnes, les dotations elles-mêmes n'ont jamais été décaissées par l'État. Celui-ci se contente de verser des intérêts à taux fixe, en fait assimilables à des subventions. Dans la plupart des conventions, ces versements sont limités à la durée de chacun des deux PIA. Cependant, les conventions IDEX et LABEX, dont le montant, très important, s'élève à 9 milliards d'euros, n'obéissent pas à cette logique. Leur application pourrait conduire l'État à verser effectivement les dotations aux regroupements évalués positivement, pour un montant maximal de 9 milliards d'euros, ou à leur verser des intérêts, sans limite de durée, à raison de 300 millions d'euros par an après la fin du PIA 1, dans l'hypothèse maximale. L'échéance de début 2016, qui marque la fin de la période probatoire de certaines IDEX, impose de clarifier la situation juridique et les conséquences financières de ces deux conventions pour les finances de l'État et pour l'avenir des regroupements concernés.

Le second concerne les conséquences du financement par le PIA de dépenses de fonctionnement de structures dont la pérennité ne semble pas assurée. Certaines structures s'appuient notamment sur des équipes de chercheurs contractuels ou sur des fonctions support financés par le PIA. C'est notamment le cas dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Le PIA présente une gouvernance originale, qui s'appuie sur le commissariat général à l'investissement et les opérateurs de l'État. Cette gouvernance a affaibli le rôle des ministères. En même temps, certaines des méthodes employées mériteraient sans doute d'être reprises plus largement. C'est le troisième et dernier message de la Cour.

Le CGI est une structure légère de trente-six personnes, créée spécifiquement pour superviser l'ensemble de la démarche. Il a montré son efficacité dans la mise en oeuvre du PIA. Son rattachement direct au Premier ministre, ainsi que sa mission plus globale de veille sur la cohérence de la politique d'investissement de l'État, lui donne désormais un rôle central de stratège et de coordonnateur en matière d'investissements. Cependant, son fonctionnement est aujourd'hui plus centralisateur que transversal. Il doit oeuvrer à développer, autour du PIA, ses actions d'animation, de coordination interministérielle et de communication. Ce sera d'autant plus important dans les phases de suivi et d'évaluation des projets que sa taille ne le met pas en situation de mettre lui-même en place les actions nécessaires.

Le rapport dresse le bilan du recours aux opérateurs pour la mise en oeuvre du PIA. D'une part, le transfert des crédits aux opérateurs a permis d'éviter de créer des organismes ad hoc, tout en limitant les coûts de fonctionnement de l'ensemble – environ 240 millions d'euros sur dix ans pour le premier PIA, dont 140 millions d'euros directement à la charge du programme. Ce recours aux opérateurs a pris des formes très diverses selon les besoins et les compétences de chacun. Globalement, les opérateurs ont su s'adapter et faire preuve de souplesse, même si la mise en oeuvre du PIA a souvent été plus lente que prévu.

Mais, d'autre part, les relations avec les opérateurs sont fondées sur des « mandats » confiés à l'aide de conventions spécifiques, et non selon les règles de tutelle habituelles. Les conseils d'administration sont donc dépossédés de leur pouvoir de décision quand il s'agit du PIA. Cela pourrait éventuellement poser, à terme, des problèmes de responsabilisation des opérateurs dans la mise en oeuvre et le suivi de certaines actions. Par ailleurs, le recours aux opérateurs complique parfois les procédures lorsque l'opérateur gère aussi ses propres projets ; dans ce cas, il lui est souvent difficile de différencier dans la gestion des projets ce qui est imputable au PIA. Ce recours aux opérateurs a également pu uniquement servir à faciliter les débudgétisations ; on peut parler, dans certains cas, d'opérateurs « écrans ».

La contrepartie de cette gouvernance, articulée autour du CGI et des opérateurs, est la position affaiblie des ministères, dont la capacité d'arbitrage et de choix est mécaniquement restreinte. D'une part, cette situation fait peser le risque de dévaloriser leur rôle, en donnant l'impression que les actions d'avenir et d'excellence ne relèvent pas des ministères mais seulement du CGI. D'autre part, elle contribue à affaiblir la cohérence des politiques publiques lorsque les actions du PIA n'y sont pas suffisamment intégrées. Dans ce contexte, les ministères doivent donc s'efforcer de peser sur les actions du PIA au service des politiques publiques dont ils ont la charge et de s'organiser eux-mêmes pour mieux les suivre.

Lorsque je présente les travaux des juridictions financières, je rappelle régulièrement que la qualité des investissements compte autant, si ce n'est plus, que leur volume. Ce qui est vrai au niveau local l'est aussi au niveau national. Et le PIA a eu le mérite de faire reposer une partie des investissements de l'État sur une réflexion stratégique explicite et partagée, permettant de définir des priorités d'intervention, sur plusieurs années, ce qui est tout à fait positif.

En outre, dans la sélection et la mise en oeuvre des actions du PIA, plusieurs pratiques ont été développées, qui méritent d'être déployées plus largement : la recherche de l'excellence, en faisant appel à des jurys d'experts indépendants ; la mise en place progressive, par tranche, de certains programmes, avec des clauses de rendez-vous intermédiaires ; la prise en compte systématique de la dimension économique des investissements publics en matière d'innovation et d'industrialisation des procédés.

Néanmoins, malgré les progrès observés, les procédures restent encore trop lourdes et mériteraient d'être mieux adaptées à la taille et à l'objet des opérations à financer. Cela pourrait par exemple passer par la diversification des modes de prise de décision en fonction des montants en jeu ou par le développement des possibilités de veto du CGI, en lieu et place de décisions systématiquement prises par le Premier ministre.

Par ailleurs, l'évaluation a été considérée dès l'origine – nous ne pouvons que nous en réjouir – comme une composante du PIA, avec des crédits identifiés pour la réaliser : 31 millions d'euros pour le PIA 1 et 16 millions d'euros pour le PIA 2. Malheureusement, l'évaluation des résultats n'en est encore dans certains cas qu'au stade de la structuration. Elle repose sur un partage des rôles qui mériterait d'être parfois précisé. La Cour insiste une nouvelle fois sur la qualité de l'évaluation, au coeur des politiques publiques.

En conclusion, la Cour dresse à ce stade un bilan nuancé du PIA. Il a permis, d'une part, de mettre en oeuvre une politique d'investissement cohérente avec une vision stratégique. Il s'est appuyé sur une gouvernance présentant des caractéristiques originales et porteuses d'efficacité. Néanmoins, malgré son ambition, et même si de premiers effets commencent à se faire sentir, la lenteur de sa mise en oeuvre, les limites liées à sa gouvernance et les dérives observées, notamment sur le plan budgétaire, rendent nécessaires des ajustements. L'existence du PIA 2 et l'annonce d'un PIA 3 changent la nature même d'un programme censé au départ être exceptionnel. Cette prolongation du PIA rend désormais injustifiées plusieurs dérogations dont il bénéficie, aussi louable soit l'objectif d'un programme préservant la capacité de l'État à engager des investissements productifs et visant à protéger dans le temps les crédits qui leur sont affectés. Les innovations du PIA pourraient entrer dans le cadre des règles actuelles. Ainsi, le PIA 3 pourrait, par exemple, prendre la forme, au sein du budget de l'État, d'un nouveau programme budgétaire. Placé sous la responsabilité du Premier ministre, pour lui conserver sa dimension interministérielle, il pourrait bénéficier de règles spécifiques le mettant, par exemple, à l'écart de la régulation.

Telles sont les observations et recommandations de la Cour, dont je souhaitais vous faire part, et qui sont soumises à votre réflexion. Selon les priorités que vous aurez déterminées, vous pourrez vous saisir des propositions que vous jugerez appropriées. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition, avec les magistrats qui m'entourent, pour répondre à vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion