Intervention de Olivier Carré

Réunion du 2 décembre 2015 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Carré :

Nous nous sommes posé beaucoup de questions à ce propos, monsieur le président Carrez. En fait, très concrètement, c'est un jeu d'écritures. Les fonds prétendument cantonnés, en fait, n'existent pas, et le seul effet budgétaire, c'est cette différence de 10 milliards d'euros entre déficit et dette, que le rapport explique très bien. En fait, ce n'est pas vraiment une ligne. Ce qui alourdit le déficit budgétaire, ce sont les 300 millions d'euros donnés chaque année, qui sont du déficit pur. Alors, certes, on peut considérer que c'est de l'emprunt, puisque toutes les dépenses marginales sont considérées comme empruntées, et si les comptes publics étaient équilibrés, ces 300 millions d'euros ne le seraient pas. En tout cas, c'est cela qui constitue le vrai décaissement.

Dans le cadre de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, nous avons créé les fondations, auxquelles l'État devait attribuer certaines sommes, qui s'ajouteraient à d'autres, et la rémunération de cet argent devait alimenter les budgets courants des entités universitaires ou des laboratoires, avec une sorte d'effet de levier. En réalité, à l'époque, en 2009 ou 2010, cela s'est révélé impossible pour des questions de normes comptables, mais nous avons gardé la mécanique comptable et financière, qui était le versement de l'équivalent des fruits de cet argent qui aurait été placé.

À l'époque, les taux étaient à 3 % ; cela représentait donc une somme non négligeable. Aujourd'hui, les choses sont différentes, puisque les taux sont aux environs de 0,8 %, mais ce qui est sûr, c'est que le capital n'a pas été affecté aux fondations. Il est resté sur des lignes au Trésor, cantonnées, affectées à un établissement, mais qui ne figurent pas sur les livres d'un agent comptable, par exemple celui de la fondation en question.

La situation est donc un peu hybride. L'argent est bien versé, finalement, à l'université ou au laboratoire, mais nous n'avons pas l'effet de levier espéré. Si, pour chaque euro apporté par l'État, le mécénat privé avait mis 2 ou 3 euros, alors les fondations universitaires auraient pu se développer.

Si certains mécanismes peuvent ne pas sembler très orthodoxes, c'est parce qu'ils sont le fruit de ces évolutions. Aurions-nous dû les réviser ? La question s'est posée, mais le premier commissaire général à l'investissement a opté pour le pragmatisme. Il n'avait pas tort non plus : il s'agissait de faire en sorte que les fonds arrivent aux LABEX, IDEX et pôles universitaires auxquels ils étaient destinés.

Tous ceux d'entre nous qui suivent ces travaux depuis le début peuvent souscrire aux remarques de la Cour, mais nous avons quand même quelques motifs de satisfaction. Lorsque MM. Rocard et Juppé ont rendu leur rapport, nous nous sommes demandé s'il fallait flécher l'investissement sur de grands projets. Il y en a quelques-uns, comme ITER – International Thermonuclear Experimental Reactor –, mais la stratégie choisie a consisté à faire confiance aux opérateurs. Pour financer une économie de la recherche et de l'innovation – c'était le coeur du rapport Juppé-Rocard –, pour préparer l'économie française aux défis du XXIe siècle, il fallait plutôt disperser, si j'ose dire, les sommes et s'en remettre, une fois défini un axe stratégique, à l'aléa qui est le vrai moteur de l'innovation. Aussi brillants que soient les jurys et les fonctionnaires réunis autour d'une table, l'innovation ne se décrète pas, et nous recherchons plutôt des effets de rupture. Au contraire, dans les années 1960, il s'agissait plutôt de procéder par incrémentation. Tel a été le point de vue, assumé, des deux auteurs du rapport, et les choix faits procèdent de cet esprit.

Par ailleurs, l'indépendance du PIA, sous l'égide du Premier ministre, permet une vision large, même si la cohérence entre les politiques menées par tel ministère et les investissements d'avenir peut y perdre. Vous le savez, les deux coprésidents du comité de surveillance ont démissionné lorsqu'il a été annoncé, en 2014, que le CGI allait être placé sous la tutelle du ministre chargé de l'industrie. Nous pouvons débattre de cette question, c'est un sujet politique, mais, normalement, la tutelle du Premier ministre doit permettre d'organiser la cohérence de l'ensemble.

Je n'ai pas retrouvé dans le rapport de la Cour des comptes un élément qui m'avait choqué. Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour l'année 2014, le ministre du budget avait prélevé 500 millions d'euros sur les investissements du ministère de la défense. Il avait explicitement dit qu'il organisait la régulation budgétaire globale en retirant une fraction de la dotation affectée sur une ligne du PIA !

Enfin, si nous commençons à mesurer la réussite ou l'échec d'un certain nombre d'investissements, nous ne parvenons pas assez bien à mesurer l'effet marginal, au sens économique du terme, du PIA sur la dynamique des projets soutenus. Le fait que celle-ci ait connu une accélération ou que le rythme de déroulement du projet soit demeuré inchangé renseigne plus sur la qualité du projet lui-même, tel qu'il est conduit, que sur la méthode du PIA. Or, celui-ci a pour objet d'accélérer la croissance de long terme, cette fameuse croissance structurelle dont nous parlons si souvent ici, grâce à l'innovation et à la recherche. Quel est l'effet de levier de ces 40 milliards d'euros mobilisés, autrement dit de ces 2 points de PIB ? C'est ce type d'information que j'attends en tant que membre du comité de surveillance.

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