Monsieur le président, madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, j’ai parfois le sentiment qu’il existe, dans notre pays, une forme de résignation face au chômage de masse, résignation qui s’ajoute à une défiance envers nos institutions et dans leur capacité à changer le cours des choses. Résignation et défiance : tels sont les deux moteurs de la réaction.
Il y a parfois du désespoir et du désenchantement, ainsi qu’un sentiment d’abandon, dans certains territoires ruraux ou périurbains aussi bien que dans certains quartiers populaires des grandes métropoles, comme l’a très bien, et depuis trop longtemps, démontré Hervé Le Bras.
On les appelle d’ailleurs, aujourd’hui, des « territoires périphériques », alors qu’ils représentent la majorité sociale de notre pays. Et c’est sans doute parce que les majorités politiques successives se sont éloignées de cette majorité sociale, qu’elles sont censées incarner, que la fracture politique et sociale s’est aggravée.
Face à ce terrible constat, au fracas, aux tumultes et aux désordres portés par les nouveaux réactionnaires, les territoires offrent pourtant toutes les solutions pour rouvrir le chemin de l’espérance.
Dans tous les territoires, les citoyens engagés sont nombreux. Par leur action, ils veulent réenchanter la politique, au sens de la vie de la cité. Ils sont aujourd’hui présents : bénévoles et responsables d’ATD Quart Monde, d’Emmaüs France, du Secours catholique, de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, la FNARS, du Pacte civique et de Bleu Blanc Zèbre.
Je salue d’ailleurs Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde. Ils soutiennent tous la proposition de loi dont nous allons débattre : c’est en effet notre projet, car nous l’avons construit ensemble.
Comme le dit si bien l’écrivain Alexandre Jardin : « Pour guérir chaque grande fracture tricolore, il y a aujourd’hui, dans toutes nos régions, des citoyens à l’oeuvre, des faiseux pas des diseux, des courageux actifs qui règlent nos problèmes non pas à notre place mais avec nous. »
Les Français ne veulent pas obéir à des dogmes mais adhérer à des projets qui transforment le réel et qui oeuvrent à la transformation économique, sociale et écologique de nos territoires.
La France des solutions crée, invente et innove. Il faut accompagner les créatifs ainsi que la société civile et ne pas empêcher cette France d’avancer. C’est tout le sens cette proposition de loi qui se veut une utopie réalise face aux injustices humaines.
Léon Blum disait : « Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l’existence. » Or les conditions d’existence se résument à un emploi, un logement et un savoir.
ATD Quart Monde sait que l’emploi est beaucoup plus qu’un simple contrat de travail : c’est tout à la fois une partie intégrante du contrat social et un lieu central de dignité. Tous nos concitoyens doivent pouvoir obtenir un emploi. C’est l’engagement contenu en préambule de notre Constitution. C’est aussi l’ambition que porte ce mouvement et qu’a toujours portée Geneviève De Gaulle-Anthonioz.
Personne ne doit être laissé pour compte parce que tous auront une place, en commençant par les plus pauvres.
Il nous faut changer de culture, prendre des risques, partir des territoires et prendre le temps d’expérimenter.
Non, nous n’avons pas tout tenté pour combattre le chômage. Nous pouvons créer des emplois durables qui n’existent pas dans certains territoires en nous appuyant sur la force créatrice des acteurs locaux : collectivités, entrepreneurs, acteurs de l’économie sociale et solidaire, syndicats et organisations professionnelles, associations.
Oui, nous pouvons créer des couches protectrices face à la déstructuration sociale, à la désespérance sociale, à la fracturation sociale. Oui, nous pouvons créer des emplois durables là où il y a du chômage de longue durée, par l’innovation sociale, économique et écologique.
Le chômage accroît la pauvreté et l’inégalité dans la répartition des revenus, il ébranle les familles, mais il n’est pas inébranlable.
Alors que le chômage de longue durée touche plus d’un chômeur sur deux et que l’éloignement du travail, nous le savons, accroît la difficulté de retrouver un emploi, cette proposition de loi vise à proposer aux chômeurs de longue durée un contrat à durée indéterminée dans une entreprise développant une activité dans le secteur de l’économie sociale et solidaire.
J’ai parfois douté face à certains conservatismes pour faire avancer les idées, mais l’indignation appelle l’engagement. Il y a eu celui de la ministre, Mme El Khomri, et c’était très important. Résister, c’est créer. Créer, c’est résister. Dans ces périodes troubles, résister, c’est aussi créer et défendre des projets d’utopie réaliste.
La proposition de loi qui est discutée aujourd’hui constitue une véritable innovation sur plusieurs aspects.
Son mode d’élaboration, d’abord, est innovant.
Le texte dont nous sommes saisis est le fruit d’un travail mené depuis de nombreux mois avec les acteurs de la société civile qui luttent au quotidien pour la dignité humaine et contre l’exclusion, au premier rang desquels se placent les associations. C’est M. Patrick Valentin qui, le premier, m’a présenté l’idée des « territoires zéro chômage de longue durée », née dans le Maine-et-Loire il y a près de deux ans. La réflexion a porté ses fruits puisque, à Pipriac en Ille-et-Vilaine, à Mauléon dans les Deux-Sèvres, à Prémery dans la Nièvre, à Colombey-les-Belles en Meurthe-et-Moselle et à Jouques, dans les Bouches-du-Rhône, un travail est mené par les acteurs de terrain, et je salue Dominique Potier, qui en suit un particulièrement.
Cette proposition de loi tend à fixer le cadre juridique de cette expérimentation. J’ai souhaité que cette démarche d’élaboration soit aussi exemplaire que possible compte tenu de l’importance de l’objet et s’appuie sur les outils donnés aux parlementaires. Je me suis appuyé sur l’ensemble des éléments que la Constitution permet au Parlement de mobiliser. J’ai utilisé les moyens donnés par la réforme de la Constitution sur l’expérimentation proposée par Jacques Chirac en 2003, par celle de Nicolas Sarkozy en 2008 sur la saisine du Conseil d’État, et par la loi sur l’économie sociale et solidaire présentée par Benoît Hamon grâce à l’engagement de François Hollande. Parfois, l’unité nationale n’est pas dans les têtes mais elle est dans les faits.
Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, a saisi le Conseil d’État pour avis sur le fondement de l’article 39 de la Constitution. Son rapporteur, M. Jean Marimbert, a proposé de nombreuses améliorations techniques et juridiques qui ont été reprises dans des amendements adoptés par la commission.
Le Conseil économique, social et environnemental a lui aussi été saisi et, à la quasi-unanimité, a adopté un rapport présenté par Patrick Lenancker, le président de la Confédération générale des SCOP, qui pose des conditions de réussite.
Cette proposition de loi est aussi innovante car elle a pour objectif de promouvoir une nouvelle philosophie en matière de politique de l’emploi. En effet, cette expérimentation repose sur le postulat que, si les emplois manquent, le travail, lui, ne manque pas.
Nous croyons que nous n’avons pas encore tout tenté contre le chômage, ce fléau, et qu’il est possible d’innover dans nos territoires, dans nos départements, dans nos régions, pour mobiliser les énergies et créer des activités ayant une utilité sociale et répondant à des besoins auxquels nous n’avons pas encore répondu. Ces travaux ne sont que partiellement solvables et sont donc insuffisamment lucratifs pour le marché classique. Il est possible, avec un soutien financier, de solvabiliser ces activités et de permettre ainsi à des chômeurs de longue durée de retrouver un emploi.
L’expérimentation prévue par la proposition de loi consiste à faire distribuer par un fonds national une aide financière permettant de participer à la création de postes. Ce fonds associerait tous les acteurs. Au niveau local, un comité local mobiliserait toutes les énergies.
Le financement est le dernier aspect innovant de cette proposition de loi.
Le financement permettra l’amorçage du projet à travers les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Comme l’a montré l’économiste Jean Gadrey, qui s’était associé à ATD Quart Monde, un peu plus de 15 000 euros hors assurance chômage pourraient être économisés par la sortie de chaque chômeur de longue durée et affectés au financement d’emplois durables.
Financement innovant, méthode innovante, je crois que nous avons tous les ingrédients pour réussir. Je salue en particulier Patrick Valentin et Michel de Virville qui m’ont accompagné jusqu’à présent, Bruno Le Roux, le président du groupe SRC, qui nous a fait confiance, ainsi que Christophe Sirugue, le responsable du groupe pour ce texte.
La présente proposition de loi, dont l’objectif est de donner une traduction concrète à la notion de droit à l’emploi mentionnée au préambule de la Constitution de 1946 et qui va incontestablement dans le sens de l’intérêt général, trouvera, je l’espère, une large majorité dans l’hémicycle avant d’être débattue au Sénat.
Grâce à la mobilisation des acteurs de la société civile qui ont accompagné l’élaboration de ce texte, elle montre que d’autres solutions sont possibles, que, par l’innovation sociale, économique et écologique, nous pouvons ensemble trouver des solutions durables dans les territoires et créer les conditions de la réussite pour redonner de la dignité aux personnes qui ont perdu espoir dans la chose publique.