Intervention de Michèle Bonneton

Séance en hémicycle du 9 décembre 2015 à 15h00
Expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Bonneton :

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, le chômage est endémique dans notre pays depuis plusieurs décennies. De crise en crise, les périodes d’amélioration ou de croissance n’ont pas permis de le faire diminuer dans des proportions significatives et acceptables. Les raisons en sont multiples : une démographie soutenue, une compétition exacerbée, une croissance et des investissements qui ne sont pas créateurs d’emplois – il y a bien d’autres raisons.

Dans ce contexte, la France est particulièrement touchée par la question du chômage de longue durée, qui constitue un enjeu majeur. Il faut rappeler – comme l’a fait Mme la ministre – que les chômeurs de longue durée sont plus de 2 millions aujourd’hui, contre 1 million il y a sept ans.

Depuis de très nombreuses années, des mesures sont régulièrement prises pour tenter de remédier à cette situation. Or force est de constater que les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances. Le chômage de longue durée est pourtant un facteur de désocialisation, non seulement pour ceux qui sont directement touchés, mais aussi pour leurs enfants et parfois même leurs petits-enfants. C’est un cycle infernal dans lequel des familles entières sont plongées et duquel il est extrêmement difficile de sortir.

La perte de dignité, le traumatisme qui l’accompagnent sont un gâchis considérable – pour ceux qui en sont les victimes, mais aussi pour le pays. Cela conduit parfois certaines personnes à ne plus même pouvoir travailler. Ce n’est pas un hasard si certaines d’entre elles retrouvent le chemin de l’emploi principalement dans le secteur des entreprises et des associations d’insertion.

Pour remédier à cette situation, la qualité de l’accompagnement est déterminante. C’est pourquoi la mise en place de cette loi nécessitera des moyens humains importants.

Le coût économique de la privation durable d’emploi est très important. Il pèse à la fois sur les ménages et sur l’État, notamment à travers les aides sociales. De même, nous savons que le chômage – plus encore lorsqu’il est de longue durée – a un impact très néfaste sur la santé des personnes concernées et même sur leur espérance de vie, comme l’attestent certaines études. Cette situation est un ferment parfois propice à l’intolérance et à la stigmatisation.

Ce sont là quelques raisons qui justifient déjà pleinement cette proposition de loi inspirée par ATD Quart Monde – cela a été dit mais je tiens à le répéter car c’est très beau –, dont les fondateurs furent Joseph Wresinski et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, laquelle en fut longtemps présidente. Tous deux consacrèrent leur vie à la lutte contre la misère. Je tenais à le rappeler – et à saluer aussi les autres ONG qui ont soutenu cette proposition de loi.

Cette dernière présente un premier avantage : partir des territoires, de leur potentiel et des ressources humaines qu’ils détiennent. Le meilleur moyen de lutter contre le chômage c’est, en premier lieu, d’évaluer tout cela au plus près des réalités, c’est-à-dire à l’échelle d’un territoire.

De nombreux exemples de réussite existent en France. Je prendrai celui du Pays de Gex, dans le département de l’Ain, qui était spécialisé dans la fabrication d’objets en bois. Le marché déclinant, ce territoire s’est reconverti dans la fabrication de moules pour les plastiques, ce qui a donné naissance à une activité de plasturgie.

Le choix de s’en remettre à l’échelon local est tout à fait pertinent. De façon générale, une activité se développe bien lorsqu’elle utilise au mieux les compétences déjà existantes sur le terrain.

Autre point important et pertinent : le choix de créer des CDI. En effet, les nombreux dispositifs existants d’emplois aidés conduisent pour la plupart à des emplois limités dans le temps. Ainsi, après une formation ou un emploi aidé, la personne peut-elle parfois se retrouver encore sans emploi, particulièrement dans les domaines non marchands. C’est donc une grande nouveauté que de proposer de créer des emplois aidés en CDI ; nous nous en félicitons.

Cette proposition de loi présente aussi l’avantage d’agir, et pas seulement d’essayer de limiter les conséquences du chômage de longue durée. Nous ne sommes plus dans une approche passive du traitement du chômage. De plus, chaque euro d’argent public dépensé sera bien utilisé pour un emploi réel, à la différence de certaines aides indifférenciées comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dont il n’est pas possible d’évaluer précisément le nombre d’emplois qu’il contribue in fine à créer.

Comme il s’agit d’une expérimentation, il faudra choisir les territoires qui seront retenus. Le texte, tel qu’il est présenté, ne donne pas de précision et j’aurais souhaité, monsieur le rapporteur, madame la ministre, que vous puissiez nous en donner – notamment s’agissant du format de l’expérimentation, car vous parlez de quatre à dix territoires. Cela sera-t-il suffisant ? Quelle sera leur surface ?

Un certain nombre d’autres questions restent posées.

Il ne faudrait pas, par exemple, que les emplois créés soient des sous-emplois payés au SMIC, sans possibilité d’évolution. Je veux dire par là qu’il faut envisager parallèlement de donner une formation suffisante aux personnes qui intégreront le dispositif pour leur permettre d’évoluer. En effet, le chômage de longue durée est souvent lié à un manque de qualification ou à une qualification qui ne correspond pas aux besoins du marché du travail. Un effort particulier devra être fait dans ce sens.

De même, il faudra veiller à limiter les effets d’aubaines qui ne manqueront pas d’apparaître et faire en sorte notamment que les emplois ainsi créés ne remplacent pas des emplois qui auraient pu être créés par les moyens classiques.

Je tiens aussi à vous faire part de remarques quant à l’évaluation de cette expérimentation. On ne peut se limiter à en faire une évaluation classique, qui nous limiterait au seul résultat comptable. Or cette proposition de loi va bien plus loin. Dans une situation où nos économies ne connaîtront plus – pendant un certain temps du moins – une croissance durable et où la croissance n’est plus suffisante pour créer de l’emploi, il faut être à la fois capable de créer des emplois sans croissance et d’évaluer la réussite des politiques publiques sur d’autres critères que ceux habituellement retenus en matière économique et sociale.

C’est ici l’occasion de procéder à une évaluation à partir des nouveaux indicateurs de richesse mis en place récemment depuis l’adoption de la loi no 2015-411 du 13 avril 2015, sur l’initiative de notre collègue Eva Sas, au nom du groupe écologiste de l’Assemblée nationale.

La question des moyens, bien sûr, doit être également posée. Les CDI créés bénéficieront d’un financement de l’État. Ainsi, la rémunération sera en partie financée par l’allocation que touchait la personne en chômage de longue durée. Le coût de l’emploi créé restera donc relativement raisonnable.

Le dispositif me paraît ainsi tout à fait opérationnel et je souhaiterais vivement que le Gouvernement et les collectivités locales s’y engagent résolument. Parions sur sa réussite afin que les mesures proposées soient rapidement généralisées.

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