Intervention de Marie-Françoise Clergeau

Réunion du 14 janvier 2013 à 16h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis :

Cela pourrait presque paraître désormais superflu, madame la présidente. Je pourrais même être tentée de détailler plutôt ce que ce texte n'est pas, tant, depuis maintenant plusieurs mois, chacun y est allé de ses interprétations, de ses commentaires, de ses arrière-pensées politiques, de ses angoisses ou de ses croyances. Que n'a-t-on pas entendu sur ce projet !

En réalité, quel en est le contenu ? Contrairement à ce qu'ont martelé certains, le projet maintient le mariage tel qu'il existe actuellement, se contentant d'apporter les mêmes garanties à toutes les familles et d'établir l'égalité des couples. De ce fait, il met fin à deux impossibilités pour les couples homosexuels : celle de se marier et celle d'adopter conjointement. Le texte – est-il encore utile de le rappeler ? – régit le seul mariage civil. En effet, la République légifère dans l'intérêt de la société et de la protection de ses citoyens, de tous ses citoyens, dans l'intérêt des conjoints et des enfants, et non pour défendre une conception religieuse de la famille. Les Françaises et les Français le savent, les cérémonies religieuses du mariage obéissent à d'autres exigences, dans le respect des croyances de chacun.

L'article 1er ouvre ainsi le mariage civil aux personnes de même sexe. Ce faisant, le texte leur ouvre la voie à l'adoption conjointe. Notons que les possibilités d'adoption conjointe resteront, en pratique, limitées compte tenu du faible nombre d'enfants adoptables en France comme à l'étranger et du refus d'un grand nombre de pays de confier des enfants à des couples homosexuels. C'est donc vraisemblablement l'adoption de l'enfant du conjoint qui sera privilégiée. Elle permettra à un grand nombre de « parents sociaux » de voir enfin reconnu leur lien de filiation avec les enfants qu'ils élèvent.

Je tiens à le rappeler, il restera impossible qu'une adoption par le nouveau conjoint d'une personne ayant eu un enfant d'une précédente union hétérosexuelle se substitue à la filiation d'origine vis-à-vis de l'autre parent. Seule l'adoption simple sera possible, et à la seule condition que les deux parents légaux donnent leur accord. En revanche, il me semble utile de permettre explicitement l'adoption plénière ou simple d'un enfant déjà adopté par le conjoint, afin d'éviter des interprétations jurisprudentielles divergentes. Ce point fera l'objet d'amendements que je soumets à votre examen.

Les articles 2 et 3 modifient les modes de dévolution du nom patronymique pour l'adoption plénière d'une part, et pour l'adoption simple d'autre part, en les adaptant aux doubles filiations de même sexe. En définitive, ce n'est qu'en cas de désaccord ou d'absence de choix des parents que les règles de dévolution du nom de famille différeront de celles qui s'appliquent en matière de filiation par le sang.

Les articles 4 à 21 tirent les conséquences de l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe dans de nombreux codes et textes législatifs. Il s'agit, lorsque cela est nécessaire – c'est-à-dire lorsqu'une disposition doit s'appliquer à tous les couples mariés mais que sa rédaction actuelle ne le permet pas –, de remplacer les termes « père et mère » par le mot « parents ». Le Gouvernement a choisi de ne procéder à ces coordinations que lorsqu'elles étaient indispensables. Ainsi, les mots « père » et « mère » continueront de figurer dans notre législation, contrairement à ce qu'ont affirmé un peu vite certains opposants au projet. Il n'a jamais été prévu de les faire disparaître des différents codes.

S'agissant des effets du projet de loi sur les droits sociaux, d'une part, certains droits liés au mariage se trouvent automatiquement ouverts aux couples de personnes de même sexe qui se marieront, par exemple la pension de réversion. D'autre part, certains droits liés à la qualité de père ou de mère doivent être adaptés aux parents de même sexe : c'est par exemple le cas du congé d'adoption, qui sera accordé à l'un ou l'autre des parents assurés, ou aux deux s'ils décident de se partager la période d'indemnisation.

Par ailleurs, outre plusieurs amendements de coordination, je soumettrai à votre examen un amendement au code du travail visant à permettre à un ou une salarié marié à une personne de même sexe de refuser une mutation dans un pays condamnant pénalement l'homosexualité sans craindre une quelconque sanction.

Certains se demandent pourquoi le mariage, statut familial aujourd'hui minoritaire dans une société française qui a évolué, devrait être ouvert aux homosexuels. C'est très simple : pour la République, l'homosexualité n'est ni une maladie, ni une perversité, ni le résultat d'un ratage ou de « mauvaises fréquentations », mais simplement une façon de vivre sa sexualité. Ce projet de loi permet donc à chaque couple de construire sa vie en faisant le choix du mariage, du pacte civil de solidarité (PACS) ou du concubinage. Il s'agit de faire une place à chacun dans le projet républicain, sans communautarisme ni particularisme, puisque la loi ne crée pas de nouvelles situations, mais encadre celles qui existent déjà. Il n'est pas question de créer un droit spécifique, mais d'intégrer les homosexuels au droit commun ; de les traiter comme les autres, comme tout le monde.

Personne n'y perdra et beaucoup y gagneront en dignité et en sécurité. En dignité, d'abord, puisque le projet de loi permet l'accès au mariage, c'est-à-dire l'accès à la norme dans l'égalité. Cet accès à la norme s'opère dans les mêmes conditions pour tous : mêmes interdits, mêmes repères, mêmes protections. Et ce bien que, dans les faits, le nombre de mariages entre personnes de même sexe sera peut-être limité, comme il l'est d'ailleurs parmi les couples hétérosexuels. Personne n'est obligé de se marier, mais chacun doit en avoir la possibilité. En sécurité, ensuite, parce que le mariage est une institution républicaine qui permet de reconnaître et de protéger les couples et leurs familles.

Ce projet de loi est un texte historique, il fait tomber un bastion de la stigmatisation. Que d'évolutions ! Le PACS était d'origine parlementaire ; aujourd'hui, c'est le Gouvernement qui dépose un projet de loi. Il nous est proposé de faire un pas vers l'égalité, vers l'égalité des droits réels pour tous les couples, y compris les couples de personnes de même sexe. C'est une étape supplémentaire dans la reconnaissance du couple homosexuel. C'est une étape qui va modifier nos représentations en intégrant à la norme des réalités sociales déjà existantes. C'est une étape dans le combat jamais achevé pour l'égalité des droits et des dignités.

N'hésitons pas à nous tourner vers les pays qui ont ouvert le mariage et l'adoption aux couples homosexuels. Aucun bouleversement majeur de la société n'y a eu lieu : les familles homoparentales sont simplement entrées dans la normalité. C'est le constat que j'ai pu faire avec plusieurs collègues à Bruxelles, où nous avons rencontré des médecins, des sénateurs belges et des parlementaires européens de divers pays ayant légalisé le mariage et l'adoption pour les couples de personnes de même sexe. Il ressort de ces échanges une impression de simplicité des réformes et de banalité des situations qu'elles ont légalisées. Nulle part dans ces pays le chaos tant annoncé n'est survenu, non plus qu'en France après le PACS, n'en déplaise aux opposants d'hier qui sont aussi ceux d'aujourd'hui.

Ne nous laissons pas abuser par la rhétorique de ces derniers : le débat a bien eu lieu. Il a eu lieu lors des grandes échéances électorales de 2012, où les engagements du candidat François Hollande ont été validés par les électeurs.

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