Intervention de Marie-Françoise Clergeau

Réunion du 14 janvier 2013 à 16h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis :

C'est la vérité, puisque François Hollande a été élu à la majorité.

Le débat a eu lieu lors des nombreuses auditions menées par les deux rapporteurs, dont certaines étaient retransmises sur le site de notre Assemblée. Il a eu lieu, et il se poursuit, dans les colonnes des journaux où les tribunes et les prises de position se multiplient depuis plusieurs mois. Il a eu lieu dans les réunions ou rencontres publiques organisées localement dans toute la France à l'initiative des défenseurs du projet comme de ses opposants. Il a eu lieu au sein des groupes parlementaires, et d'abord du mien ; vous en avez même commenté abondamment les étapes, mes chers collègues. Enfin, le débat a lieu depuis plus de dix ans au sein du Parlement, où des propositions de loi sont régulièrement déposées sur ce sujet. On peut même considérer que la manifestation qui s'est déroulée à Paris fait partie de ce débat. Chacun a donc pu exprimer son point de vue. En outre, quand, en 2009, l'ordonnance de 2005 a été rendue définitive, plaçant sur un pied d'égalité enfant légitime et enfant naturel – simple adaptation bienvenue de notre droit à la réalité sociale, mais véritable révolution dans le droit de la filiation –, où étaient tous ceux qui, aujourd'hui, réclament un référendum ?

Peut-on donc réformer le mariage en France aujourd'hui ? Le droit a su prendre en considération les faits sociaux pour les encadrer et instituer des repères. Il en est de même du mariage, qui a constamment changé pour incarner, à chaque époque, l'idéal du couple que se donne une société. C'est ainsi qu'il n'est plus cette institution machiste, inégalitaire et hypocrite où était instituée la primauté du masculin et où la femme était cantonnée à une sexualité procréative. Le mariage est devenu libre et librement consenti. L'égalité des droits a remplacé la hiérarchie des sexes. Chacune des réformes du mariage civil depuis le XVIIIème siècle a marqué le progrès des libertés individuelles : le divorce pour faute du XIXème siècle, puis le divorce par consentement mutuel du XXème ; la suppression du régime matrimonial de la dot, en 1966 ; le remplacement de la puissance paternelle par l'autorité parentale, en 1970 ; plus récemment encore, l'instauration d'une autorité parentale conjointe entre les parents même après une séparation, en 2002, ou la suppression de toute différence entre enfants légitimes et enfants naturels, en 2005.

L'idée même que le mariage, la sexualité, la procréation et la filiation formaient un tout indissociable a été de plus en plus remise en cause. Citons par exemple la contraception et l'assistance médicale à la procréation, qui ont séparé la sexualité de la procréation ; le concubinage, aujourd'hui majoritaire dans la société, qui a séparé le mariage de la sexualité et de la procréation ; l'adoption plénière, en 1966, qui a séparé la filiation de la procréation ; la fin des différences de traitement entre enfants légitimes et enfants naturels, qui a séparé le mariage et la filiation. Le mariage homosexuel marque ainsi une étape supplémentaire d'un mouvement historique qui place la liberté de choix individuel et le sentiment amoureux du couple au coeur du mariage.

Au-delà de cette évolution, je suis convaincue que ce projet de loi va non seulement renforcer le mariage, mais également la famille, et obéit donc à l'intérêt de l'enfant.

La famille n'a pas de définition juridique, elle est un phénomène social et sociologique. Elle est presque toujours un point d'ancrage et de sécurité, un soutien en temps de crise, mais elle connaît des bouleversements qui l'ont éloignée du modèle unique du papa, de la maman et des enfants : aujourd'hui, la famille se conjugue au pluriel. Il existe des couples sans projet d'enfant, il existe des mariages tardifs sans enfant, il existe des familles d'adoption, des familles à enfant unique, des familles monoparentales, il existe des familles hétéroparentales où les enfants ne vont pas bien ; bref, la différence des sexes et la capacité procréative n'ont jamais été des garanties de stabilité et d'épanouissement de l'enfant. Ce qui compte, c'est l'affection, les conditions économiques dont bénéficient les parents, l'accès à l'éducation et à la santé.

Dans cette diversité, il existe aussi des familles homoparentales. Et l'impossibilité juridique pour un enfant d'avoir deux parents de même sexe est en décalage avec cette réalité. Ces familles se sont d'abord constituées en élevant des enfants issus de précédentes unions hétérosexuelles, puis, de plus en plus, autour d'enfants conçus ou adoptés dans le cadre de projets homoparentaux. Il y a incontestablement un effet générationnel : aujourd'hui, les homosexuels parlent de leur désir d'enfant, forment des projets parentaux. L'homoparentalité est devenue non seulement possible, mais réelle. Et, parmi les familles homoparentales, l'on trouve déjà toutes les configurations des familles hétéroparentales – adoptive, recomposée, en concubinage, célibataire, avec des enfants nés par assistance médicale à la procréation –, les mêmes joies, les mêmes peines.

Toutefois, si de nombreux enfants sont élevés par deux personnes de même sexe, seule l'une des deux est leur parent légal. Des auditions des chercheurs et des familles que nous avons menées, il ressort que le seul problème, pour ces enfants comme les autres, vient des discriminations dont ils peuvent être victimes du fait de leur situation familiale. Le PACS a changé la perception de l'homosexualité par la société ; le mariage accentuera ce changement. Car la loi va permettre de rendre « normal » ce qui était auparavant anormal aux yeux de la société. Je pense à ces enfants qui ne seront plus « à part » parce que leurs parents seront désormais légitimes, parce que leur famille sera protégée.

Le projet de loi renforcera donc la famille, car des familles plus nombreuses verront leurs droits garantis. L'intérêt de l'enfant est d'avoir des parents légitimes et reconnus ; ces parents qui, comme dans toutes les familles, l'auront désiré et qui l'entourent de leur protection et de leur amour. Aujourd'hui, l'arrivée de l'enfant est mieux préparée, car elle est l'expression d'un véritable projet parental. La procréation est maîtrisée, et s'il existe des familles où les enfants n'arrivent jamais par hasard, ce sont bien les familles homoparentales ! Dans ces familles, les enfants sont nécessairement le fruit d'une mûre réflexion. Les références masculine et féminine n'y sont pas absentes, si elles existent en dehors des seuls parents. Car les familles homoparentales ne sont pas seulement nucléaires : elles ne vivent pas en vase clos, mais au sein d'un tissu social, comme toutes les familles.

La famille sera d'autant plus renforcée qu'elle marchera enfin sur ses deux pieds : le biologique et le social. Car il faut accepter, contre la dictature du tout biologique, la part de social dans la parenté, qui a toujours existé. Aucune famille homoparentale ne souhaite inventer de nouvelles fictions ni entretenir l'idée qu'un enfant puisse naître de deux femmes ou de deux hommes. Au contraire, elles montrent combien le social participe à la parenté et combien l'intérêt de l'enfant ne se limite pas toujours au lien biologique.

Je le répète, la loi ne crée rien de nouveau, mais fait entrer les couples homosexuels dans le droit commun, dans l'universalité de la loi, dans la « normalité ». Le projet ne crée pas de familles homosexuelles, mais reconnaît ces familles qui existent déjà. Le modèle du couple hétérosexuel n'étant pas unique, il est urgent de penser ces changements, de les encadrer plutôt que de les nier.

Par ailleurs, il n'est pas encore évident d'être un couple homosexuel, une famille homosexuelle. La loi rendra moins difficile, moins solitaire et moins injuste la vie de ces couples et de ces familles. Elle normalisera le fait que la différence de sexe n'est plus le seul fondement du désir, de la sexualité et de la famille : un couple homosexuel, même minoritaire, sera désormais aussi légitime qu'un couple hétérosexuel, fût-il majoritaire.

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