La France et le Luxembourg sont liés par une convention tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 1er avril 1958 et modifiée par trois avenants, signés le 8 septembre 1970, le 24 novembre 2006 et le 3 juin 2009.
Le présent avenant, signé le 5 septembre 2014, vise à mettre un terme à certain schémas d'optimisation fiscale de cessions de parts de sociétés à prépondérance immobilière détenant des immeubles en France. La France avait déjà émis cette demande auparavant et le Luxembourg y a finalement accédé dans le cadre de sa démarche d'intégration dans les processus de lutte contre l'évasion fiscale. C'est sur cette démarche que je souhaiterais m'attarder avant d'expliciter les dispositions du court avenant qui nous est soumis. Car depuis la crise financière, le Luxembourg a opéré un virage important en direction d'une transparence et d'une coopération accrue pour lutter contre les pratiques d'optimisation et de fraude fiscales.
Dans un premier temps, des avancées ont été obtenues sur le plan bilatéral pour permettre une plus grande coopération fiscale interétatique. Avec la France, un avenant à la convention fiscale a été signé le 3 juin 2009 pour se conformer aux standards de l'OCDE en matière d'échange de renseignements à caractères fiscaux, c'est à dire sans limitation sur la nature des impôts, des personnes et des renseignements visés par la demande de renseignements.
Dans un deuxième temps, le Luxembourg a assoupli sa position sur le secret bancaire dans le cadre de l'application de la directive épargne au sein de l'Union européenne. Après la Belgique en 2011, le Luxembourg et l'Autriche ont accepté de renoncer au secret bancaire pour passer à l'échange d'information le 20 mars 2014 et en octobre 2014, après six ans de négociation, la directive révisée sur l'épargne a été adoptée. Elle permet notamment de favoriser l'extension des échanges automatiques d'informations entre les administrations fiscales, même pour les comptes détenus par des fondations ou des trusts. Le Luxembourg pratique ainsi l'échange d'informations dans le cadre de cette directive depuis le 1er janvier 2015. Le Luxembourg a finalement annoncé mettre un terme de manière générale au secret bancaire à partir de 2017, en se ralliant à l'adoption d'une norme internationale d'échange automatique de données bancaires.
Enfin, ce mouvement vers la transparence en matière fiscale a été accéléré par le scandale dit du « Luxembourg Leaks » (ou « LuxLeaks »), qui a révélé en novembre 2014 le contenu de centaines d'accords fiscaux très avantageux conclus avec le fisc luxembourgeois par les cabinets d'audit pour le compte de nombreux clients internationaux. Ces révélations ont contribué à la mise en place de mesures visant à réduire les pratiques d'optimisation fiscale et le dumping fiscal, en particulier grâce aux rescrits fiscaux (tax rulings).
Le 18 mars 2015, le « Paquet transparence fiscale », ensemble de mesures visant à renforcer la transparence fiscale, a été présenté par la Commission européenne, incluant notamment l'échange automatique d'informations entre les États membres concernant leurs rescrits fiscaux. Ce paquet a été adopté dès le 25 avril 2015 par le conseil de l'Union européenne, c'est-à-dire dans des délais très courts compte tenu de l'unanimité qui prévaut en matière fiscale. Le 6 octobre 2015, les ministres des finances européens ont définitivement entériné l'accord sur l'échange automatique entre États européens de rescrits fiscaux qui devrait fortement limiter les pratiques excessivement favorables aux grands groupes.
Le gouvernement luxembourgeois a d'ailleurs intégré dans son projet de loi relatif au « paquet d'avenir » accompagnant le budget 2015 – tous deux adoptés le 18 décembre 2014 par la Chambre des députés – un certain nombre de modifications qui visent à « moderniser le système des décisions anticipées » et à « formaliser la pratique existante » en l'inscrivant dans la loi.
C'est donc dans ce nouveau contexte que le présent avenant a été négocié et signé pour pallier l'imprécision de la convention fiscale bilatérale s'agissant des revenus immobiliers des sociétés. Conformément à la règle usuelle, la convention prévoit l'imposition des bénéfices dans le pays de localisation de l'établissement stable et celle des revenus immobiliers dans l'État de localisation des biens. Dans ce dernier cas, c'est l'article 244 bis du code général des impôts qui s'applique. La plus-value fait l'objet d'un prélèvement dont le taux est en principe fixé à 33,33 %.
Néanmoins, certains revenus de nature immobilière échappaient à l'impôt français compte tenu d'une divergence d'interprétation quant à la qualification des revenus pour l'application de la convention fiscale bilatérale.
Le Conseil d'État avait ainsi jugé, dans un arrêt du 18 mars 1994 que les revenus immobiliers, lorsqu'ils sont réalisés par des entreprises industrielles et commerciales établies au Luxembourg, relèvent de l'article 4 relatifs aux revenus d'entreprise et ne sont imposables qu'au Luxembourg en l'absence d'établissement stable en France. Il y avait en effet lieu, selon lui, d'appliquer la définition du droit interne qui assimile les revenus des immeubles possédés par une entreprise, y compris les plus-values de cession de biens immobiliers, à des bénéfices d'entreprise. À l'inverse, la Cour d'appel du Luxembourg avait considéré que ces revenus relevaient de l'article 32 et étaient donc imposables exclusivement au lieu de situation de l'immeuble conformément à l'article 4 de la convention relatif aux revenus immobiliers.
Ce conflit de compétence négative conduisait à quelques cas de doubles impositions s'agissant de sociétés françaises détenant des immeubles au Luxembourg, mais surtout à de nombreuses situations de doubles exonérations de société luxembourgeoises, de nombreux schémas d'optimisation s'étant mis en place afin de réaliser en France des profits immobiliers en franchise d'impôt.
Un avenant du 24 novembre 2006 a mis fin aux situations de doubles exonérations en cas d'exploitation ou de cessions d'immeubles situés en France et détenus directement par des résidents luxembourgeois. Ainsi, les entreprises établies au Luxembourg sont désormais passibles de l'impôt sur les sociétés en application de l'article 206-1 du code général des impôts sur les revenus des immeubles dont elles sont propriétaires en France, lorsqu'ils sont loués ou mis gratuitement à la disposition de tiers ainsi que sur la quote-part des bénéfices des sociétés de personnes françaises dont elles sont membres. D'autre part, les plus-values réalisées par des entreprises établies au Luxembourg sur des biens immobiliers situés en France, sont soumises au prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts.
En revanche, la rédaction actuelle ne vise que les cessions directes et non pas les cessions de droits d'une entité détenant des biens immobiliers en France. Il était donc facile de contourner l'avenant en créant des entités interposées. Les travaux bilatéraux de négociation d'un nouvel avenant ont débuté en 2011. Le principe de la finalisation des négociations a été acté le 16 mai 2014 à Paris, lors d'une rencontre entre M. Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, et son homologue luxembourgeois, M. Gramegna. Le projet d'avenant a été signé le 5 septembre 2014 par les deux ministres.
L'avenant soumis donc à ratification a ainsi pour objet d'ajouter à l'article 3 de la convention en vigueur, relatif aux revenus immobiliers, une disposition couvrant les sociétés à prépondérance immobilière.
L'article 1er de l'avenant introduit à l'article 3 de la convention un nouveau paragraphe relatif aux gains résultant de la cession de participations dans des sociétés à prépondérance immobilière. Il permettra à la France de récupérer le droit d'imposer les gains provenant de l'aliénation d'actions, de parts ou autres droits dans une société ou une personne morale, quelle que soit sa résidence, dont l'actif ou les biens sont constitués principalement d'immeubles situés sur son territoire ou de droits portant sur ces derniers.
Comme en droit français, les biens immobiliers qu'une société affecte à sa propre activité d'entreprise ne sont pas pris en compte pour déterminer la prépondérance immobilière. Les dispositions nouvelles ne s'appliquent pas en cas de fusion ou d'opération assimilée, comme en droit français également.
S'agissant des revenus couverts, la rédaction retenue est conforme à la formulation que la France propose systématiquement et a une portée plus large que celle figurant dans le modèle de convention de l'OCDE. En effet, elle couvre non seulement les gains réalisés sur des actions mais aussi ceux qui résultent de l'aliénation d'intérêts dans d'autres entités n'émettant pas ce type de titres (les fiducies par exemple).
L'article 2 prévoit une entrée en vigueur le premier jour du mois suivant le jour de réception de la dernière des notifications d'achèvement des procédures internes, pour s'appliquer aux revenus imposables ou faits générateurs d'imposition de l'année suivante. C'est la raison pour laquelle il serait souhaitable que l'avenant puisse être ratifié par les deux parties avant la fin de l'année. La procédure est en cours au Luxembourg. Je ne peux que donner un avis favorable à la ratification de cet avenant pour que la procédure soit rapidement achevée en France.