Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur pour avis, président :

La proposition de loi organique n° 3201 et la proposition de loi n° 3214 de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle ont été déposés les 5 et 10 novembre 2015 par MM. Bruno Le Roux, Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe Socialiste, républicain et citoyen. Elles comprennent des dispositions qui portent sur le rôle des médias durant la campagne pour l'élection présidentielle et relèvent donc, à ce titre, des compétences de notre commission. Ces deux textes seront examinés dès demain par la commission des lois saisie au fond, et sont inscrits à l'ordre du jour de la séance publique mercredi 16 décembre prochain.

Compte tenu de ces délais, j'ai dû limiter le nombre d'auditions. Il m'a toutefois semblé utile d'entendre les représentants du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Commission des sondages.

Depuis la réforme de 1962 et l'instauration de l'élection au suffrage universel direct, l'élection présidentielle est un rendez-vous central de la vie démocratique française et l'élection clé des institutions de la Ve République.

Un dispositif spécifique d'encadrement du traitement médiatique de la campagne et de l'accès des candidats aux antennes est une nécessité, car la radio et la télévision demeurent les médias prépondérants d'information des citoyens et de formation de l'opinion des électeurs, même si la révolution numérique a entraîné une multiplication et une diversification croissantes des sources d'information possibles.

Ce cadre doit concilier plusieurs objectifs fondamentaux : la liberté de communication, l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, mais également la sincérité du scrutin. Ce sont ces objectifs que le CSA s'est efforcé de faire respecter à travers ses recommandations aux services audiovisuels pour les différents scrutins, conformément aux dispositions législatives et réglementaires spécifiques à cette élection.

Toutefois, depuis une dizaine d'années, ces règles se sont révélées de plus en plus complexes à appliquer en raison de l'augmentation du nombre de médias et de candidats, ainsi que de l'apparition de nouveaux formats de chaînes – chaînes d'information en continu – et de nouveaux modes d'information et de communication en ligne – nous connaissons l'importance d'internet et des réseaux sociaux.

Si un cadre spécifique à l'élection présidentielle se justifie donc toujours pour les médias audiovisuels, il doit être adapté pour ne pas perdre en efficacité et risquer de constituer finalement un obstacle à la bonne organisation du débat public à la radio et à la télévision.

Le dépôt de ces deux propositions de loi est donc pleinement opportun, et les évolutions proposées répondent de façon juste et équilibrée à ces préoccupations. Je précise que leurs auteurs se sont notamment inspirés des recommandations du Conseil constitutionnel, de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle de 2012 et des propositions du CSA.

Au sein de la proposition de loi organique, deux articles concernent le traitement de la campagne électorale par les médias audiovisuels.

L'article 4 modifie les modalités d'accès des candidats aux médias audiovisuels à compter de la publication de la liste officielle des candidats et jusqu'au début de la campagne officielle, c'est-à-dire durant la période dite « intermédiaire » de la campagne.

Depuis 2007, le CSA, les services audiovisuels, les partis politiques, mais également le Conseil constitutionnel et la Commission nationale de contrôle, soulignent la complexité et le caractère peu satisfaisant des règles applicables durant cette période. Elles articulent une égalité des temps de parole et une équité des temps d'antenne, les services audiovisuels disposant pour ce faire d'une totale liberté de programmation. L'égalité des temps de parole, notamment, est particulièrement complexe à mettre en oeuvre compte tenu du nombre élevé de candidats présents au premier tour : douze en 2007 et dix en 2012.

Ces règles, destinées à favoriser le débat public, ont finalement conduit les chaînes à limiter le temps consacré à la campagne – car il est difficile de donner à tout le monde un temps de parole identique – ainsi que l'organisation de débats, inaudibles au-delà de trois ou quatre participants. En outre, les chaînes ont souvent été conduites à programmer des sujets non pas en fonction de l'actualité, mais pour rattraper certains déséquilibres, notamment en fin de période : la logique de guichet a fini par prendre le pas sur la dynamique de la campagne.

L'article 4 de la proposition de loi organique modifie donc ce dispositif en prévoyant d'appliquer, durant la période intermédiaire, le principe d'équité tant au temps de parole qu'au temps d'antenne. L'article précise également les « critères objectifs et rationnels » dont le CSA doit tenir compte dans son appréciation de cette équité, comme le demandait le Conseil constitutionnel. Tout en reprenant très largement les critères actuellement appliqués par le CSA, l'article leur confère ainsi une plus grande solidité juridique et permet leur opposabilité.

Enfin, comme le suggérait également le CSA, le dernier alinéa de l'article 4 étend à la période intermédiaire l'obligation d'assurer le respect du principe d'équité « dans des conditions de programmation comparables », c'est-à-dire sur des tranches horaires aux audiences similaires, alors que cette exigence ne concernait jusqu'à présent que la période de campagne officielle.

Ce dernier critère ne faisait pas partie des prérequis posés par le Conseil constitutionnel pour le passage au principe d'équité, mais il constitue pour les candidats une garantie sérieuse venant compenser le passage à l'équité sur les temps de parole, car il leur donne le droit d'être exposés sur les antennes dans des programmes aux audiences comparables.

En revanche, les « conditions de programmation comparables » constituent pour les médias, et tout particulièrement les médias généralistes, une contrainte supplémentaire qui relativise l'avantage que représente le passage de l'égalité à l'équité pour les temps de parole. Cela étant, « comparable » ne veut pas dire « identique », et cette formulation ne saurait entraîner une obligation de « coller » aux audiences Médiamétrie des différentes émissions. Ce n'est d'ailleurs pas ce que demande le CSA durant la campagne officielle. Il s'agira plutôt de tenir compte, dans la programmation relative aux élections, des audiences moyennes des différentes tranches horaires afin de faire bénéficier chaque candidat, dans le cadre de l'équité, d'une exposition médiatique équivalente.

Pour lever sur ce sujet les différentes inquiétudes et interrogations qui se sont exprimées, je défendrai un amendement proposant que le CSA précise, dans la recommandation relative à l'élection qu'il publie en application de l'article 16 de la loi du 30 septembre 1986, ce qu'il entend par des « conditions de programmation comparables ». Sous cette réserve, j'approuve globalement l'objectif et le contenu de cet article.

L'article 7 porte quant à lui sur les horaires d'ouverture et de fermeture des bureaux de vote les jours de scrutin. Il a donc des conséquences très directes sur l'activité des médias audiovisuels le soir du scrutin, puisque ceux-ci ont l'interdiction de diffuser, jusqu'à la fermeture du dernier bureau de vote, tout résultat partiel ou définitif de l'élection ainsi que tout sondage d'opinion ou estimation de résultat. Ces règles de protection de ce que l'on appelle la « période de réserve », c'est-à-dire la veille et le jour du scrutin, ont été conçues pour préserver la sincérité du scrutin et la libre formation de l'opinion et du vote des électeurs.

Toutefois, à l'heure d'internet et des réseaux sociaux, les interdictions de diffuser prématurément des résultats ou des estimations sont devenues beaucoup plus faciles à contourner. Pour résoudre cette difficulté, l'harmonisation des horaires de clôture du scrutin, ou tout au moins la réduction de l'écart entre les heures de fermeture des bureaux de vote, a été recommandée dès 2007 tant par le Conseil constitutionnel que par la Commission nationale de contrôle, la Commission des sondages et le CSA. Le fait que, jusqu'à présent, les horaires de fermeture des bureaux de vote s'étendent de dix-huit heures à vingt heures facilite en effet la divulgation, avant la fermeture du dernier bureau de vote, d'éléments de résultats partiels, définitifs, voire nationaux, à travers des estimations disponibles dès dix-neuf heures, ce dont ne se privent pas les sites internet de médias étrangers ainsi que les réseaux sociaux.

Si l'harmonisation complète de l'heure de fermeture des bureaux de vote apparaît donc comme une solution efficace et logique, elle rencontre toutefois de fortes réticences de la part des maires des petites communes pour lesquels l'allongement d'une à deux heures du temps d'ouverture des bureaux de vote et le report subséquent de l'horaire du dépouillement posent des problèmes logistiques très importants.

En réponse à ces difficultés, l'article 7 de la proposition de loi organique fait le choix d'une solution médiane : il propose de fixer entre dix-neuf heures et vingt heures l'heure de clôture du scrutin. Plus précisément, l'heure de fermeture sera fixée à dix-neuf heures, et une dérogation permettra de fermer les bureaux à vingt heures dans les grandes villes. Cette disposition réduit ainsi de moitié le temps durant lequel des résultats partiels pourraient être diffusés de façon illégale. En clair.

Si elle ne fait pas totalement disparaître les possibilités de divulgation anticipée, cette solution permettra objectivement, compte tenu des méthodes de travail des instituts de sondage, de réduire très largement les risques de voir diffuser avant vingt heures non seulement des résultats partiels – car il faudra attendre le temps du dépouillement –, mais également des estimations, qui ne devraient pas être disponibles avant dix-neuf heures quarante-cinq, heure à laquelle la plupart des électeurs auront déjà voté. Il faut toutefois être conscient qu'aucune disposition ne permettra d'empêcher la diffusion de faux sondages sortis des urnes ou de fausses estimations, uniquement destinés à manipuler l'opinion ou à nourrir des rumeurs.

Je suis en tout état de cause favorable à ce dispositif, car le gain en matière de préservation de la sincérité du scrutin et d'égalité de traitement entre médias est indéniable.

Enfin, l'article 2 de la proposition de loi ordinaire concerne directement les médias audiovisuels puisqu'il modifie les sanctions pénales réprimant la divulgation prématurée, les jours de scrutin, de résultats partiels ou définitifs de l'élection.

En complément à cet article, je vous proposerai de compléter cette proposition de loi par une modification de la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion, afin de donner une meilleure visibilité aux mises au point adressées par la Commission des sondages aux instituts et aux médias ayant publié des sondages non conformes aux exigences de la loi.

En effet, alors que la loi de 1977 prévoit que, dans les deux mois précédant un scrutin, les mises au point de la Commission des sondages doivent être diffusées ou publiées dans les mêmes conditions que le sondage en cause, et peuvent être diffusées sur les antennes des chaînes publiques, je me dois de constater que ces règles ne sont pas respectées par les médias, qu'il s'agisse de la presse écrite ou de l'audiovisuel. Or le contrôle mené par la Commission des sondages est essentiel pour éviter des effets de distorsion sur les enjeux électoraux, et seule une exposition médiatique suffisante de ses mises au point peut être à même de contrebalancer l'impact négatif de certains sondages sur la sincérité du scrutin.

C'est pourquoi je défendrai un amendement qui complète les dispositions figurant d'ores et déjà dans la loi de 1977, afin d'imposer aux sociétés de l'audiovisuel public, dans la semaine précédant chaque tour de scrutin, de diffuser sur leurs antennes la mise au point de la Commission des sondages dès lors que celle-ci en fait la demande écrite.

En conclusion, je tiens à redire mon soutien à ces deux textes qui proposent des réformes utiles pour le renforcement du caractère pluraliste de la campagne médiatique pour l'élection présidentielle, tout en préservant au mieux le libre choix de l'électeur et la sincérité du scrutin.

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