Les craintes exprimées lors du rapport de l'OPECST en 2012 se sont révélées fondées :
- malgré l'échec de son lancement du 28 juin 2015, SpaceX est en passe de réussir son pari de réduire de moitié le coût d'un lancement avec des simplifications radicales ;
- de nouveaux acteurs montent en puissance, notamment la Chine et l'Inde voire d'autres États comme les Émirats arabes unis.
Rappelons que SpaceX bénéficie d'un soutien public massif à travers un nombre important de lancements institutionnels chaque année et l'emploi de nombreux ingénieurs venant de la NASA et qu'il pratique des prix différenciés à l'exportation.
Les essais de SpaceX, à ce jour infructueux, de récupérer en bon état et à coût raisonnable des morceaux de fusée après lancement posent la question de l'évolution vers des technologies réutilisables, y compris en Europe. L'ESA, Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space y travaillent déjà.
Tous les participants de l'audition publique sont tombés d'accord pour dire que la décision, prise à Luxembourg, de construire Ariane 6 est un bon choix. L'Europe avait trop tardé à choisir le successeur d'Ariane 5 et la concurrence en a profité. Il convient néanmoins de faire preuve de prudence en raison de ruptures technologiques à venir.
Les lanceurs, qui répondent à un cycle de long terme, connaissent actuellement une optimisation des coûts à toutes les phases du processus industriel, avec comme objectif une réduction de coût de 50 % par lancement.
Avec deux lanceurs, Ariane 62 et Ariane 64, qui lui assureront modularité et flexibilité, Ariane 6 utilisera principalement des technologies éprouvées. Une forte synergie sera assurée au sein de la famille des lanceurs européens entre Ariane et Véga, avec le même moteur à carburant solide. La première version du lanceur Ariane 6 était fondée sur deux étages à propulsion à poudre. À Luxembourg, les industriels ont obtenu que le lanceur possède un moteur principal cryogénique, non réutilisable. On pourra évoquer ce point…
La rationalisation industrielle des activités spatiales est motivée par des objectifs prioritairement économiques et non plus seulement technologiques. L'intégration industrielle sera améliorée. Ce sont les conditions de la survie d'une filière européenne de lanceurs dans laquelle la France est en tête, avec un grand nombre d'emplois à la clé.
La date à laquelle les technologies réutilisables seront opérationnelles et viables économiquement constitue une incertitude majeure. Le programme LEE (Launcher Evolution Elements) de l'ESA soutient la recherche en matière de technologie réutilisable, pour préparer l'avenir. Tous les participants à la table ronde ont estimé qu'Ariane 6 ne doit pas être retardé, il doit être au rendez-vous de 2020 ; les travaux sur la récupérabilité des lanceurs sont à une échéance plus lointaine, autour de l'année 2030. Ariane 6 bénéficiera d'une adaptabilité grâce à laquelle certains éléments pourront être remplacés par des éléments réutilisables, en cas d'accélération de la maturation des technologies. Pour ces raisons, il convient de soutenir le financement du programme LEE.
La gouvernance de la politique spatiale européenne est maintenant fondée sur un modèle équilibré de partage des responsabilités, des coûts et des risques entre l'Agence spatiale européenne (ESA) et la coentreprise Airbus Safran Launchers (ASL). Cette dernière supportera en totalité les risques liés au marché commercial pendant l'exploitation, sans soutien des États membres, étant entendu qu'elle contrôlera l'exploitation commerciale des services de lancement et qu'un certain nombre de contrats seront conclus chaque année pour des lancements institutionnels européens.
Le Gouvernement français, en s'appuyant sur le CNES, continuera d'assumer ses fonctions régaliennes pour les vols institutionnels ainsi que pour le volet défense, comme il continue d'être le financeur des développements d'Ariane 6.
L'ESA et le CNES assurent la maîtrise d'ouvrage des lanceurs, le CNES gère le centre spatial guyanais, ASL assure la maîtrise d'oeuvre et la commercialisation, au travers le rachat des parts du CNES dans Arianespace.
La conférence de Luxembourg comporte un engagement des acteurs institutionnels, notamment la France, l'Allemagne, l'Italie et la Commission européenne, d'opérer cinq lancements chaque année. Il convient de rester vigilant quant au respect de cet engagement. Est-ce à dire, cependant, que l'Europe a définitivement renoncé à la préférence communautaire pour ses marchés institutionnels ?
Le rapport de l'Office en 2012 constatait déjà une gouvernance européenne complexe comparée à celle des États-Unis d'Amérique ; il appelait à redistribuer et clarifier les rôles. L'ESA et la Commission européenne ont souligné la nécessité de rapprocher, sans les confondre, leurs actions respectives, en réaffirmant la place de l'ESA dans l'expertise et la définition des actions engagées par l'Union. Nous ne pouvons plus nous permettre de doublons, nous devons accroître l'efficacité européenne. Il reste encore à fluidifier les relations entre l'ESA et la Commission européenne, à préciser la politique spatiale européenne, à définir les priorités entre les investissements lourds en fonds publics et à éviter le saupoudrage.
La règle du retour géographique n'a été remise en cause par aucun des participants à l'audition publique. C'est bien dommage ! Il reste que la plus grande prise de responsabilités par l'industrie pourra, à terme, entraîner une évolution de la règle du retour géographique, vers, par exemple, celle d'une « juste contribution », qui paraît plus compatible avec une meilleure productivité.
L'audition publique a également permis de s'interroger sur une situation dans laquelle la France finance plus de la moitié du coût des lanceurs et les deux tiers du coût du centre spatial de Kourou en Guyane, soit 1,44 milliard d'euros en 2015.