Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 24 novembre 2015 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Catherine Procaccia, sénateur, vice-président de l'OPECST :

La France représente la moitié des emplois de la filière Ariane. Comme cela avait été demandé par le rapport de l'Office en 2012, un comité de concertation État-industrie sur l'espace (CoSpace) a enfin été créé en France en 2013, sous l'impulsion de Mme Geneviève Fioraso. Il a enfin permis la définition d'une politique de filière priorisant les technologies et évitant la dispersion ou les doublons. Il poursuit une politique d'indépendance, en particulier au niveau des composants spatiaux.

L'audition publique a permis de souligner l'importance des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans l'industrie spatiale européenne. Il en a été notamment ainsi avec l'audition du directeur général de MT Aerospace (groupe OHB), représentatif du modèle allemand du « Mittelstand », c'est-à-dire ces PME et ETI spécialisées dans l'innovation et la haute valeur ajoutée, orientées vers les marchés à l'exportation, qui développent une stratégie industrielle à long terme et qui ont tissé des liens étroits avec le monde universitaire et celui de la recherche.

PME et ETI, notamment les jeunes pousses (start-up), brillent par leur expertise, savoir-faire, spécialisation, compétences, recherche, innovation, mais aussi réactivité et disponibilité. Sans elles, l'industrie spatiale ne pourrait exister. Les grands groupes industriels et les agences montrent la voie au travers de leurs programmes structurants. Il est dès lors essentiel qu'ils partagent avec les PME et ETI leurs perspectives d'évolutions techniques et technologiques. Il convient de resserrer les liens avec et entre ces PME, dont les compétences et contributions sont complémentaires. La maturité des processus d'étude et des procédés de production des PME du secteur spatial devrait leur permettre de prolonger leur valorisation sur d'autres marchés à haut niveau de fiabilité : le médical implanté, le nucléaire…

L'audition publique a montré l'importance d'équipements au sol compétitifs, techniquement et économiquement. Or dans le domaine de l'accès à internet, les équipements au sol sont quasiment tous d'origine américaine ; l'Europe devrait s'en préoccuper.

La filière spatiale européenne concerne les infrastructures – lanceurs, satellites et segments au sol – mais aussi les services en découlant qui représentent aujourd'hui plus du double de l'activité des infrastructures spatiales. Selon les chiffres de l'OCDE, les services spatiaux représentaient en 2013 un marché mondial de près de 120 milliards d'euros, soit un fort effet de levier par rapport aux 67 milliards d'euros de l'industrie spatiale.

L'audition publique a permis, pour la première fois à ce niveau, d'aborder l'arrivée des GAFA dans l'industrie aéronautique, avec notamment les projets de lancement de milliers de microsatellites de communication. Les entreprises de la Silicon Valley affichent des ambitions considérables et disposent de capacités massives d'investissement pour parvenir à fournir l'accès à internet aux plus de trois milliards d'individus qui n'en bénéficient pas encore. OneWeb vient de conclure un partenariat avec Airbus Defence and Space, Arianespace et Virgin Galactic pour construire et lancer une constellation de 900 microsatellites de télécommunication de basse altitude pour l'internet entre la fin de l'année 2017 et celle de l'année 2019. Les constellations LEO (basse orbite) de microsatellites avec propulsion électrique, voire les ballons, représentent une véritable rupture technologique. En 2012, quand nous parlions de satellites à propulsion électrique, on nous riait au nez…

L'audition publique a permis de montrer la complémentarité entre les satellites LEO (basse orbite) et GEO (orbite haute) stationnaires. Dans l'internet, les premiers sont appréciés pour leur faible latence ou pour la desserte des zones difficiles d'accès, alors que les seconds permettent un fort volume d'échange de données. Conjointement, ils amélioreront l'accès à l'internet et à la téléphonie mobile partout dans le monde, avec la disparition des zones blanches ou grises dans les pays en développement et dans les zones à faible densité de population y compris des pays développés. Si les satellites LEO offriront des services de télécommunication, la diffusion (télévision) restera cependant l'apanage des satellites GEO. Il n'en reste pas moins que l'irruption des constellations en orbite basse entraîne à terme une modification en profondeur de l'offre des opérateurs de télécommunications.

En matière de satellites, marchés institutionnel et commercial sont complémentaires. L'audition publique a permis de dresser un constat de faiblesse du marché intérieur européen au-delà des programmes phares Galileo et Copernicus. Or le spatial est un outil de développement et de service indispensable. Certains proposent un plan public visant à la connexion (internet haut débit et téléphonie mobile) du plus grand nombre possible de personne sur l'ensemble du territoire.

L'audition publique a montré l'importance de missions spatiales scientifiques comme Philae (Rosetta) ou Mars. Les scientifiques sont de plus en plus convaincus de l'existence de vie extraterrestre et les sondes que nous envoyons à l'intérieur du système solaire peuvent trouver des vestiges de cette vie, les télescopes en orbite peuvent observer des exoplanètes. Avec les lancements en orbite de la Terre concédés à l'industrie privée, la NASA concentre son activité sur l'exploration lointaine avec notamment le projet d'un vol habité vers Mars. L'audition publique a rappelé l'importance de la coopération internationale en matière spatiale, avec notamment la station spatiale internationale (ISS) et le projet de la NASA vers Mars.

Dans le contexte de la prochaine conférence internationale sur le changement climatique (COP21), il convient de noter que les satellites d'observation contribuent aux travaux du GIEC sur le réchauffement climatique, pour prévenir et mieux gérer les évolutions et les dérèglements qu'il provoque. Pour l'étude du climat, sur les 50 variables climatiques essentielles, 26 peuvent être observées seulement depuis l'espace. Le contrôle des émissions de CO2 et de méthane nécessite cependant une complémentarité de moyens au sol et spatiaux.

Aujourd'hui, commencent à apparaître des projets pour, d'une part, mesurer l'influence de l'activité anthropique sur le climat, mais surtout, pour s'assurer que les accords internationaux seront bien respectés. L'Europe ne pourra pas se contenter d'observations et mesures effectuées par ses partenaires, elle devra disposer de propres capacités permettant non seulement de mesurer ses variables environnementales, mais aussi contrôler les variables déclarées par les autres pays, notamment les émissions de CO2 ou de méthane.

Une prise de conscience internationale a eu lieu sur la question des débris spatiaux. On ne peut pas dire que les choses avaient évolué beaucoup depuis notre rapport de 2012, même si deux accords ont été signés par le CNES au Bourget. Le premier, au niveau européen, réunit autour du CNES des agences nationales pour mettre en commun les données radar dont elles disposent pour le suivi des objets spatiaux. Le second accord a été conclu avec la NASA : les Américains fournissent au CNES leurs données et le CNES leur fournit en retour sa méthodologie pour les exploiter au mieux. La meilleure façon de limiter les débris n'est pas de nettoyer l'espace, mais de ne pas le salir, avec la rentrée des étages par désorbitation. Un consensus est intervenu lors de la table ronde pour l'élaboration d'une convention internationale sur les déchets spatiaux.

L'industrie spatiale est duale, c'est un fait. Le rôle du spatial s'amplifie dans la défense et la sécurité : satellites de communication sécurisée ou d'observation détaillée, missiles balistiques pour la force de dissuasion… Les forces armées ne peuvent conduire des OPEX, notamment en Afrique, sans nos satellites. Nous sommes donc passés à une logique de dépendance. Le maintien d'une filière européenne des lanceurs permettant un accès autonome à l'espace est donc essentiel. Les technologies spatiales de défense doivent cependant rester duales si elles veulent évoluer et rester abordables. Les équipements spatiaux à usage militaire peuvent bénéficier de la baisse des prix du spatial civil, tout comme, inversement, certains acteurs civils peuvent avoir besoin de communications sécurisées par satellite.

Un autre point indiqué de manière très forte lors de l'audition publique est qu'il faut continuer d'investir dans la science et dans l'innovation. La place du spatial dans la stratégie nationale de recherche a été soulignée. En France, en Europe – comme ailleurs dans le monde –, l'industrie spatiale ne peut se passer d'un soutien public fort ; prise de risque sur des investissements lourds et à long terme et externalités pèsent sur sa rentabilité.

Tous les intervenants à l'audition publique se sont prononcés pour une meilleure connaissance de l'espace : dans les écoles d'ingénieur, les instituts d'études politiques, les écoles de commerce, voire les programmes de géographie dans les lycées… Nous avons besoin de donner envie à nos jeunes étudiants ou futurs étudiants de travailler dans l'industrie spatiale. Les activités spatiales sont une source d'innovation, d'excellence scientifique, de progrès technologique, de croissance économiques et d'inspiration pour les jeunes générations. Elles les incitent à étudier les sciences, les mathématiques, la technologie ou l'ingénierie. Si nous voulons continuer de faire rêver, nous devons transmettre ce rêve aux enfants, aux lycéens et aux universitaires.

Il convient enfin de penser « espace » dans tous les compartiments de l'action publique. La recommandation du rapport de 2012 de voir réapparaître le mot « espace » dans le nom du ministère de l'enseignement supérieur de la recherche n'a malheureusement pas encore été suivie d'effet ; nous l'avons évoquée devant le ministre lors de l'audition publique.

À la suite de ces auditions, et compte tenu des questions que nous avons posées, le CNES nous fait savoir que la réutilisabilité des lanceurs pourrait constituer un prochain sujet d'étude. Autant le sujet était éloigné des préoccupations en 2013 et 2014, autant, en 2015, il revient sur le devant de la scène dans un certain nombre de pays non européens.

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