Intervention de Bernard Meunier

Réunion du 24 novembre 2015 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bernard Meunier, président de l'Académie des sciences :

- Je vais répondre à la première question très franchement, car la dérive du ratio MSDE était pour moi une forte préoccupation lorsque j'étais à la tête du CNRS, et j'avais proposé au ministère de l'aborder sous deux angles : le nombre de postes que l'on souhaite financer au CNRS, et le rapport entre le nombre des personnes impliquées dans l'administration de la recherche et les chercheurs.

Il est évident qu'on a assisté dans les périodes fastes, lorsque le budget de la recherche croissait une et demi à deux fois plus vite que l'inflation, à une sédimentation des décisions ; au niveau de la direction générale, on s'est laissé allé à satisfaire les demandes de personnel supplémentaire émanant des services centraux et des délégations régionales ; la tendance naturelle, dans ce cas là, n'est pas de dire : « non, il faut penser au financement de la recherche », mais d'éviter de dire des choses désagréables à son entourage immédiat.

Une dérive s'est ainsi enclenchée peu à peu et on n'a pas voulu la voir ; on a pensé qu'il y aurait suffisamment de financement sur contrats de recherche, que l'Europe allait prendre le relais. On s'est persuadé qu'un surplus d'organisation de la recherche permettrait que cela marche bien.

Mais, à partir du moment où, dans nos institutions, on ne dispose pas des bons indicateurs, on ne peut pas avoir de pilotage correct ; de même, un avion avec un horizon artificiel défaillant aura immanquablement des difficultés.

Par ailleurs, nous nous sommes livrés à notre passion française pour la complexification ; nous manifestons un véritable génie dans ce domaine. Un exemple : si on interroge un professeur de l'Université d'Oxford sur les statuts de cette université, il répondra « Je ne sais pas, cela doit pouvoir se retrouver quelque part » ; en France, tous les acteurs de l'université connaissent leurs statuts puisqu'ils changent tous les quatre à cinq ans.

Quand au temps conscacré respectivement aux tâches administratives et à la recherche par un chercheur, il est très variable. Dans le cas de M. Alain Connes, professeur de mathématiques au Collège de France, sa part d'administration est très réduite ; en général, les mathématiciens sont préservés de ces tâches. Mais c'est une exception. Du temps où j'étais moi-même jeune chercheur, mon patron de laboratoire réglait les tâches administratives avec sa secrétaire en une heure et demie par semaine. Actuellement, les directeurs d'unité n'ont plus que leur samedi et leur dimanche pour faire de la recherche ; le reste de la semaine est absorbé par des tâches administratives, sauf lorsqu'ils peuvent participer, de temps en temps, à des séminaires, qui sont autant de trouées de lumière dans leur agenda.

Donc, si l'on osait évaluer la part de temps consacré par les chercheurs aux tâches aministratives, on trouverait des chiffres de 30 %, 40 %, voire 50 % ou 60 % dans certains cas. Je crois qu'il faut revenir en arrière. Pour ma part, je ne peux plus accepter, moi personnellement, d'être confronté à des formulaires de trente à quarante pages.

Récemment, j'ai pu discuter avec un fonctionnaire de la DG12 à Bruxelles, en poste depuis trente ans ; il m'a indiqué que les formulaires de l'« Horizon 20-20 » font 3 000 à 4 000 pages. Personne ne les lit. Pour les renseigner, il faut impérativement remplir la ligne N pour accéder à la ligne N+1 ; il n'est pas possible de sauter une ligne, et si le formulaire n'est pas complet, on ne peut pas déposer le projet. On passe donc son temps à effectuer ce genre de tâches.

Je suis professeur en Chine, en chimie thérapeutique : on m'a recruté après mon départ à la retraite de ma position de directeur de recherche au CNRS ; on m'a proposé un contrat de cinq ans et un budget dont je n'ose mentionner le montant, que je n'avais jamais vu au cours des quinze dernières années en France, et qui a levé toutes mes hésitations. Pour postuler, on m'a demandé de rédiger un projet ; j'ai présenté un document se réduisant à quatre pages, ce qui ne m'a pas empêché de signer mon contrat. C'est la confiance qui a permis cela. On a estimé que mon curriculum vitae garantissait ma capacité à réaliser ce que j'ai décrit dans les quatre pages, sans avoir à remplir tout un fratras de formulaires.

De toute façon, ce n'est jamais sur la base des montagnes de formulaires que les décisions sont prises. C'est cela le vrai drame. Donc simplifions, simplifions, simplifions !

Ce même exposé a été effectué devant M. Thierry Mandon, qui, dans son poste ministériel précédent, avait identifié la recherche française comme grande productrice de formulaires.

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