Intervention de Dominique Gillot

Réunion du 24 novembre 2015 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Dominique Gillot, sénatrice :

Je suis assez effrayée de ce que vous relatez, car cela confirme, certes, ce que j'entends dans mes auditions de rapporteur pour avis du budget de la recherche au Sénat mais cela l'amplifie grandement. Je souhaiterais qu'on fasse la part entre les ressentis personnels, et ce qu'il se passe effectivement dans le dialogue entre les responsables de la recherche et les autorités ministérielles, qui s'efforcent de trouver un équilibre entre la nécessité et la raison.

S'agissant de l'évolution du ratio « masse salariale rapportée à la dotation d'État » de 1960 à 2010, sa lecture pourrait être déprimante sauf si l'on considère que la dégradation peut s'expliquer par le fait que la dotation d'État diminue en réalité moins que le budget des organismes n'augmente, et vous avez-vous-même mentionné cette piste en évoquant le souhait de ne contrarier personne : il y a ainsi des choses qui perdurent et qui ne sont pas forcément utiles.

S'agissant de l'opportunité de poursuivre des études sur le Tadjikistan, il ne faut pas mésestimer l'intérêt de tel ou tel secteur de recherche mais, au contraire, mettre en avant que les responsables politiques ne font pas assez appel aux chercheurs pour éclairer leurs analyses, et étayer leurs décisions. La situation que nous vivons aujourd'hui face à la radicalisation montre le besoin de se tourner vers les travaux des chercheurs dans les domaines des sciences sociales, humaines, culturelles et cultuelles, y compris pour trouver comment accompagner au mieux nos concitoyens dans l'appréhension de ce contexte nouveau.

Je confirme que le ministre en charge de la recherche est sensible à la demande de simplification. Mais il ne faut pas non plus laisser croire que la recherche française est complètement asphyxiée par une bureaucratisation qui n'est, en fait, que relative car nous-mêmes, sur nos ordinateurs et nos tablettes, nous pouvons nous laisser complètement déborder par des courriels, des renseignements à donner ; par exemple, j'ai passé toute mon après-midi d'hier à remplir ma déclaration d'intérêts en étant confrontée à cette contrainte, parfois absurde, de ne pouvoir sauter une ligne, alors qu'elle a perdu son sens, compte tenu des autres réponses déjà faites.

Concernant l'ANR, vous évoquez une diminution de moitié de son budget, alors qu'il est de 540 millions d'euros pour 2016, ce qui est certes insuffisant pour couvrir l'ensemble des missions qui lui sont confiées, comme l'explique son président directeur général. Le chiffre, répété à l'envi, qu'il n'y aurait que 9 % des projets qui accèderaient à un financement, n'est pas exact ; c'est un résultat partiel au terme d'une première sélection en juillet qui sera corrigé par une deuxième campagne de sélection avant la fin de l'année. Par ailleurs, ce chiffre traduit aussi une inflation du nombre de projets candidats, résultant d'une simplification de la présentation du dossier qui a encouragé la multiplication des dépôts. Pour apprécier la réalité de la situation, il faudra tenir compte rétrospectivement de la qualité des dossiers retenus, et notamment de ceux soutenus par l'ANR pour l'obtention de financements européens. Néanmoins, le ministre en charge de la recherche a bien indiqué que la dotation de l'État à l'ANR avait atteint, selon lui, une valeur-plancher, en deçà de laquelle il faudrait s'interroger sur l'intérêt de maintenir une agence de financement sur projets.

Donc, aujourd'hui, je pense que, après les réformes des dernières années entreprises notamment à travers la loi LRU de 2007 instituant l'autonomie des universités et la loi du 22 juillet 2013, une mise en ordre de marche démocratique des établissements s'est engagée, notamment à travers les regroupements, qui vont permettre de refonder le lien entre l'enseignement supérieur français et la recherche. On peut donc considérer que les choses avancent et il serait temps d'avoir une attitude responsable et plus confiante vis-à-vis des nouvelles entités, en poursuivant l'effort de simplification et de réorganisation, notamment des fonctions de support.

Vous émettez une critique très vive de la capacité de la France à opérer du transfert technologique. C'est une analyse qui n'est pas confirmée par les indicateurs qui nous sont communiqués. De nombreux dispositifs sont en charge de ce transfert ; les grands organismes (CNRS, INSERM, CEA, IFPEN, …) ont des structures consacrées à cela ; les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) ont été spécialement créées en 2010 à cette fin. D'autres dispositifs existent par ailleurs (Instituts Carnot, Instituts de recherche technologique, etc.), et cela justifierait une évaluation pour clarifier le paysage et améliorer sa lisibilité car il y a peut-être des redondances. Néanmoins cette fonction de transfert à partir de la recherche française est créatrice de richesses et d'emplois, et c'est la raison pour laquelle le ministre de l'économie, M. Emmanuel Macron, vise, à travers son projet de loi dit « Noé » sur les « nouvelles opportunités économiques », à l'éclosion de toutes les petites innovations qui n'ont pas encore eu leur chance.

Si vous avez des éléments, que nous n'aurions pas, vous permettant d'étayer votre position férocement critique sur l'incapacité des entreprises françaises à profiter du fruit de la recherche, il serait utile que vous nous en fassiez profiter.

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