Intervention de Selma Mahfouz

Réunion du 10 décembre 2015 à 14h45
Mission d'information relative au paritarisme

Selma Mahfouz, directrice adjointe de France Stratégie :

Le scepticisme et la perplexité sont des réactions très fréquentes. Mais j'ai aussi été frappée par les attentes qui se sont exprimées dans les auditions que nous avons réalisées. J'ajoute que la réflexion sur un lien entre les droits et la personne est ancienne, et qu'elle n'est pas menée seulement en France, mais aussi par exemple aux États-Unis, autour du Brookings Institute notamment – les phénomènes de transformation du marché de l'emploi sont similaires et les débats sur un activity account se tiennent en des termes vraiment très proches.

Tout l'enjeu du CPA, c'est que cela fonctionne. Le compte prévention pénibilité ouvre ainsi un droit nouveau ; mais, en pratique, l'objet ne fonctionne pas. Le CPA offre une possibilité de personnaliser des droits, la possibilité pour l'État d'abonder le compte de certaines personnes et donc d'avoir des politiques publiques très fines.

Il s'agit aussi de protéger de façon plus uniforme les transitions professionnelles, afin de les rendre moins brutales – ce qui sera bon aussi pour les entreprises, qui ont besoin d'une main-d'oeuvre plus mobile, plus adaptable, plus audacieuse. Notre rapport rappelle que notre marché du travail est aujourd'hui très segmenté, avec des marges précaires et des personnes insérées qui craignent énormément de ne plus l'être, et limitent donc leurs transitions professionnelles. L'enjeu est donc immense.

L'universalité est un point majeur. En effet, si le CPA n'a pas le même contenu pour tous, alors une transition entre des statuts fait perdre ou gagner des droits, et c'est une désincitation. L'enjeu est bien de faciliter le passage du statut de salarié d'une grande entreprise, avec une bonne complémentaire santé et des avantages de tous ordres, à celui d'indépendant, par exemple.

Que l'on mette en place le CPA ou pas, beaucoup de choses devront être réinventées si l'on sort du modèle du salariat – l'organisation de la formation professionnelle, l'assurance par exemple contre le risque de non-activité des indépendants… Ces questions se poseront quoi qu'il arrive.

La fongibilité sera bien sûr encadrée. Elle existe d'ailleurs déjà, comme vous l'avez souligné, monsieur Robiliard, pour le compte prévention pénibilité : on sait tracer des limites, orienter…

À mon sens, avant même la fongibilité, c'est la portabilité des droits qui est au coeur du CPA : ainsi, les droits à congé parental que j'acquière grâce à mon ancienneté dans l'emploi doivent me suivre. Je n'ai pas dit que c'était simple à réaliser !

Un compte en points suppose effectivement l'établissement de barèmes de conversion. Ceux-ci peuvent être de toutes sortes, mais le point permet de définir une sorte de monnaie de conversion. Concrètement, du point de vue de l'usager, la question des points ne se pose pas tout à fait de la même façon : l'utilisateur veut surtout savoir quels sont ses droits dans différents domaines, à combien d'heures de formation il a droit, par exemple.

S'agissant de la gouvernance, vous évoquez, monsieur le rapporteur, un modèle que vous appelez « paritarisme », où se succèdent une feuille de route donnée par le pouvoir politique, des négociations paritaires, un passage au Parlement. Dans le cas du CPA, il faudra d'ailleurs sans doute que ces étapes soient réitérées. Je parlerais là plutôt, pour ma part, de tripartisme : ce n'est pas le modèle AGIRC-ARRCO d'un paritarisme pur, avec un État plus en retrait.

Dans le cas du CPA, j'imagine mal une gestion paritaire de ce dernier type. Il manquerait trop de gens autour de la table, et je ne vois pas comment ceux qui manquent pourraient être représentés. En revanche, on peut penser à un mélange d'étapes variées, avec des consultations des usagers, des phases de test – nous avions pensé à des expérimentations, mais cela paraît complexe à organiser pour quelque chose qui doit suivre l'usager tout au long de sa vie –, des négociations, et surtout l'intervention de l'État et du Parlement pour définir l'intérêt général.

S'agissant enfin de l'accompagnement, notre rapport insiste sur le fait qu'il sera nécessaire, et qu'il faudra dégager des moyens. Le CPA est, j'y insiste, un objet numérique. Au fil de nos travaux, nous avons en effet dégagé la conviction que le numérique pouvait apporter énormément, y compris pour l'accompagnement. Aujourd'hui, pour obtenir un renseignement, les gens ne vont pas d'abord voir leur conseiller Pôle Emploi : ils vont sur internet, ils posent leur question sur un forum… Le conseiller virtuel pour les retraites est d'ailleurs en train de se mettre en place. Et, aujourd'hui, certains systèmes permettent une réponse automatique aux premières questions puis, si celles-ci sont trop complexes, une intervention humaine. Le système peut aussi apprendre au fur et à mesure. L'accompagnement peut donc se faire, jusqu'à un certain point, en ligne. On rejoint ici la question du syndicalisme de services.

L'accompagnement en face-à-face sera également indispensable : la question des moyens sera centrale.

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