Je souhaiterais préciser ce qu'est le paritarisme, car une certaine confusion règne au sujet de ce que sont le dialogue social, la négociation collective, la gestion paritaire et le paritarisme lui-même.
À nos yeux, le paritarisme est une façon d'administrer des droits sociaux entre les organisations syndicales et patronales. Pour sa part, la négociation collective peut aboutir à des accords susceptibles de conduire à une gestion paritaire ; c'est le cas de l'assurance chômage, des retraites complémentaires et de la formation professionnelle. Mais cela ne se produit pas toujours, et je distingue le dialogue social de la négociation collective : le premier est un mode de formalisation du dialogue entre employeurs et salariés qui peut passer par la négociation collective aussi bien que par la concertation en entreprise, à travers des institutions telles le comité d'entreprise, les délégués du personnel ou les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) notamment.
Pourquoi fait-on de la gestion paritaire ? Force ouvrière y est historiquement attachée, car les syndicats ont des choses à dire sur les questions sociales comme la formation professionnelle, la qualification des travailleurs, l'allocation de la force de travail et le salaire différé. La gestion paritaire est encore une façon d'agir en responsabilité. La gestion d'une caisse, le service d'allocations sont des actes qui amènent à la responsabilité collective. Comme je l'ai entendu tout à l'heure, il s'agit d'une manière de troisième voie entre le tout-marché et le tout-État.
La question posée au sujet du mandat sous-tend le débat relatif à la possibilité d'être à la fois gestionnaire et négociateur. Pour ma part, je suis membre du bureau de l'Unédic et je négocie par ailleurs des conventions d'assurance chômage, situation que je ne vis pas sur un mode schizophrénique. Notre organisation nous confie un mandat dont nous délibérons dans nos instances, et nous le respectons. Ainsi, au moment de la dernière négociation AGIRC-ARRCO, nous détenions la vice-présidence de l'ARRCO, mais nous avons dû nous montrer cohérents : lorsqu'on ne signe pas un accord, on ne revendique pas ensuite la présidence. Au demeurant, cela n'a pas été simple compte tenu de la responsabilité historique qu'avait FO dans le domaine des retraites complémentaires.
Lors de la fusion de l'ANPE et des ASSEDIC, l'Unédic a perdu beaucoup d'expertise. Elle en a recouvré une grande partie et cela est sensible dans le suivi des conventions. Elle a reconstitué un service de l'évaluation et de la statistique qui travaille en bonne intelligence avec les services de l'État et Pôle emploi. Il nous est d'une aide précieuse dans les négociations.
Notre organisation a adressé un courrier à l'ensemble des organisations syndicales et patronales au sujet des procédures de négociation interprofessionnelles, dont nous pensons qu'elles doivent être améliorées des points de vue de la préparation, du mode de négociation, du lieu – qui revêt, en effet, un aspect symbolique – et de la gestion des expertises extérieures. Ces questions, nous les traitons comme des objets politiques et syndicaux, nous ne les amenons pas devant la justice. Nous n'avons pas hésité à saisir la justice au sujet de conventions d'assurance chômage, mais jamais sur des questions de loyauté. D'ailleurs, la CGT a été déboutée par le tribunal de grande instance, la cour d'appel et le Conseil d'État qui a rejeté son argumentation portant sur la loyauté.
En France, le législateur nous délègue la gestion paritaire de l'assurance chômage, et donc le soin de fixer des paramètres d'indemnisation. Votre question sous-jacente porte sur la capacité de la gestion paritaire à s'adapter à un contexte économique et social constamment mouvant. Chaque convention relative à l'assurance chômage ou à la formation professionnelle adapte des paramètres d'indemnisation particuliers. Le schéma n'est pas figé depuis 1958. Par exemple, les activités réduites ont été prises en compte en 1995. Le nombre des filières d'indemnisation a été ramené à une seule en 2009. L'adaptation se fait en permanence par rapport au marché du travail. Les règles d'indemnisation influencent les acteurs économiques, les employeurs comme les demandeurs d'emploi ou les salariés. Il ne s'agit donc pas d'une bulle éthérée, coupée des réalités du marché du travail. Pour autant, ce n'est pas l'assurance chômage qui réglera le chômage de masse qui sévit en France depuis vingt-cinq ou trente ans.
Devant cette situation, l'État et le Parlement nous demandent de répondre à des injonctions paradoxales.
Face au chômage de masse, on est tenté de mettre tout le monde en formation, chargeant ainsi la formation professionnelle d'un fardeau qu'elle ne peut pas porter. Dans le cadre du fonds paritaire, qui gère un peu plus d'un milliard d'euros, les sommes ne peuvent pas être mobilisées sans qu'une convention avec l'État ait été passée. L'assurance chômage ne peut pas fonctionner en l'absence de l'agrément de l'État.
De la même façon, l'assurance chômage ou les retraites AGIRC-ARRCO sont incluses dans le périmètre des dépenses publiques suivies au titre du traité de Maastricht. On dit aux partenaires sociaux qu'ils sont libres de leur gestion et qu'il leur revient de déterminer collectivement, à travers un accord, les paramètres de l'indemnisation. Mais lorsque l'endettement cumulé menace d'atteindre 27 milliards d'euros, on comprend que l'exécutif, quel qu'il soit, ait intérêt à ce qu'un accord soit trouvé, plutôt que de « reprendre le bébé ». À cet égard, je rappelle qu'en 2008, l'assurance chômage était sur le point de revenir à l'excédent et qu'un courrier de François Fillon, alors Premier ministre, nous a enjoints de verser une partie des cotisations du régime à la caisse de retraite. Le système paritaire est ainsi constamment confronté à des demandes qu'il n'est pas en mesure de supporter.
Le chômage de masse influe sur nos relations avec l'État et le Parlement. Dès lors, les négociations sont rendues très difficiles, et les prochaines discussions relatives à l'assurance chômage ne pourront qu'être encore plus complexes que les précédentes. De fait, le régime de l'assurance chômage est particulièrement sensible à la conjoncture économique en entrées – soit en cotisations – et en sorties – soit en indemnisations –, et son déficit ne peut aujourd'hui que s'aggraver. Cela n'est pas le cas pour le régime des retraites complémentaires, qui n'est très sensible qu'aux entrées.
L'ensemble de ces paramètres concourt à perturber la relation entre État, Parlement et gestion paritaire. Tant que le chômage de masse pèsera sur elles, la situation risque de se dégrader. Et la pire des tentations serait de recourir à la complète étatisation de l'assurance chômage et de la formation professionnelle, même si, quelque part, cela pourrait nous faciliter la tâche.