Je vous remercie d'avoir précisé l'environnement dans lequel se situe le débat, ce qui est de nature à faciliter nos échanges. J'étais d'autant plus surpris que lorsque j'avais été auditionné en tant que vice-président de l'Unédic, la tonalité des échanges était d'une nature assez différente.
Comme nous avons préparé des réponses à vos questions, nous vous les remettrons. Je vais donc reprendre avec un peu plus de hauteur les enjeux dont vous venez de parler.
Commençons par la question du fond des accords. L'assurance chômage, telle qu'elle a été conçue à l'époque, est-elle de nature à répondre à l'environnement d'aujourd'hui ? Nous pourrons aussi rappeler le contexte dans lequel les partenaires sociaux et vous-mêmes êtes placés lorsque nous devons traiter ces questions et de la gestion.
L'assurance chômage a été conçue, comme d'ailleurs bien d'autres éléments de la protection totale en France, à une époque dont les caractéristiques économiques et sociales étaient très différentes de celles que nous connaissons aujourd'hui. C'était un mécanisme d'assurance typique : la croissance était alors régulière et s'il se produisait parfois un accident de conjoncture, il était en général très limité dans le temps. On était donc capable d'absorber assez facilement l'accident et on revenait sur un cycle de croissance.
Ce qui se passe depuis mi-2008 est autre chose qu'une crise au sens classique. On assiste à une transformation très importante de l'environnement en raison de la globalisation de l'économie, et beaucoup d'entre nous ont encore du mal à y répondre. L'émergence de ce que l'on appelle une économie du partage modifie les grands équilibres que l'on connaissait jusqu'à présent. Du côté de l'emploi, on voit s'accumuler au fil des ans des éléments de nature conjoncturelle, mais également structurelle : une part du chômage trouve ses causes ailleurs que dans la baisse du volume d'activité, et notamment dans cette formidable inadéquation entre l'offre et la demande. Entre 150 000 et 170 000 jeunes sortent chaque année sans aucune qualification et 90 000 étudiants quittent l'université en milieu de cursus, donc sans aucun diplôme. Une étude de France Stratégie sur l'illettrisme, réalisée récemment, rappelle que non seulement le niveau d'illettrisme en France est élevé, mais qu'une partie non négligeable des actifs ne possèdent même pas le socle de compétences minimales en français et en mathématiques. Et après, on parle du scandale de la formation… Le véritable scandale, c'est que le système éducatif n'est plus en mesure de produire des hommes et des femmes armés pour aborder l'environnement dans lequel il nous faut désormais évoluer. C'est vrai, l'environnement a profondément changé et l'assurance chômage, telle que nous l'avons conçue, pose question.
Les partenaires sociaux ont pour mission de négocier l'indemnisation. Mais l'accompagnement est totalement absent du champ de la négociation. Et du coup, dans bien des domaines, on s'excuse de la faiblesse de l'accompagnement en surindemnisant – il n'est qu'à comparer avec ce qui se passe autour de nous, en Europe. La France a fait le choix de la dualité du marché du travail : d'un côté, elle protège certaines catégories de concitoyens qui ont accès au travail et, de l'autre, elle protège ceux qui n'y ont pas accès en les indemnisant. La France n'a pas fait ce qu'il fallait. Mais nous avons aussi notre part de responsabilité puisque nous n'avons pas fait collectivement ce qu'il fallait pour que les gens privés d'emploi puissent y revenir rapidement.
J'ai été le négociateur du dernier accord d'assurance chômage. Il est clair que quand vous êtes négociateur et qu'avant même que vous ayez ouvert la bouche, l'exécutif au niveau le plus élevé vous annonce d'emblée – et c'est vrai quel que soit le gouvernement – que le chômage est très élevé et que, dans ces conditions, il n'est pas question de toucher à quoi que ce soit, cela ne facilite pas la recherche de réponses innovantes et courageuses aux problèmes posés !
Lorsque s'est posée la question délicate des intermittents du spectacle, on a laissé les partenaires sociaux traiter le sujet dans des conditions relativement éprouvantes. Ils avaient finalement trouvé un accord, mais l'exécutif est passé derrière, s'est saisi du sujet et, après une concertation assez minimaliste, leur a imposé un système d'une grande complexité qu'ils vont devoir eux-mêmes mettre en oeuvre…
Tous ceux qui sont venus à cette table, y compris les organisations syndicales représentants des salariés, vous l'ont sans doute dit : le paritarisme n'est pas sans faiblesses, il doit incontestablement progresser, mais il a également certaines vertus. La première est qu'il amène ceux qui prennent des décisions politiques à en assumer ensuite la gestion ; c'est probablement un levier extrêmement utile pour nous responsabiliser. Il a été question, à un moment, de laisser les partenaires sociaux mettre en place le cadre politique par voie d'accord puis de le sous-traiter à d'autres organismes ; je crois pour ma part qu'il y a un lien très fort entre la prise de décisions politiques et la gestion. Les personnes qui prennent de bonnes décisions sur le plan stratégique et politique en général comprennent comment cela marche et ceux qui exécutent la gestion le font bien parce qu'ils sont clairement associés à la décision. Le paritarisme, en particulier dans le champ de l'assurance chômage, a permis de responsabiliser les acteurs sociaux que nous sommes. Ce n'est pas évident d'être confronté à des arbitrages financiers extrêmement délicats ; nous sommes endettés, il nous faut aller chercher les moyens de remplir notre mission. Cette sensibilisation à l'aspect économique et financier me paraît indissociable des responsabilités qui sont les nôtres.
Je partage tout à fait votre préoccupation sur la question de la protection sociale dont fait partie l'assurance chômage – d'une certaine manière, car elle n'est pas gérée de la même manière que la sécurité sociale, la famille, les retraites ou les accidents du travail. Mais, dans sa finalité, c'est bel et bien un des éléments de la politique de protection sociale d'un pays. Il faut sans doute travailler rapidement pour mieux comprendre en quoi ce que l'on appelle l'économie du partage est susceptible d'affecter à la fois le contenu des systèmes de protection sociale et leur pilotage. N'oublions pas enfin que le temps du politique et le temps des partenaires sociaux sont complètement décalés par rapport au rythme des transformations auxquelles sont soumis notre pays et notre économie. Quid des droits et des contributions demandées à un individu dans un modèle économique où, durant la journée, il sera salarié dans une entreprise selon le modèle traditionnel, avant, le soir, de recevoir chez lui, voire à sa table, des clients, cependant qu'un membre de sa famille s'occupera de la promotion commerciale de sa deuxième activité ? Un nouveau modèle est en train de se développer, qui amène à se poser la question des droits auxquels pourront prétendre les gens qui évolueront dans cette économie du partage, et celle de leur financement : sur tout ce qui touche aux modalités de cotisation et à la fiscalité du système, on en est au tout début des réflexions, mais il va falloir apporter rapidement des réponses.