Intervention de Pierre Burban

Réunion du 10 décembre 2015 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Pierre Burban, secrétaire national de l'union professionnelle artisanale, UPA :

Je partage totalement ce qu'a dit Jean-François Pilliard – ce n'est pas toujours le cas.

La France a besoin de confiance. Il faut cesser de passer notre temps à décrédibiliser les uns et les autres, sinon il ne faut pas s'étonner si les extrêmes progressent. Aujourd'hui, la classe politique traditionnelle est décrédibilisée ; et très souvent, les partenaires sociaux le sont aussi. Ensuite, c'est la porte ouverte à tout et n'importe quoi. J'ai bien entendu les remarques qui ont été formulées par M. Germain.

Faisons comme nos amis québécois : positivons ! La France s'en portera beaucoup mieux.

Vous abordez la question du paritarisme sous le prisme de l'Unédic. Mais n'oublions pas que les retraites complémentaires, par exemple, sont elles aussi gérées de façon paritaire. L'UPA est très attachée au paritarisme. Si elle a voulu devenir partenaire social, c'est parce qu'elle a considéré que c'était le meilleur moyen de fixer des règles pour nos catégories d'entreprise. Pendant très longtemps, on a pensé grands groupes. Dans les années soixante-dix, tous les bons économistes soutenaient que l'artisanat et le commerce de proximité étaient appelés à disparaître au profit des grands groupes. Ces économistes avaient certainement raison au vu des éléments dont ils disposaient : l'heure était à la concentration des entreprises et l'informatique était inaccessible pour les petites entreprises, pour des raisons de coût et presque de place. Or ce qui s'est passé dans les années 80-90 a montré l'inverse. Aujourd'hui, 97 % des entreprises françaises comptent moins de 50 salariés, 53 % des salariés y travaillent. Moins de 10 % des salariés travaillent dans des entreprises de plus de 500 salariés. Les partenaires sociaux doivent adapter les règles qu'ils négocient à ces catégories d'entreprise. Ce que nous faisons n'est peut-être pas parfait, mais nous essayons de le faire.

Je ne sais pas si vous connaissez le guide MANDASCOP ; ce document est une première approche du paritarisme – le paritarisme pour les nuls, en quelque sorte… C'est en tout cas un outil intéressant, car on sent parfois une méconnaissance de ce qui est fait dans le cadre du paritarisme.

Vous nous demandez pourquoi les conventions d'assurance chômage apparaissent désormais comme subordonnées à des accords interprofessionnels préalables. Il se trouve que l'UPA n'a commencé à négocier qu'en 1989 ; depuis cette date, nous n'avons connu que ce système. Par définition, la convention est le socle global. On ne renégocie heureusement pas la totalité de la convention – c'est le cas aussi à l'AGIRC-ARRCO. On n'en renégocie que des parties ; du coup, il y a donc systématiquement négociation d'un accord, puis les services de l'Unédic ou de l'AGIRC-ARRCO intègrent les modifications dans la convention de base. Il n'y a donc rien de nouveau sous le soleil.

Votre mission d'information ne peut pas ignorer ce qui est en train de se passer avec le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle et la préparation d'un projet de loi par Mme Myriam El Khomri.

Vous nous avez interrogés sur le développement de la judiciarisation – notion que, pour ma part, je préfère à celle de juridisme. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il s'est aggravé. En général, ce qui se passe aux États-Unis arrive en France dix ou vingt ans plus tard. La judiciarisation a plutôt commencé du côté des syndicats de salariés, qui sont mis à intenter des recours divers et variés. Mais les organisations patronales que nous sommes y participent aussi. Cela étant, si ce phénomène se développe, c'est aussi parce que les règles votées ici même ne sont pas toujours d'une grande clarté et sont souvent sujettes à interprétation. Le juge doit appliquer les règles de la République telles qu'elles sont écrites. Nous devons faire des efforts pour aboutir à des textes plus clairs qui soient moins sujets à interprétation. La judiciarisation a plutôt commencé dans le cadre des procédures d'agrément ou d'extension, devant les juridictions administratives, en particulier le Conseil d'État. Il se trouve qu'il y a maintenant un développement plus récent dans l'ordre civil. Tout ce qui contribuera à réduire la judiciarisation sera bienvenu. Mais, de grâce, la législation étant déjà très complexe – d'ailleurs les partenaires sociaux ont leur part de responsabilité – n'allons pas inventer un ordre juridictionnel nouveau…

Comme je l'ai dit, l'UPA a souhaité devenir partenaire social parce qu'elle considère, à tort ou à raison, qu'il faut vivre dans un environnement. Nous estimons que l'État doit être présent afin qu'il joue un rôle de régulation, de respect des règles de concurrence. Nous ne sommes pas favorables à la suppression des lois et décrets. Pour autant, ils doivent fixer des grands principes sans intervenir dans tous les aspects de la vie des entreprises. C'est pourquoi nous attachons une grande importance à la négociation. Sans interdire évidemment le développement de la négociation d'entreprise, l'UPA est plutôt favorable à la négociation de branche, alors que le MEDEF est plutôt favorable au tout-entreprise. Je me souviens que lors les débats sur le temps de travail, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, les discussions ont porté sur le temps d'habillage et de déshabillage. Or cette question se pose dans certaines branches mais pas dans d'autres. Ne peut-on pas renvoyer de tels sujets à la négociation ? En tout cas, nous y sommes attachés.

Les partenaires sociaux ont eux aussi évolué ; ils ont su s'adapter, tant dans le champ de l'assurance chômage que dans les autres domaines de la négociation paritaire. Avant les années quatre-vingt-dix, dans la convention d'assurance chômage, on ne définissait que la cotisation qui permettait de financer une indemnité. L'UPA s'est demandé s'il fallait utiliser les cotisations des entreprises et des salariés pour faire autre chose que de l'indemnisation. C'est finalement ce qui a été décidé : désormais, l'assurance chômage finance aussi de la formation, de l'accompagnement.

Toujours raisonner en termes de pouvoir et travailler en silo, c'est-à-dire en ignorant l'autre, sont deux maladies très françaises. Le pouvoir est toujours très relatif, à quelque niveau où l'on se trouve. L'UPA a toujours considéré que nous étions plus intelligents à plusieurs. Quand on regarde ce qui se fait dans le champ des partenaires sociaux, on se rend compte, là encore, que les choses ont beaucoup évolué. Dans le domaine de la formation professionnelle, par exemple, on organise maintenant des réunions quadripartites : l'État, les régions, les partenaires sociaux, employeurs et salariés. Chacun a son rôle et ses missions propres. Plutôt que d'inventer sans cesse de nouveaux dispositifs, de modifier les institutions, de changer les organismes, essayons de coopérer et de faire en sorte que les gens travaillent ensemble. C'est en travaillant ensemble qu'on s'aperçoit finalement qu'on a les mêmes objectifs et que les positions sont moins éloignées qu'on le pense.

Nous-mêmes, nous pratiquons le dialogue social en interne, dans le cadre de nos commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l'artisanat, qui ne font d'ailleurs pas toujours plaisir à nos amis du MEDEF et de la CGPME… Faire parler des patrons artisans avec des représentants des salariés a du bon. Il faut sortir de cette confrontation permanente fondée sur l'idée que nous aurions des intérêts totalement divergents, ce qui est faux. Le message à faire passer est le suivant : poursuivons nos efforts – cela a commencé dans le champ de la formation professionnelle – pour travailler mieux ensemble.

L'État ne contraint pas les partenaires sociaux. Il y a la loi « Larcher » que nous avions appelée de nos voeux à l'UPA, pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure. Il est préférable que les acteurs qui connaissent le mieux le sujet s'occupent des relations du travail entre employeurs et salariés.

Il faut savoir travailler ensemble. Nous sommes parfois frustrés lorsqu'on nous impose des délais, car les délais des partenaires sociaux ne sont pas ceux du monde politique. Il y a aussi des problèmes de transposition. Mais les choses ont progressé, s'agissant des dernières transpositions, ce qui a abouti à un dialogue plus construit et plus constant.

Pour ce qui est de l'évolution du paritarisme et du dialogue social, globalement, les préconisations du rapport Combrexelle nous vont bien.

J'en viens à la question de l' « ubérisation » et de l'économie collaborative.

Nous appelons votre attention sur ces nouveaux phénomènes. En ce qui concerne UberPop, on s'est aperçu in fine que ce n'était ni légal ni constitutionnel. Nous avons le sentiment que les pouvoirs publics, aujourd'hui, ne font plus respecter les règles de la République. Autrement dit, ce n'est pas parce que vous avez désormais des plateformes internet qui vous permettent d'avoir des échanges et de faciliter des pratiques – qui existaient avant, sauf que cela se faisait par le bouche-à-oreille – que cela vous exonère des lois de la République : lorsqu'on dégage des revenus d'une activité, ceux-ci doivent être assujettis à l'impôt et aux charges sociales. Ne laissons pas croire que si cette activité se fait par l'intermédiaire d'une plateforme internet, on ne serait assujetti à rien. Et quand je parle de l'impôt et des charges sociales, c'est le haut de l'iceberg : il y a tout le reste, l'ensemble de la réglementation applicable aux activités. Ne laissons pas à penser qu'il y aurait deux poids, deux mesures, au risque de provoquer le mécontentement.

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