Je commencerai par la formation des demandeurs d'emploi, en m'appuyant sur l'expérience que j'ai vécue en entreprise, dans une branche et au niveau interprofessionnel.
Une partie du chômage, en France, est un chômage structurel, lié à la qualification très faible, sinon inexistante, des jeunes par rapport aux besoins du monde du travail. Il faut avant tout traiter le mal à la racine.
On a souvent l'impression que les 150 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans aucune qualification et les 90 000 jeunes qui sortent de l'université font partie du patrimoine de la France… On devrait se révolter contre cet état de fait et s'attaquer sérieusement à ce problème, qui n'a jamais été réellement pris en compte. Ou, s'il l'a été, les solutions apportées n'ont pas été à la hauteur des enjeux puisque le chiffre est resté pratiquement le même au fil des ans. Le constat est terrible.
Sommes-nous prêts collectivement à travailler sérieusement sur cette question, qui concerne les entreprises ? Les entreprises ont leur part de responsabilité, car elles doivent être en capacité de fournir davantage d'informations pertinentes sur les volumes et la nature des emplois dont elles auront besoin, pour faciliter le travail de ceux qui sont chargés de former ces acteurs. Mais de votre côté, vous avez, en tant que parlementaires, à prendre les décisions qui relèvent de votre compétence, dans le champ de l'orientation professionnelle, par exemple.
Pour avoir présidé pendant huit ans l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), j'ai suivi ces questions de très près. Comment voulez-vous qu'un jeune soit correctement accompagné dans l'orientation, dès lors que celui qui doit l'aider à s'orienter n'a jamais approché le monde de l'entreprise ?
Ensuite, la performance des acteurs, en particulier de Pôle emploi, dans la formation des demandeurs d'emploi, est encore très loin du compte, même si elle s'est améliorée. On a commencé à le faire au sein de Pôle emploi : il faut distinguer ceux qui relèvent quasi systématiquement d'une formation dès le départ et ceux qui n'en ont pas besoin ou qui peuvent y accéder plus tard.
Pour un câbleur ou une câbleuse de cinquante-cinq ans avec un niveau CAP, qui fait depuis trente ans le même métier et qui perd son emploi, on n'a pas besoin de six mois pour savoir qu'il faudra lui donner les bases nécessaires pour aller vers d'autres formations techniques. A contrario, lorsqu'il s'agit d'un jeune cadre de trente ans surdiplômé, qui part d'une grande entreprise dans le cadre d'un départ volontaire et qui passe par la case Pôle emploi, en ayant déjà, en général, un emploi dans une autre société, avec une augmentation de salaire, il n'y a pas besoin d'une étude approfondie pour comprendre qu'il est urgent de ne pas investir pour lui le moindre euro ou la moindre énergie en formation ! Ce sont ces principes de bon sens qui devraient présider aux choix en matière de formation professionnelle.
Enfin, la formation n'est pas la réponse systématique aux demandeurs d'emploi. En admettant que nous ayons les moyens de former la totalité des demandeurs d'emploi, je ne suis pas sûr que ce serait la solution. Le sujet est plus complexe. Il y a la formation, mais aussi la construction du projet professionnel. S'agissant de l'assurance chômage, il y a un vrai sujet que j'appellerai « les droits et les devoirs des chômeurs ».
Notre société a le devoir d'apporter à ceux qui ont perdu leur emploi les moyens d'en retrouver un et d'être indemnisés dans des conditions leur permettant de vivre de façon décente. Mais celui qui reçoit de la part de la société ou, en l'occurrence, du système d'assurance, ses indemnités de chômage, a également des devoirs vis-à-vis de l'assurance chômage. En Allemagne, par exemple, quand vous avez perdu votre emploi et qu'on vous en propose un à moins de 300 kilomètres de votre domicile, avec une baisse de salaire n'excédant pas 20 % par rapport à votre salaire antérieur, vous avez le droit de refuser, mais vous subissez un premier abattement. Si vous refusez une deuxième fois, vous subissez un deuxième abattement. La troisième fois, vous vous retrouvez aux minima sociaux. En France, il existe des règles de ce type, mais elles ne sont jamais appliquées : on trouve toujours de bonnes raisons pour expliquer que ce n'est pas le moment. C'est en tout cas un élément fort en termes de retour à l'emploi.
J'en viens à l'incitation au retour à l'emploi. Aujourd'hui, il est indécent de fustiger les chômeurs. La perte d'un emploi est, pour la majorité des gens, un drame qui a des conséquences sur le plan professionnel, mais aussi personnel. Toutefois, le système, notamment pour les moins qualifiés, est conçu de telle façon, compte tenu du mode d'indemnisation, qu'il encourage davantage à rester dans le système qu'à en sortir. Une personne très peu qualifiée qui a toujours exercé le même métier et qui perd son emploi sait que, quoi qu'il arrive, elle sera indemnisée quasiment au même niveau pendant deux ans. Si vous lui proposez un premier emploi à dix kilomètres de son domicile, dans un environnement de travail différent de celui qui était le sien auparavant, il y a certes une prise de risque. Or la prise de risque du retour à l'emploi est insuffisamment accompagnée. Mieux vaudrait qu'un euro utilisé en matière d'assurance chômage serve à accompagner celui qui prend le risque de revenir à l'emploi, surtout les personnes les moins qualifiées, plutôt qu'à surindemniser.
En ce qui concerne la gouvernance, nous en sommes au stade des moyens. En matière de formation, la gouvernance a beaucoup évolué ces dernières années. Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels a été mis en place, des articulations se font avec les régions, mais il faut aller plus loin dans ce domaine.
Ensuite, je l'ai constaté à l'occasion de mes nombreuses expériences puisque j'ai présidé l'AFPA et l'Unédic et que je suis vice-président de Pôle emploi, il y a toujours l'envie légitime de mettre autour de la table l'ensemble des acteurs. Mais, je l'ai vécu pendant huit ans quand j'étais président de l'AFPA, dès lors que vous avez autour de la table les organisations syndicales, les organisations patronales, les régions et l'État, il devient difficile de faire vivre la gouvernance de façon active… Nous aurions intérêt à avoir l'ensemble des acteurs parties prenantes autour de la table, mais cela mérite que nous nous interrogions sur l'efficience de la gouvernance.
En ce qui concerne l'assurance chômage, nous avons un bureau et un conseil d'administration, le conseil d'administration étant l'organe souverain. Mais dans les faits, si nous fonctionnions uniquement avec le conseil d'administration, avec cinquante administrateurs autour de la table, la situation serait plus difficile.
Cela m'amène à la question de Mme Le Dain, sur la professionnalisation des acteurs. Nos missions, en tant que partenaires sociaux, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, ne sont pas exercées par des bénévoles. Il ne suffit pas d'être sympathique et disponible. Elles sont devenues de véritables métiers qui exigent une professionnalisation.
J'en arrive à votre question sur l'ingérence de l'État et les objectifs financiers. L'assurance chômage, au même titre que les retraites complémentaires, fait partie du périmètre des dépenses publiques prises en compte au niveau européen dit de Maastricht. Il est donc tout à fait légitime que les partenaires sociaux soient en capacité de travailler et de démontrer qu'ils sont capables de ramener à l'équilibre les régimes dont ils ont la charge. C'est ce que nous avons fait récemment à travers l'accord sur les régimes de retraite complémentaire.
Concernant l'assurance chômage, un taux de chômage d'environ 9 % permet de ne pas compromettre l'équilibre financier. Aujourd'hui, nous avons un dilemme, qui est aussi le vôtre quand vous gérez la dépense publique : si nous voulons ramener le régime d'assurance à l'équilibre et résorber la dette, en nous fondant sur l'hypothèse d'un environnement de faible croissance, avec un taux de chômage élevé, la seule solution qui s'offre à nous est de tailler de façon drastique dans le modèle d'indemnisation. Cela dit, les organisations patronales que nous représentons sont conscientes que l'on ne peut pas imposer à ceux qui ont perdu leur emploi une remise en cause brutale de leur indemnisation.
Nous devons travailler davantage à un meilleur équilibre entre accompagnement et indemnisation. Aujourd'hui, l'accompagnement se traite majoritairement au niveau de Pôle emploi, et l'indemnisation majoritairement, et même exclusivement, du côté des partenaires sociaux. Bien que les partenaires sociaux soient représentés au sein de Pôle emploi, la manière dont est organisé le processus de décision fait que, malgré la qualité de la gouvernance et la volonté de réforme, Pôle emploi s'apparente davantage à un département du ministère du travail et de l'emploi qu'à un organisme paritaire. Une clarification s'impose.
Quant au contrôle, il existe. Mais les corps de contrôle devraient passer plus de temps à expliquer à ceux qui sont chargés d'appliquer les textes comment le faire et à les accompagner dans la résolution des problèmes. Aujourd'hui, il y a peut-être insuffisamment de contrôle, mais le contrôle dans le champ du social est davantage tourné vers la sanction que vers l'accompagnement de ceux qui en ont réellement besoin. Vous ne trouverez jamais un chef d'entreprise ou un salarié en France capable de comprendre, par exemple, la législation en matière d'hygiène et de sécurité. C'est impossible ! Il faudrait avoir quinze traducteurs pour comprendre comment ça marche…
Telle est la réalité. Je viens du monde de l'entreprise et j'ai vécu cela quotidiennement pendant près de quarante ans. C'est un défi, pour vous, comme pour nous. Je rejoins les réflexions du rapport de M. Jean-Denis Combrexelle. Nous sommes dans un monde où on légifère chaque fois qu'il y a un problème. On a perdu la raison et on est en train de tuer la responsabilité individuelle et collective. Aujourd'hui, dans une entreprise, vous ne gérez plus des personnes, vous gérez des normes !
Vous nous demandez si nous croyions au paritarisme. Nous sommes des milliers à y participer, et si nous faisons cela en plus du reste, c'est que nous avons la conviction profonde que notre travail en la matière est nécessaire. En outre, au regard de la situation que nous connaissons à l'heure actuelle, les partenaires sociaux ont, au-delà de la gestion ou de la décision, un rôle à jouer – en complément de celui que vous exercez – en matière de régulation ou de recherche d'équilibre dans le système démocratique, qui est à ce jour fortement mis à mal. Nous y croyons, et c'est parce que nous y croyons que nous considérons que le modèle doit être rénové. Les compétences dont il nous faut faire preuve sont très différentes de celles dont nous avions besoin il y a quinze ans. Dans le conseil d'administration d'un organisme qui gère de la prévoyance, par exemple, si le professionnel qui dirige l'organisme vient consulter ses administrateurs sur le projet de rachat, en milliards d'euros, d'une chaîne de cliniques privées, à l'évidence, l'administrateur n'est pas un homme ou une femme qui se contente de venir s'asseoir à la table et de prendre rapidement connaissance du dossier. Il doit travailler en amont et avoir de très grandes compétences financières et sociales.
Le système tel qu'il existe aujourd'hui a besoin d'être renouvelé en se professionnalisant et peut-être, comme vous l'indiquez, en cherchant une meilleure répartition des rôles entre les différents acteurs. Mais de là à considérer que, parce que nous avons des difficultés aujourd'hui, le système doit disparaître, je ne suis pas d'accord. Il doit se refonder pour s'adapter, comme la classe politique, d'ailleurs – si je puis me permettre – à un environnement qui s'est profondément transformé et dont nous n'avons pas pris toute la dimension.