Intervention de Jean-François Pilliard

Réunion du 10 décembre 2015 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Jean-François Pilliard, délégué général de l'Union des industries et des métiers de la métallurgie, UIMM, vice-président de l'Unédic :

Je n'ai pour ma part jamais employé le terme d'« ubérisation ». J'ai parlé d'« économie du partage ». Il faut être extrêmement pragmatique : qu'on le veuille ou non, ce mode de fonctionnement économique est en marche, car les clients que nous sommes autour de la table le souhaitent. Nier cette réalité consisterait à se programmer de gros ennuis…

Ensuite, il faut trouver un point d'équilibre. Nous sommes le pays de Descartes : cela nous amène souvent à être binaires et cela explique, selon moi, une grande partie des oppositions qui nous caractérisent. La vie est toujours un peu plus compliquée qu'on ne l'imagine et appelle souvent à plus de nuances. Entre dire qu'on va se servir de cette nouvelle forme d'économie pour faire le grand soir et faire dégringoler toutes les règles existantes en matière sociale et fiscale, et dire qu'on va appliquer au nouveau modèle la totalité des règles fiscales et sociales, il y a un juste équilibre à trouver.

Si l'on applique l'ensemble des règles existantes à la nouvelle économie, on la tue ; et en la tuant, on tue les attentes des clients et probablement des réponses aux problèmes d'emploi. Si l'on fait l'inverse, on aboutira au même résultat.

Ce que j'ai voulu dire tout à l'heure de façon nuancée, c'est que nous étions encore insuffisamment armés pour comprendre tout ce que cela voulait dire et qu'il était urgent, à travers des diagnostics, comme le rapport Mettling, de documenter le sujet entre nous et de l'objectiver pour éviter de raconter des généralités. Quand nous aurons instruit rapidement le sujet et que nous aurons compris conjointement ce qu'il veut dire, cela nous permettra de déterminer l'environnement dans lequel ces systèmes doivent évoluer.

Le fait que je n'aie pas répondu à la question sur les formes de négociation doit être révélateur puisque je vais cesser de m'y consacrer dans quelques semaines, alors que, depuis que je travaille, j'ai dû mener 450 négociations en entreprise, en France, à l'étranger, au niveau des branches et de l'interprofession.

Comme nous nous y étions engagés, une réflexion est actuellement en cours avec les organisations syndicales. Nous avons eu une réunion de l'agenda social il y a quelques semaines, et les syndicats qui étaient autour de la table sont convenus que si nous n'étions pas allés au bout de la réflexion, c'était en partie à cause d'eux puisqu'ils avaient évoqué des questions de calendrier qui avaient ralenti le processus.

Il faut mettre les choses au clair. En ce qui concerne les débats sur la loyauté, vous pouvez négocier où vous voulez, quand vous négociez, vous avez en face de vous des interlocuteurs dont certains s'inscrivent dans un processus de construction, tandis que d'autres déclarent d'emblée que, de toute façon, ils n'iront pas vers un accord. Par conséquent, vous pouvez écrire toutes les règles que vous voulez, vous passerez plus de temps avec ceux qui ont envie de construire qu'avec ceux qui ne le veulent pas. C'est une réalité incontournable, quel que soit le lieu où cela se passe.

Le mode de négociation dans lequel on s'inscrit me paraît beaucoup plus important que de savoir si l'on négocie au MEDEF, au Conseil économique, social et environnemental ou à l'Unédic. Aujourd'hui, parce qu'on est dans un pays de droit, on donne, dès le début de la négociation, à mon sens, beaucoup trop d'importance à l'écriture juridique des textes. La première partie d'une négociation doit permettre de voir quels sont les points sur lesquels on converge et ceux sur lesquels on diverge, concernant les enjeux politiques. Une fois que ces éléments clés, qui constituent la colonne vertébrale d'un futur accord, ont été identifiés, et à ce moment-là seulement, on demande à ceux dont c'est le métier d'écrire et de mettre en forme la décision politique pour la sécuriser.

Or aujourd'hui, vous entrez très rapidement dans un débat technique et juridique, ce qui vous amène très souvent à éviter de répondre à la vraie question. J'ai moi-même, car je fais partie du système, signé des textes dont je savais que les interlocuteurs qui les avaient signés avec moi les considéraient comme suffisamment vagues pour que chacun puisse estimer que, finalement, on approuvait sa position. Il y a un moment où la négociation est un acte de courage : il faut être capable de dire que, sur tel ou tel point, on n'est pas d'accord, et que, dans ce cas, on ne signera pas. C'est un élément qui me paraît essentiel.

Pour ce qui est du lieu, il m'est arrivé de négocier dans des ateliers, dans des usines, voire dans la rue. Je ne suis pas sûr que ce soit un élément déterminant. Le vrai sujet, c'est la confiance entre les partenaires sociaux, le diagnostic partagé.

En tout cas, laissons les partenaires sociaux terminer leur travail et, quelle que soit la solution, ce sera notre solution. Je ne pense pas que ce soit le rôle du Parlement que d'intervenir dans un champ qui nous appartient. De notre côté, nous n'intervenons pas pour vous expliquer comment vous devez mener vos débats au niveau du Parlement : c'est à vous d'établir les règles qui vous paraissent les plus appropriées.

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