Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à saluer la délégation du Parlement croate conduite par son président, M. Josip Leko. Je me félicite, monsieur le président, que vous soyez présent avec votre délégation pour assister à notre débat.
Nous devons nous réjouir de l'adhésion prochaine de la Croatie à l'Union européenne. L'élargissement de l'Union européenne aux États issus, comme le vôtre, de l'éclatement de la Fédération yougoslave, va dans le sens de l'histoire, comme M. le ministre vient de le rappeler. Il y a désormais plus de vingt ans que la Slovénie et la Croatie ont déclaré leur indépendance. J'en ai un souvenir personnel, puisque j'exerçais à l'époque les fonctions de ministre déléguée aux questions européennes auprès de François Mitterrand.
Après la Slovénie, la Croatie est le second État des Balkans occidentaux à intégrer l'Union européenne. La Serbie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, tous ont vocation à rejoindre l'Union européenne en temps voulu. Avec le début de ce processus, nous vivons, je le crois, aujourd'hui un moment historique.
Hier, la commission des affaires étrangères a adopté à l'unanimité le projet de loi après son adoption, la veille, par le Sénat. Lorsque l'Assemblée en aura fait autant, je l'espère à l'unanimité, la France deviendra le vingt et unième État à approuver l'entrée de la Croatie le 1er juillet prochain.
Le processus de stabilisation et d'association avec l'Union européenne, lancé en juin 1999, se fondait sur trois éléments. Le premier était l'idée qu'une perspective européenne crédible serait le meilleur levier pour inciter ces pays à réaliser les réformes politiques et économiques nécessaires. Le second était la nécessité que les États des Balkans occidentaux établissent entre eux des relations normales afin de contribuer à la stabilité politique et économique de la région. Le dernier était le désir d'adopter une approche fondée sur des éléments communs – conditions économiques et politiques précisément définies dans l'accord – tout en permettant à chaque pays de progresser à son rythme et selon ses mérites propres dans son processus de rapprochement avec l'Union européenne. J'ajouterai, car c'est essentiel, que les pays des Balkans occidentaux se sont engagés dans une pleine coopération avec le Tribunal pénal international, condition préalable pour le lancement des négociations d'adhésion.
Au cours des négociations, la Croatie s'est engagée à entretenir de bonnes relations avec ses voisins balkaniques et à favoriser, à terme, leur adhésion à l'Union européenne. Cela a été confirmé par la déclaration du Parlement croate d'octobre 2011 relative à la promotion des valeurs européennes dans l'Europe du sud-est, comme en témoigne le soutien apporté aux candidatures monténégrine et serbe. Les relations de voisinage sont globalement bonnes même si, nous le savons, des différends subsistent, notamment avec la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et la Slovénie.
Le processus de réconciliation avec la Serbie se poursuit, concernant, notamment, la question sensible des réfugiés, et les gestes symboliques mémoriels se multiplient. La Croatie a reconnu l'indépendance du Kosovo dès mars 2008 et soutient le dialogue entre Belgrade et Pristina. La Croatie entretient des relations que je qualifierai de prudentes avec son voisin bosniaque. Elle a par ailleurs, continué à coopérer dans les affaires de crimes de guerre aux niveaux bilatéral et régional. Depuis l'alternance démocratique de janvier 2000, suite au décès du président Tudjman, la Croatie a poursuivi une politique de coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et reconnu sa compétence pour les « crimes de guerre commis pendant et après les opérations Éclair et Tempête ». Aucune difficulté n'est à signaler avec l'Albanie, la République de Macédoine et le Monténégro. Il est en revanche vrai, que les contentieux avec la Slovénie ont freiné les négociations d'adhésion et un différend bancaire bilatéral menace encore le processus de ratification du traité d'adhésion par la Slovénie, seul pays à ne pas avoir encore commencé ce processus. Le nouveau président slovène semble disposé à aboutir à un règlement, ce dont il faut se réjouir, mais l'éventuelle tenue d'élections législatives anticipées rend incertaine la possibilité pour le Parlement slovène de ratifier le traité avant le 1er juillet, ce qui serait à nos yeux tout à fait dommageable dès lors que la Croatie sera prête à intégrer l'Union européenne à cette date.
Le rapporteur a, en effet, rappelé il y a un instant que cet élargissement est le fruit de négociations particulièrement rigoureuses et qui ont été suivies par notre commission et par la commission des affaires européennes, représentée ici par sa présidente. Le nombre de chapitres a été augmenté, les critères ont été strictement mis en oeuvre et les exemptions dans l'application de l'acquis très limitées. Un processus de suivi post-clôture des négociations a aussi été mis en oeuvre dont tout le monde reconnaît aujourd'hui l'utilité. Il était notamment essentiel de tirer les enseignements de la création du mécanisme de coopération et de vérification pour la Bulgarie et la Roumanie.
Comme l'ont souligné les ministres des affaires étrangères de l'Union le 11 décembre dernier, la Croatie répond quasiment à toutes les exigences fixées. Le prochain rapport de la Commission au printemps portera essentiellement sur les progrès réalisés quant aux dix actions identifiées dans son dernier rapport concernant notamment la restructuration des chantiers navals et les questions de justice, de droits fondamentaux et de lutte contre la corruption. Je sais que les autorités croates s'attachent à répondre dans les délais en conduisant les ultimes aménagements requis par la Commission.
Les nouveaux outils mis en place pour garantir une préparation optimale avant l'adhésion attestent cette exigence de qualité qui crédibilise le processus d'élargissement, garantit à la Croatie qu'elle aura toute sa place au sein de l'Union dès son adhésion et offre une perspective crédible aux autres États des Balkans désireux de rejoindre l'Union européenne.
Je veux aussi souligner que ce processus de qualité tient, d'abord et avant tout, aux efforts considérables de la Croatie et des Croates pour atteindre un degré de préparation remarquable. Je trouve à cet égard, que l'on salue trop peu les profondes réformes que les États candidats mettent en oeuvre, au plan légal, mais aussi dans l'application effective de la réglementation dans les domaines les plus variés, pour se hisser au niveau des standards de l'Union européenne. Peut-on imaginer ce que cela signifie d'absorber un acquis communautaire toujours plus étoffé et toujours plus exigeant ? Peu de dispositions transitoires sont d'ailleurs prévues dans l'acte d'adhésion. Or ces efforts ont été conduits dans un contexte économique particulièrement difficile.
La volonté et le courage dont font preuve les États candidats à l'adhésion pendant le long processus de négociation afin de réunir les conditions posées pour leur intégration révèlent aussi, comme M. le ministre l'a souligné, qu'en dépit de la crise qui secoue l'Union européenne en général et la zone euro en particulier, le projet européen exerce encore une formidable attraction et qu'il est porteur d'espoir. Il est en effet le creuset d'un continent pacifié et prospère. Un continent pacifié d'abord, la Croatie est le premier État issu de l'ex-Yougoslavie qui ait eu à connaître un conflit armé d'ampleur dans les guerres qui ont déchiré les Balkans et dont l'Europe porte le traumatisme. La vocation de paix du projet politique européen est renouvelée par cet élargissement et prend un sens tout particulier.
Un continent prospère aussi. La crise actuelle est initialement une crise financière et une crise de l'endettement privé, puis public. Elle ne doit pas masquer le fait que l'Union européenne demeure une grande économie – la première au monde – et il nous faut convaincre les citoyens qu'elle peut répondre au défi de la mondialisation. L'élargissement, c'est la consolidation de la place de l'Europe dans l'économie mondiale et de sa prétention à jouer un rôle de premier plan face aux autres grandes économies. Ensemble, en effet, nous serons plus forts.
Naturellement, nous savons très bien que l'élargissement doit aller de pair avec la poursuite de l'approfondissement pour que l'Europe tienne son rang et continue d'incarner une solution d'avenir. Ce nouvel élargissement doit être l'occasion d'insister sur la nécessité d'approfondir d'avantage l'intégration européenne et de parvenir à un processus décisionnel efficient.
J'ai pu mesurer, au cours de mes rencontres avec les autorités croates – le ministre des affaires étrangères, le Président de la République lors de sa venue à Paris en octobre dernier – à quel point elles ne voient pas dans l'adhésion la fin d'un processus, mais le début d'une participation pleine et entière à la conduite de projets communs et à la réflexion sur l'avenir de l'Union aujourd'hui commencée.
Élargissement et approfondissement ne sont pas incompatibles, bien au contraire. L'un et l'autre peuvent se renforcer mutuellement, pourvu que la volonté politique soit là. Nous avons besoin d'une grande Europe, comme nous avons besoin d'une zone euro renforcée et rééquilibrée. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur la nécessité de repenser l'architecture de l'Union européenne. Il convient à mon sens d'aller vers une différenciation accrue. Il faut permettre aux États qui le souhaitent d'aller plus avant dans l'intégration et la conduite de projets communs. C'est d'ailleurs une nécessité s'agissant de la consolidation de l'union économique et monétaire. Celle-ci doit rester ouverte, à mes yeux non obligatoire, à ceux qui veulent et qui peuvent y adhérer. La différenciation accrue nous permettra aussi de maintenir l'Union européenne ouverte aux États désireux de l'intégrer.
Je conclurai, madame la présidente, en disant que l'euro et la création de l'espace Schengen, depuis plus de vingt ans, presque trente ans concernant l'espace Schengen, sont les premières formes de coopération renforcée et sont le fruit d'une telle méthode. Je note avec une grande satisfaction que la Croatie souhaite participer à ces deux ensembles, même si, naturellement, elle ne remplit pas encore les conditions requises. Je souhaite à cet égard que la France soit présente aux côtés de la Croatie pour préparer ces nouvelles échéances, comme elle le fut pendant toute la préparation à l'adhésion. Pour l'heure, il s'agit de donner notre accord à l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité d'adhésion. Nous espérons que les incertitudes relatives à l'achèvement des processus de ratification seront rapidement levées et que nous pourrons accueillir la Croatie le 1er juillet prochain. Je suis convaincue que la Croatie contribuera, avec la France, à forger une Europe plus forte. Je vous invite, mes chers collègues à adopter, je l'espère à l'unanimité, ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)