Intervention de Marie-Louise Fort

Réunion du 16 décembre 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Louise Fort, corapporteure :

Nombre de facteurs d'instabilité qui déséquilibrent l'Europe – à commencer par les deux les plus aigus, l'afflux de migrants et surtout le risque terroriste – prennent leur source à la périphérie du continent. N'oublions pas non plus le regain d'ambitions de la politique étrangère russe, qui ravive la menace d'une confrontation permanente dans l'aire eurasienne.

De nombreuses poches de violence perdurent ou apparaissent à nos frontières : conflits gelés et tensions séparatistes à l'Est ; affrontements intercommunautaires, défaillances étatiques et gestion post-Printemps arabe compliquée en Méditerranée.

Dans ce contexte tourmenté, incertain et porteur de dangers vitaux, la Politique européenne de voisinage (PEV) – qui cible seize pays d'Afrique du Nord, du Moyen-Orient, d'Europe orientale et du Caucase Sud – prend une importance inédite.

Elle apparaît aujourd'hui comme une démarche gagnant-gagnant de stabilisation des marches de l'Europe. Il s'agit de limiter la propagation des ondes de choc des crises, grâce à des impulsions politiques et financières favorables à un développement intelligent, durable et inclusif, dans le cadre d'un engagement de long terme, mais sans que cela confère aux pays bénéficiaires une sorte de statut de « pré-candidats » à l'adhésion.

La Commission européenne et la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont rendu publique, le 18 novembre, leur communication relative à la nouvelle PEV.

Ce texte fait suite à une consultation publique européenne, à laquelle nous avions répondu, en mai dernier, au travers d'un premier rapport d'information, assorti d'une proposition de résolution européenne. La Commission européenne et le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) ont fait savoir que la contribution politique de l'Assemblée nationale a particulièrement retenu leur attention ; les grands axes de la nouvelle politique, vous le verrez, sont d'ailleurs en phase avec les propositions que nous émettions.

Mais la nouvelle PEV est aussi fortement empreinte de l'actualité : primo, la consultation s'est déroulée alors que la crise des migrants émergeait, ce qui a influé sur les contributions des parties prenantes ; quant à la rédaction de la communication, elle s'est faite au moment même où les États membres s'organisaient pour y répondre ; secundo, les attaques terroristes récemment intervenues en France trouvent leur source dans la déliquescence étatique de la Syrie, l'un des seize pays théoriquement couverts par la PEV ; le contenu de la communication a donc dû être infléchi juste avant sa publication.

Au total, vos rapporteurs considèrent que la PEV révisée procède d'une approche cohérente et équilibrée entre les différents enjeux contemporains et constitue un bon socle stratégique pour affronter l'avenir partagé avec nos voisins.

La priorité absolue est donnée à la stabilisation de notre voisinage, déséquilibré par des facteurs socioéconomiques protéiformes : corruption ; mauvaise gouvernance ; pauvreté ; analphabétisme ; inégalités ; injustices ; faible niveau de développement économique et social.

Cette approche a pour objectif de lutter contre deux phénomènes : la radicalisation dans l'aire méditerranéenne, alimentée par le ressentiment populaire consécutif à l'exclusion économique et sociale ; les déplacements incontrôlés de populations, dus au fait que les jeunes des pays d'origine, faute de perspectives, aspirent à bâtir leur avenir à l'étranger.

Parallèlement, pour prendre en considération les nouvelles menaces sécuritaires extérieures, il est proposé d'instituer une « procédure d'alerte précoce », alliée à des mesures préventives également précoces, conduites en coopération proactive entre l'Union européenne et les pays partenaires. Des dispositions seront en outre arrêtées en vue d'améliorer la résilience de nos voisins aux pressions extérieures ainsi que leur aptitude à rester maîtres de leur souveraineté.

L'Union européenne oeuvrera naturellement dans le respect absolu du droit international, en particulier relativement aux droits de l'homme : indépendance, transparence et impartialité du système judiciaire ; dépolitisation et efficacité de l'administration publique ; bonne gouvernance des finances publiques ; lutte contre la corruption ; promotion de la démocratie ; universalité et indivisibilité de tous les droits de l'homme ; égalité des genres et émancipation des femmes et des filles ; épanouissement de la société civile ; pluralisme, indépendance et professionnalisme des médias ; avènement d'un Internet ouvert et libre.

Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'homme a toutefois estimé que les exigences en matière de droits de l'homme et de droit international humanitaire étaient confinées à la marge du document. Il est vrai que les volets développement économique, sécurité et migrations y prennent clairement le pas sur toute autre considération. Il convient toutefois de souligner que la communication ne renie nullement les valeurs fondatrices du projet européen ; elles sont toutes expressément rappelées, de même que leur caractère universel et non négociable.

En vérité, les « critères de Copenhague » imposés aux pays candidats à l'adhésion ne sauraient être opposés à nos autres voisins comme condition indispensable à la poursuite de partenariats. La Commission européenne et le SEAE se sont donc efforcés de ne pas se limiter à des positions de principe incantatoires, souvent inefficaces, mais de privilégier l'appropriation par les États parties prenantes du voisinage, du projet d'intégration avec l'Union européenne, en misant sur la constitution progressive d'un environnement économique, social et culturel favorable à la diffusion des valeurs universelles de la démocratie et des droits de l'homme.

Conformément aux attentes de nos partenaires, le développement socioéconomique sera donc au coeur de la contribution de l'Union européenne à la stabilisation de son voisinage.

L'accès au marché unique constitue un instrument essentiel pour promouvoir la prospérité chez nos partenaires. Trois d'entre eux – la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine – ont du reste souscrit des accords créant des zones de libre-échange approfondi et complet ; un accord du même type est en cours de négociation avec le Maroc et des discussions viennent d'être ouvertes à cet effet avec la Tunisie.

L'édification d'un grand marché ouvert incluant l'ensemble du voisinage européen constituera un facteur d'intégration puissant et contribuera à la réalisation de l'objectif à long terme d'établir un « espace de prospérité économique élargi ».

L'Union européenne aidera ses partenaires à moderniser leurs économies et à améliorer l'environnement des entreprises, notamment en dispensant des conseils stratégiques et en mobilisant une aide financière. Avec les voisins qui le désirent, elle mettra en place des partenariats transversaux destinés à soutenir la croissance et l'emploi.

Elle s'attachera à contribuer à améliorer l'employabilité de la main-d'oeuvre locale, en axant ses efforts sur le développement des aptitudes et des compétences, et leur mise en adéquation avec les besoins du marché du travail. La jeunesse sera plus particulièrement ciblée, par des mesures incitant à la mobilité et par des échanges de bonnes pratiques concernant les politiques relatives à l'éducation et à la formation.

À l'Est, le réseau transeuropéen de transport devra être étendu à nos voisins et ce réseau redimensionné devra bénéficier des investissements nécessaires. Au Sud, il conviendra de faire converger les réglementations, de recenser les projets d'infrastructures régionales prioritaires et d'élaborer les cartes indicatives du futur réseau transméditerranéen de transport.

L'Union européenne agira en faveur de la création d'un espace aérien commun, elle fera en sorte que ses voisins puissent bénéficier des « autoroutes de la mer », elle continuera à rechercher des convergences dans le secteur des télécommunications et elle poursuivra sa coopération spatiale avec les partenaires intéressés.

Fortement tributaire de son voisinage pour la génération et l'acheminement d'énergie, elle accordera une place plus importante au dialogue avec eux en matière de sécurité énergétique, de réformes du marché de l'énergie et de promotion de l'énergie durable.

Elle travaillera à la pleine intégration du marché de l'énergie avec la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine, par l'intermédiaire de la « Communauté de l'énergie ».

En ce qui concerne le voisinage Sud, dans un premier temps, elle travaillera à la réalisation de réexamens complets des politiques énergétiques nationales.

Enfin, elle veillera à la mise en oeuvre intégrale par ses partenaires de l'accord de Paris sur le climat et de ses développements ultérieurs.

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