Intervention de Christophe Premat

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Premat, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, en application de la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de la France, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et le ministère des affaires étrangères et du développement international ont élaboré un projet de contrat d'objectifs et de moyens qui nous a été transmis par le Gouvernement le 10 novembre dernier. Usant de la faculté qui lui est reconnue par cette loi, notre commission a décidé de formuler un avis sur ce projet.

Notre réseau d'enseignement à l'étranger, l'un des principaux atouts de notre diplomatie, a deux fortes particularités.

Premièrement, il est le plus étendu au monde. Il offre à 125 000 de nos jeunes concitoyens expatriés un lien irremplaçable avec la culture française. Par ailleurs, il représente pour notre pays, grâce à l'accueil de 205 000 élèves des pays d'implantation, un levier d'influence à nul autre pareil.

Deuxièmement, c'est le seul réseau scolaire international à être financé pour une part importante par des fonds publics. À côté des familles qui assument 60 % du coût des établissements gérés directement ou indirectement par l'AEFE – à hauteur de 850 millions d'euros –, l'État consacre chaque année plus de 500 millions aux établissements du réseau, dont 115 millions au titre des aides à la scolarité liées aux ressources des familles, au seul bénéfice des jeunes Français.

Cette force constitue cependant aujourd'hui une faiblesse particulière lorsque se confrontent une demande toujours dynamique grâce à l'attractivité confirmée du réseau – avec une hausse de 50 % du nombre d'élèves depuis 1990 – et la nécessaire modération budgétaire imposée par l'effort d'assainissement entrepris par notre pays. La dotation budgétaire attribuée à l'AEFE depuis 2010 a ainsi baissé de 7,4 % alors même que ses effectifs augmentaient de 6 %. Or recourir au relais des familles n'est plus envisageable lorsque l'on sait qu'entre 2007 et 2012, les frais de scolarité ont augmenté de 45 %.

Dans ce contexte, la question posée par le contrat d'objectifs et de moyens que nous examinons est presque existentielle : l'agence peut-elle remplir correctement les missions qui lui sont assignées à partir de moyens en nette diminution ? La tutelle et l'agence ont-elles saisi l'opportunité de la signature du COM pour revoir le modèle et le pilotage du réseau de l'enseignement français à l'étranger afin de servir au mieux, avec des ressources plus rares, ses deux ambitions : le service public d'enseignement pour les Français à l'étranger et le levier d'influence auprès des futures élites des pays d'accueil ?

Le réseau de l'enseignement français à l'étranger rassemble trois types d'établissements qui ont en commun de bénéficier d'une homologation du ministère de l'éducation nationale. Les 74 établissements en gestion directe (EGD), pilotés directement par l'AEFE, et les 156 établissements conventionnés, liés à l'agence par une convention leur permettant de bénéficier d'importantes subventions en contrepartie d'engagements pédagogiques très précis et exigeants, forment le coeur du réseau. Autour d'eux gravitent les 264 établissements partenaires, en totale autonomie de gestion, qui ne reçoivent pas d'aides de l'État autrement que sous forme d'actions de formation des enseignants et de services d'ingénierie pédagogique et dont l'homologation repose sur un contenu pédagogique fondé sur des programmes et des standards français ainsi que sur le respect d'une charte revue en 2013.

Très réputé, affichant de remarquables performances qui se traduisent par un taux de réussite au bac de 96 % et de mention « Très bien » de 21 %, bénéficiant dans de nombreux pays d'un coût attractif, le réseau fait face à une forte demande, nourrie notamment par le dynamisme de la population des Français de l'étranger qui a crû de 37 % au cours des dix dernières années.

Si les nouvelles zones du dynamisme économique international forment les principaux pôles de croissance, avec entre autres une augmentation de 40 % en Asie et Océanie, il importe de souligner que les plus forts contingents de Français à l'étranger continuent de se situer principalement en Europe – 50 % –, en Afrique – 15 % – et en Amérique du Nord – 13 %.

Or, plus particulièrement dans ces régions, l'AEFE fait face à de réelles difficultés pour accueillir un nombre de candidats sans cesse croissant en raison de la raréfaction de ses ressources financières.

D'une part, ses dépenses demeurent structurellement dynamiques : 66 % d'entre elles, consacrées au personnel, connaissent une croissance – obligatoire – de plus de 1 % par an ; l'entretien et le renouvellement d'un patrimoine immobilier vieillissant, notamment au Maghreb qui rassemble 40 % des lycées français, et l'acquisition de nouvelles structures là où les Français de l'étranger sont les plus nombreux, notamment à Londres, lui imposent d'importants efforts financiers encore alourdis par les urgentes opérations de mise en sécurité induites par la menace terroriste.

D'autre part, ces défis coïncident avec la baisse des moyens que j'ai déjà évoquée : l'AEFE subit, comme tous les opérateurs de l'État, une réduction forfaitaire de 2 % par an de sa dotation pour charges de service public. À cela s'ajoute une coupe supplémentaire de 1,4 % opérée dans le projet de loi de finances pour 2016, que les sénateurs se sont refusé à adopter il y a quelques jours. La voie fortement sollicitée de l'augmentation des frais de scolarité, passés en moyenne de 3 340 euros à 4 900 euros par élève entre 2007 et 2013, ne peut plus être empruntée sans fragiliser gravement la situation de nombreuses familles, même s'il faut reconnaître que la réforme des aides mise en oeuvre en 2013 pour les concentrer sur les familles disposant des ressources les plus faibles a apporté sur ce point une indispensable éclaircie.

L'adoption du premier contrat d'objectifs et de moyens de l'AEFE intervient donc dans un contexte financier complexe et inquiétant.

Du côté des objectifs, on peut dire que le choix est fait de ne pas choisir en maintenant inchangée les deux priorités que sont la scolarisation des Français de l'étranger et l'accueil, à des fins d'attractivité et d'influence, des élèves étrangers. Cette dernière mission, que l'on peut qualifier de diplomatique, est toutefois mieux articulée avec les priorités de la diplomatie française. Le projet de COM invite clairement le réseau à améliorer ses synergies avec les autres outils de notre appareil diplomatique, en particulier Campus France et les instituts français. Cet objectif, louable et nécessaire, n'est malheureusement pas étayé par des indicateurs précis et je ne peux que regretter que le contrat ne reprenne pas la proposition formulée par nos collègues la sénatrice Claudine Lepage et le député Philip Cordery dans leur rapport de 2014 sur l'enseignement français à l'étranger, consistant à donner un rôle plus dynamique de coordination aux conseillers consulaires.

Dans le même esprit, de nombreux indicateurs invitent l'AEFE à mieux veiller à faire profiter nos établissements d'enseignement supérieur en France du vivier d'excellence que représentent les élèves du réseau, en particulier les élèves étrangers, en multipliant les passerelles entre les lycées français et nos universités et grandes écoles. À cet égard, nous pouvons nous réjouir que le projet de COM maintienne et amplifie le programme des bourses Excellence-Major.

Enfin, si un effort est entrepris pour redéployer les moyens vers les zones prioritaires de la diplomatie, clairement identifiées comme les pays du Golfe, les pays francophones et les pays émergents asiatiques, il est toutefois très timide puisqu'il ne concerne que 0,5 % des effectifs d'enseignants.

La mission éducative fait elle aussi l'objet d'adaptations, mais là encore modérées et progressives. On le sent bien, le projet de contrat hésite entre, d'une part, un modèle traditionnel, resserré sur le noyau historique des établissements en gestion directe et des établissements conventionnés, raffermis dans les principales zones d'habitation des expatriés, donnant la primauté à une scolarisation à un coût abordable de nos jeunes compatriotes, et, d'autre part, un nouveau modèle, allant vers des établissements plus autonomes dans les zones prioritaires de la diplomatie française, tandis que les Français de l'étranger suivraient de plus en plus leurs études, en particulier dans les pays où la qualité de l'éducation est proche de la nôtre, dans des établissements locaux faisant une meilleure place au bilinguisme.

Ainsi le projet de COM fixe à l'AEFE un objectif très ambitieux de progression de 75 % des élèves scolarisés dans des établissements bénéficiant du label FrancÉducation créé en 2012 pour promouvoir les filières bilingues francophones dans les écoles étrangères et dont les critères ont d'ailleurs été largement assouplis en 2014.

Dans un même esprit, il fait une part importante à la deuxième source de diversification de l'agence, qui est le programme « France langue maternelle », dit FLAM, créé en 2001 pour apporter un soutien aux initiatives périscolaires favorisant la pratique du français.

Le moins que l'on puisse dire est que le degré d'ambition fixé pour les objectifs ne se retrouve pas dans les moyens. Le contrat maintient en effet pour 2017 la trajectoire tendancielle d'une baisse de 2 % par an de la subvention pour charges de service public de l'agence, sanctuarisant toutefois les moyens dédiés aux bourses à leur niveau actuel, supérieur de 20 % à celui de 2012.

Compte tenu du dynamisme spontané des dépenses, cela place l'agence dans une situation difficile lui imposant notamment en 2016 une ponction de 85 millions d'euros, soit près de 30 % du fonds de roulement des établissements du réseau ainsi que la suppression de vingt-sept postes d'expatriés et de cinquante-cinq postes de résidents, partiellement compensée, selon une tendance qui s'affirme de plus en plus nettement, par quarante-cinq recrutements locaux de personnel.

Le projet de COM prolonge ce mouvement en assignant à l'agence une réduction d'environ 3 % du coût annuel moyen par élève, qui n'est que partiellement étayée par les trois sources d'économies identifiées : la modernisation de la gestion financière ; la rationalisation des ressources humaines, avec en particulier l'affectation exclusive du personnel expatrié, mieux rémunéré, aux tâches d'encadrement ; la diversification de ces ressources sollicitant en particulier le financement des pays hôtes.

La tension constatée dans le présent projet de COM entre les objectifs et les moyens est telle qu'il me paraît lucide de dire qu'il est le dernier qui puisse épargner à la puissance publique de trancher sur l'avenir de notre précieux réseau d'enseignement à l'étranger. De nombreuses questions, pourtant décisives, sont ainsi repoussées. Quel équilibre définir entre établissements gérés par l'agence et établissements partenaires ou labellisés ? Quelle cohérence trouver entre les statuts éclatés des personnels – expatriés, résidents, recrutés locaux – dont les conditions de travail, de renouvellement des contrats et de rémunération sont si diverses alors que leurs missions sont souvent si proches ? Quelles priorités fixer pour l'implantation du réseau entre les zones où les Français de l'étranger sont certes nombreux mais où l'offre locale, même bilingue, apparaît satisfaisante, les pays où nos concitoyens expatriés n'ont pas de réelle alternative et les espaces où l'influence française doit absolument être préservée voire renforcée ?

Parce qu'il sert difficilement mais efficacement cette double mission dans un contexte d'assainissement budgétaire sans précédent, le présent contrat doit être approuvé. Toutefois, il faudrait que son exécution soit mise à profit dès à présent afin de trouver des moyens pérennes et réaliser les réformes nécessaires pour préserver l'atout extraordinaire qu'est notre réseau d'enseignement à l'étranger.

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