Intervention de Xavier Timbeau

Réunion du 15 décembre 2015 à 18h00
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Xavier Timbeau, économiste, directeur principal de l'Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE :

Je ne suis pas un spécialiste du secteur automobile, mais je m'y intéresse parce qu'il joue un rôle important dans l'économie française, dans la réponse à la question environnementale et dans la définition des politiques publiques. Ces dernières sont en effet confrontées au défi de savoir comment préserver l'emploi industriel et comment anticiper ses perspectives d'avenir.

L'automobile d'aujourd'hui n'a pas grand-chose à voir avec celle que nous connaîtrons dans cinquante ans ; nos manières de nous déplacer auront elles aussi changé du tout au tout. Les politiques publiques sont nécessairement impliquées dans cette évolution.

L'affaire Volkswagen nous pose des questions sur lesquelles je vous livrerai mon analyse. Certes, je ne contredirai pas Élie Cohen et ses prévisions sombres pour le secteur automobile français, qui me semblent justifiées. Mais j'y apporterai peut-être quelques nuances. Les constructeurs français sont spécialisés dans le milieu de gamme, ce qui explique pour partie que leurs résultats sont moins flamboyants que ceux des constructeurs allemands. Mais il ne faut pas les comparer avec les constructeurs allemands haut de gamme. Dans le milieu de gamme, tous les constructeurs se sont retrouvés exposés à une baisse de la demande notamment en Espagne et en Italie, avec l'austérité imposée là-bas à la classe moyenne, le chômage qui y sévit et une paralysie du secteur bancaire qui limite l'accès au crédit, moyen de financement très populaire dans le secteur automobile. Tous ces facteurs n'ont pas manqué de toucher profondément le secteur automobile français.

Il pâtit aussi d'un manque de recherche et développement, ainsi que d'une trop faible flexibilité en cas de perturbations du marché, notamment au vu des solutions qui existent outre-Rhin –je rejoins Élie Cohen sur ce point. En Allemagne, si le contrat de travail est garanti à long terme dans l'automobile, il existe cependant des possibilités de réduire temporairement la masse salariale, par du chômage partiel, voire par une baisse des salaires. En France, cette marge d'adaptation n'existe pas vraiment, de sorte que l'ajustement se produit sous la forme de licenciements. Quand l'activité repart, les constructeurs se trouvent ainsi dans une position plus difficile.

Il en va de même pour les sous-traitants. Prenons garde d'oublier en effet le réseau des petites entreprises qui sont étroitement intégrées aux constructeurs. La crise a coûté cher dans cet écosystème de relations. Elle a brisé des tabous sur l'externalisation hors de France, qui fait désormais l'objet de moins de doutes et d'une approche plus pragmatique.

J'ajouterai un petit élément d'optimisme. Les groupes PSA et Renault ont ajusté leur situation. Non seulement sur le plan capitalistique, ce qui ne fut pas aisé pour le groupe PSA, mais aussi du point de vue de leur gamme, en revoyant en conséquence l'organisation de leur appareil productif. En outre, il est possible que se produise une reprise très forte du marché automobile européen, qui leur permettrait de retrouver des couleurs. L'un des arguments qui plaide en ce sens est l'âge moyen des véhicules en Europe, qui a augmenté d'un an et demi depuis la crise. Les décisions de renouvellement ont été repoussées, mais l'âge moyen devrait désormais diminuer, provoquant une accélération des marchés.

Le secteur reste néanmoins soumis à des mutations. Les entreprises les ont-elles assez anticipées, de même que les politiques publiques d'ailleurs ? La première mutation est environnementale. À l'avenir, il conviendra de réduire non seulement les émissions de dioxyde de carbone (CO2), mais aussi d'oxydes d'azote (NOx), à cause de l'affaire Volkswagen. La pollution locale, les nuisances sonores et la congestion urbaine devront également être réduites. En matière d'émissions de CO2 et de NOx, le schéma européen reposait sur un dialogue entre le régulateur et les producteurs, qui devaient en diminuer les volumes en développant des véhicules plus efficaces, réduisant la production de CO2 par kilomètre.

L'affaire Volkswagen a aiguisé le regard critique sur cette approche. S'agissant d'abord des émissions de CO2, on peut dire que la stratégie a fonctionné, puisque leur volume moyen pour le parc a diminué de 10 % depuis 2004 en France. Si cette valeur est intéressante, soulignons néanmoins qu'à ce rythme, il faudrait cent ans pour arriver à supprimer totalement les émissions. À mon sens, cela montre que laisser le constructeur agir sans que l'impact soit trop sensible sur le consommateur, grâce à des solutions techniques est insuffisant. Il faudra sans doute passer à l'avenir à une action directe sur le consommateur, en l'incitant à rouler moins, à recourir à d'autres modes de transport, voire à s'acquitter d'une taxe CO2.

Quant aux émissions de NOx, un problème de crédibilité des normes employées s'est fait jour. À ce stade des auditions, vous devez savoir mieux que moi comment les valeurs des véhicules sont calculées sur la base d'un banc d'essai correspondant à des conditions et à un schéma particuliers, de sorte que les automobiles peuvent réagir elles-mêmes au cycle par un comportement particulier. Dans les conditions réelles, en revanche, les valeurs d'émission observées sont bien supérieures. Impropre à rendre compte de l'évolution des émissions, la norme se révèle donc illusoire. Du fait de l'optimisation des véhicules par rapport au cycle, les résultats produits ne sont pas du tout les résultats attendus.

Le risque se fait donc jour que le régulateur soit capturé par les constructeurs, qui lui imposent leurs objectifs et leurs contraintes. À l'origine, les normes étaient pourtant utilisées comme des instruments de compétitivité pour développer un marché de véhicules vertueux du point de vue environnemental, susceptibles ultérieurement d'être exportés.

En 1989, l'introduction du moteur TDI de Volkswagen a marqué un tournant. Ce moteur a pu contribuer jusqu'à 60 % des bénéfices de l'entreprise, sous ses diverses formes, se révélant surtout particulièrement utile pour entrer sur le marché américain en 2005. Il y fut en effet présenté comme un moteur propre et efficace sur le plan des émissions de CO2. Plus petits et plus performants sur le plan énergétique, ils permettaient de réaliser des gains de CO2 d'environ 20 % par rapport aux autres moteurs. Le président Obama lui-même en avait fait la publicité en déclarant que le moteur est un élément de solution au problème des émissions de CO2. Cela aurait pu profiter également aux constructeurs français.

La révélation d'une certaine connivence avec le régulateur européen a conduit à nuancer ce jugement. Le groupe Volkswagen s'était trop reposé sur celle-ci et le régulateur américain en a tiré parti pour s'en prendre à son avantage compétitif.

Le moteur diesel reste un actif dans le portefeuille technologique des constructeurs européens. Il continue d'être utilisé par ceux qui sont le mieux placés sur le marché automobile mondial et il a le mérite de réduire les émissions de CO2, tout en conservant aux conducteurs le même agrément d'utilisation. Cependant, s'il ne remplit pas ses objectifs en matière d'émissions de NOx et de particules fines en suspension (particulate matters, PM), l'expérience américaine montre qu'il sera difficile d'utiliser l'argument environnemental en sa faveur.

Dès lors, vers quel modèle d'incitation aller en Europe ? Faut-il conserver une stratégie d'élévation graduelle des normes, s'appuyant sur le passage d'un moteur quatre cylindres à un moteur trois cylindres doté d'une bride compensant la petite taille du moteur ou bien faut-il envisager une rupture plus forte avec la solution du véhicule tout électrique, d'un recours moins systématique au transport individuel et d'une mobilité différente ? Cela ferait tourner la page d'une industrie porteuse sur le continent européen, qui continue d'exporter beaucoup d'automobiles.

Le choix sera difficile. Il va falloir produire des réductions d'émissions de CO2 et de PM assez fortes pour satisfaire les engagements pris au terme de la récente Conférence de Paris sur le climat (COP 21). Or il est n'est pas sûr que les solutions techniques proposées par les constructeurs soient toujours compatibles avec ces engagements.

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