Mes propositions sur un New Deal vert et sur des investissements sont nées d'une réflexion sur le phénomène dit de la stagnation séculaire, faite d'une crise qui dure, d'un fort risque de déflation et de comptes budgétaires publics déficitaires et d'une inquiétude croissante au sujet de l'environnement. Dans ce contexte, comment combiner des éléments de réponse ? Je suis parti du constat que, si nous prenons vraiment au sérieux la transition énergétique, il y a alors un train d'investissements à faire, tant dans les bâtiments que dans les infrastructures de mobilité, chez les consommateurs comme dans les entreprises. Face à ce mur d'investissement, un besoin de financement se fait jour et il doit être possible de l'utiliser comme un moyen de déclencher un mécanisme de sortie de crise. Telle est l'idée d'un New Deal vert.
Le point central en est le prix du carbone. C'est lui qui résout la question du partage entre investissements publics et privés, car il fait naître une demande privée autonome, ne favorisant que les infrastructures de ferroutage qui peuvent être suffisamment utilisées pour être rentables. Le prix du carbone agit comme un déclencheur. Bien sûr, son introduction a pour corollaire une dépréciation d'une partie du capital existant, de ce que nous autres économistes appelons le capital sale, à savoir celui qui produit des émissions de dioxyde de carbone. Mais le mécanisme, dans son ensemble, provoquerait un choc d'investissement susceptible de faire sortir de la stagnation séculaire.
Il y a cependant un problème d'acceptabilité relativement à cette solution. Provoquant un changement relatif des prix, elle aurait en effet des conséquences pour les consommateurs, outre les pertes à encaisser pour la dépréciation d'une partie du capital existant. Si l'on ne répond pas à ces deux défis, l'on se heurtera à un problème d'acceptabilité. C'est pourquoi il est difficile d'instituer un prix du carbone. Là où cela avait été fait, un retour en arrière s'est même parfois observé. Aussi les investissements publics pourraient-ils financer des dispositifs de compensation transitoire aux perdants de cette mutation. J'insiste sur l'adjectif « transitoire », car ces perdants finiraient, au bout d'un certain temps, par s'adapter à cette situation nouvelle.
Quant à voir dans ce mécanisme un type de relance keynésienne, c'est je crois une critique que l'on ne peut m'adresser, car il est au contraire dominé par le souci de ne pas générer de dette qui ne soit couverte par la naissance d'un actif, qu'il soit public ou privé. Je reconnais seulement que, parmi ces actifs, il y aurait l'actif collectif et immatériel que représente le fait d'échapper aux conséquences du changement climatique. Même si cet actif n'est pas individualisable, il représente une valeur considérable, comme chacun s'accordera à en convenir, à moins d'être climato-sceptique.
Pour ce qui est du régulateur, il n'était pas au courant des irrégularités découvertes par l'affaire Volkswagen. Mais un écart croissant s'observait avant elle entre les valeurs du cycle et les performances réelles des véhicules. Le site de communication grand public de la Commission européenne donne sur ce point toutes les informations nécessaires. Le régulateur savait déjà qu'il devait modifier le cycle, faire apparaître la divergence et placer les constructeurs devant le résultat. S'agissant du dioxyde de carbone, la corrélation des résultats du cycle avec la réalité demeurait suffisante pour qu'une évolution ait lieu dans les faits. Dans le cas des NOx, l'écart entre le cycle et la réalité est tel qu'on pourrait douter de la capacité de la norme à en réduire effectivement l'émission, alors même qu'un récent rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) classait le diesel comme substance cancérigène potentielle. Cette parution a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Elle a rappelé à tous que la stratégie européenne pouvait échouer sur la voie d'une diminution des émissions de NOx sous les seuils définis par l'OMS.
En ce qui concerne la connivence dont j'ai parlé entre régulateur et constructeurs, cette qualification repose seulement sur le constat d'échec du régulateur et sur le danger qu'il semblait y avoir à le révéler, car cela revenait à annoncer que les constructeurs ne sauraient tenir leurs promesses ! Les échanges qui ont eu lieu entre le régulateur et ceux-ci sont désormais publics, tant sur le calendrier que sur l'évolution des normes relatives au diesel.
Aux États-Unis, les normes sont plus strictes qu'en Europe s'agissant des NOx, mais elles le sont beaucoup moins pour le reste. Il s'y observe des problèmes similaires à ceux que l'on connaît en Europe, à savoir une connivence « douce » entre régulateur et constructeurs. Le régulateur n'est certainement pas payé par les constructeurs, mais il est enfermé dans un système de régulation inoffensif, car il craint de porter un dommage trop important à l'industrie et à la collectivité. Il en résulte une désillusion certaine quant à la capacité de ces normes à faire émerger des moteurs propres.
Quant à l'alternative entre une élévation graduelle des normes ou une véritable rupture, je dirais que, dans un premier temps, nous resterons dans une approche progressive, mais que nous devons nous préparer à une rupture, parce qu'un échec des normes est possible. Des solutions de rupture existent aussi déjà, telles que le véhicule autonome. Elles permettent d'imaginer un avenir où le transport individuel du vingtième siècle deviendra une question de mobilité plus que d'automobile, changeant radicalement de signification. Que deviendront nos constructeurs automobiles dans ce contexte ? Il faut y réfléchir dès maintenant.
Faut-il des acteurs nouveaux ou les acteurs existants continueront-ils à dominer demain ? Les groupes automobiles détiennent des portefeuilles technologiques et d'innovation et sont de bons connaisseurs du domaine. Il n'en demeure pas moins que la capacité de rupture paraît venir de l'extérieur. Tesla en est l'exemple, même s'il n'a pas encore fait la preuve de sa rentabilité. Sur ce créneau, Porsche pourrait atteindre ce seuil critique, avec un contenu technologique similaire, ce qui montre que les entreprises détiennent un avantage comparatif.
Toutefois, elles enregistrent aussi un passif. L'automobile est un produit cher qui engage la responsabilité d'un constructeur sur quinze ans. L'affaire Volkswagen ne paraît pas faire de dommage ni à l'image de marque de l'entreprise, ni à sa capacité de gagner des parts de marché, car ses véhicules restent loin d'être les plus mauvais ; mais l'affaire crée des dettes et des obligations de remboursement, ainsi que des obligations de modifier les véhicules. A contrario, les entreprises nouvelles jouissent donc d'un avantage, car elles ne devront pas porter un tel passif.
Cela n'est cependant vrai que dans un premier temps. Qu'en sera-t-il demain pour Tesla si ses batteries prennent feu ou que ses véhicules sont impliqués dans des accidents mortels ? L'entreprise a-t-elle la capacité de devenir un opérateur sérieux ? Ce n'est pas sûr.
Il faudra trouver l'équilibre entre ce business extrêmement compliqué qui fait naître de lourdes responsabilités et est soumis à des exigences élevées en matière d'innovation, de performance et de qualité, et l'activité des nouveaux acteurs, innovateurs de rupture. Le jeu est ouvert ; les constructeurs n'y ont du reste pas forcément perdu toute possibilité.
Vous m'avez demandé lequel, de l'hydrogène ou du véhicule électrique, était la solution qui a le plus d'avenir, à moins qu'une autre encore apparaisse. Faute d'avoir une boule de cristal, je vous ferai une réponse de jésuite. De nombreuses innovations verront encore le jour, car l'évolution ne s'arrête jamais. Aussi ne peut-on savoir sir les infrastructures électriques –les bornes de rechargement– seront encore utilisées dans cinq ou dix ans ; elles seront peut-être déjà inutiles et obsolètes, alors qu'elles coûtent très cher. Cette incertitude sert la stratégie graduelle, car elle fournit des résultats dès aujourd'hui, même s'ils sont seulement partiels.
S'agissant de la flexibilité des salaires et du temps de travail, les accords compétitivité-emploi signés sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis l'accord national sur l'emploi y ont contribué. Mais il faut encore absorber le passif de la crise et nous ne verrons si ces instruments sont utiles qu'à l'issue de la prochaine crise.
Quant aux mesures de type crédit d'impôt pour la compétitivité et pour l'emploi et à la TVA, ils ont certainement joué un rôle en Allemagne, mais le succès du secteur automobile de ce pays ne saurait s'y réduire.
Le diesel est-il quant à lui en danger ? Il me paraît rester promis à un avenir en Europe, mais sa capacité à être exporté est assurément compromise. Il pâtit désormais d'un problème d'image. En outre, les pays européens ne sont pas les seuls à pouvoir produire des normes. L'affaire Volkswagen a montré qu'un régulateur peut en trouver qui barre la route aux constructeurs européens. Ils ne sauraient donc axer sur le diesel leur compétitivité à moyen terme. Dans un scénario optimiste, le moteur diesel pourrait évoluer pour produire moins de NOx en conditions réelles ; sur le plan technique, l'essai se trouverait ainsi transformé. Dans un scénario plus pessimiste, le temps nécessaire pour réaliser ces adaptations sera mieux mis à profit par d'autres technologies que le diesel.