Intervention de Michael Roth

Réunion du 9 décembre 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Michael Roth, secrétaire d'état aux affaires européennes de la République fédérale d'Allemagne :

Je tiens à vous remercier de me donner la possibilité d'échanger avec vous sur les questions européennes en compagnie de mon collègue Harlem Désir. J'apprécie beaucoup ce genre de réunion, aujourd'hui plus que jamais absolument nécessaire.

Je suis très inquiet au sujet de l'Europe, dont j'ignore si elle a jamais connu d'aussi graves difficultés qu'aujourd'hui. Je n'étais né ni dans les années cinquante ni dans les années soixante mais, depuis dix-sept ans que je siège au Bundestag, m'y consacrant aux questions européennes, je n'ai jamais eu le sentiment que nous étions à ce point sous l'eau. Alors qu'il nous faudrait faire preuve de cohésion, se développent au contraire dans les États membres des mouvements populistes et nationalistes qui mettent en avant les intérêts nationaux. Dans ces conditions, qui est prêt à aller vers l'autre ?

Autour de l'Europe flotte, au sud comme à l'est, un climat d'incertitude et d'instabilité. Nous vivons sous la menace du risque terroriste, et votre pays a, très récemment, été confronté à des attaques brutales et barbares. J'espère que vous aurez senti que, dans votre peine et votre chagrin, vous n'étiez pas seuls. Beaucoup de mes compatriotes ont été touchés par votre drame et sont de tout coeur avec vous.

Ceci montre que, malgré tout, nous sommes des européens et que l'Europe est unie. Les tristes attaques dont Paris a été victime sont aussi des attaques contre l'Europe et ses valeurs. C'est pourquoi nous devons les défendre ensemble, au plan politique, au plan diplomatique mais également au plan militaire, ce qui n'a rien d'évident pour l'Allemagne étant donné notre histoire. Cela étant, nous n'avons jamais imaginé que notre solidarité pourrait ne s'exercer qu'à travers les bougies et les gestes symboliques. Cette solidarité doit s'exercer dans les faits, et je souhaite que la contribution que nous pouvons et souhaitons vous apporter corresponde à vos attentes.

Nous avons devant nous un long chemin semé d'embûches car il ne s'agit pas seulement de s'engager au plan militaire mais d'aboutir à un processus qui ramène la paix en Syrie et empêche Daech d'étendre davantage son pouvoir. Cela vaut également pour l'Irak et pour l'Afrique du nord, dont vous connaissez la situation bien mieux que moi et où le terrorisme prend également de l'ampleur.

Posent également problème nos rapports avec la Russie, sachant qu'il n'y aura pas de solution durable aux crises actuelles si la Russie n'est pas prête à se montrer constructive. En Ukraine, la situation reste préoccupante, et aucune solution ne se dégage pour l'heure.

Nous sommes également confrontés au sein même de l'Union européenne à des épreuves sérieuses, au premier rang desquelles le chômage des jeunes, qui atteint en Grèce, en Espagne, dans le sud de l'Italie ou en Croatie des proportions extrêmement élevées. On ne peut dans ces conditions dormir sur nos deux oreilles, car c'est la cohésion européenne que ce fléau met en danger. L'Europe souffre de trop de déséquilibres économiques et sociaux et de trop peu de convergence. L'Union économique et monétaire n'est pas achevée. En plus d'une monnaie unique, nous avons besoin d'une coordination obligatoire de nos politiques monétaires et économiques.

Dans ce contexte, l'un des États membres prévoit prochainement d'organiser un référendum dont nous ignorons l'issue. Or il est contre nos intérêts qu'un grand pays comme la Grande-Bretagne, où les eurosceptiques sont très nombreux pas seulement au Parlement mais également au sein de la population, quitte l'Union européenne. Demandons-nous ce que nous pouvons faire pour l'empêcher.

À toutes ces difficultés auxquelles s'ajoute la crise migratoire, je ne vois pas de solution nationale mais uniquement des solutions européennes.

Pour toute une série de raisons, la question des réfugiés est aux yeux des Allemands une épreuve majeure. En 2015, plus d'un million de réfugiés vont arriver en Allemagne, mais jamais mon gouvernement ne s'excusera d'avoir défendu nos valeurs communes dans son attitude vis-à-vis d'eux. Les réfugiés sont avant tout des êtres humains et ils doivent être traités comme tels. Cela n'empêche pas que nous protégions nos frontières extérieures, que l'enregistrement des réfugiés – pour des raisons de sécurité mais pas seulement – soit garanti et que la charge que cela représente soit répartie équitablement. Or, j'ai pu constater en me rendant en Grèce que cette dernière était largement dépassée par ces exigences en matière d'enregistrement. Même si les budgets européens sont limités, nous devons nous demander si nous ne pouvons aider davantage les pays le plus rudement mis à l'épreuve en leur apportant une assistance financière et logistique.

Je vois avec inquiétude se raviver à l'ouest des Balkans d'anciens conflits qui semblaient enterrés, installant à nos portes une dangereuse instabilité. La France s'inquiète tout particulièrement de savoir comment nous allons nous comporter à l'égard de la Turquie, pays avec lequel nous menons des négociations d'adhésion et dont nous souhaitons qu'il tourne son regard vers l'Europe et ses valeurs. Aujourd'hui, ces valeurs, la liberté des médias, l'indépendance de la justice y sont bafouées, mais nous avons néanmoins besoin de la Turquie, qui doit être pour nous un partenaire constructif. Elle a accueilli 2,2 millions de réfugiés en provenance de Syrie, mais la situation de ces réfugiés devient de plus en plus précaire, et l'OMS s'interroge aujourd'hui sur leur sort, non seulement en Turquie mais aussi au Liban ou en Jordanie.

Des centaines de milliers de réfugiés fuient à travers le monde les guerres civiles, les injustices et les menaces qui pèsent sur eux, et ce que nous voulons, ce n'est pas lutter contre les réfugiés mais contre les causes qui les poussent à quitter leur pays. L'Europe a, envers ces réfugiés, une responsabilité à laquelle aucun de ses membres ne doit se dérober, pas plus qu'il ne doit remettre en question l'idée européenne de frontières ouvertes et de libre circulation. Nos sociétés n'excluent aucune culture, aucune religion, aucune ethnie, même si, aujourd'hui, l'ensemble de l'Europe ne semble plus s'accorder sur ce point et que ce qui se passe dans certains États à de quoi nous inquiéter.

Si je suis ici, c'est donc pour vous demander votre soutien. Nos gouvernements coopèrent étroitement, grâce à l'entente qui règne entre Harlem et moi-même, entre M. Fabius et M. Steinmeier, mais également entre la Chancelière et votre Président de la République. Mais nous avons aussi besoin des députés, car sans cette étroite coopération franco-allemande, c'en sera fini de l'Europe.

L'Europe est toujours sortie plus forte des crises qu'elle a traversées. Je formule ici l'espoir qu'il en soit de même aujourd'hui. (L'ensemble des commissaires applaudissent.)

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