Intervention de Sébastien Mosneron Dupin

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Sébastien Mosneron Dupin, directeur général d'Expertise France :

Je suis très heureux de vous présenter les résultats d'une réforme que vous avez adoptée il y a plus d'un an et demi pour créer Expertise France. Après quelques mois d'une préfiguration dirigée par Jean-Christophe Donnellier, le délégué interministériel à l'expertise technique, j'ai pris la direction générale de cet établissement, pour mettre en oeuvre la fusion et développer son activité.

Pour présenter Expertise France en quelques mots, je rappelle que je dirige un établissement de 250 personnes à Paris et 80 à l'étranger. Nous accompagnons des gouvernements étrangers dans la mise en oeuvre de nouvelles politiques publiques.

Notre coeur de métier est le renforcement de capacités des pays du Sud pour leur permettre de mener des politiques publiques adaptées à leurs enjeux institutionnels, économiques, sociaux ou environnementaux. Nous le faisons avec l'expertise publique française, grâce à un dialogue entre professionnels, et intervenons à travers presque toute la palette des politiques publiques, des plus régaliennes à celles qui le sont moins, de la gouvernance institutionnelle à la protection sociale, en passant par la formation professionnelle, la santé, le développement durable, la lutte contre le réchauffement climatique ou les finances publiques.

Nous délivrons cette année 50 000 jours d'expertise dans 80 pays du monde, au travers de 300 contrats ou projets en portefeuille, pour un chiffre d'affaires de 130 millions d'euros.

Expertise France est un établissement public industriel et commercial. Public, parce que nous sommes le bras armé de la politique étrangère française, de l'action extérieure de l'État, aussi bien de celle du Quai d'Orsay que des ministères financiers. Industriel et commercial, car nous sommes régis par le droit privé, soumis aux mêmes règles comptables que les entreprises, et intervenons dans un secteur concurrentiel. Environ 70 % de notre chiffre d'affaires sont liés à des contrats que nous gagnons auprès de la Commission européenne, de la Banque mondiale ou de la Banque africaine de développement, 20 % provenant de commandes publiques françaises et 10 % des subventions de fonctionnement liées à nos missions d'intérêt général.

Plusieurs raisons ont conduit à créer un champion national en matière d'expertise publique au Sud.

D'abord, Expertise France est née de la volonté de réinvestir la coopération au développement dans un contexte où la France est tous les jours impactée par ce qui se passe au sud de la Méditerranée. C'est vrai dans le domaine climatique – on l'a vu avec la COP 21 : nous n'arriverons pas à lutter contre le réchauffement climatique si nous n'accompagnons pas les pays du Sud dans une trajectoire plus sobre en carbone –, dans celui de la santé – on l'avait vu lors du pic de l'épidémie du SIDA, comme l'an dernier face à l'épidémie Ebola : pour lutter contre les épidémies, il faut d'abord s'attaquer aux maillions faibles des systèmes de santé dans le monde, pour lutter contre Ebola en France, il faut d'abord aider la Guinée à mener cette lutte et renforcer les systèmes de santé des pays touchés. On le voit aussi dans le domaine migratoire, avec l'afflux de plus de 700 000 migrants sur les rives sud de l'Europe cette année : c'est en luttant contre la pauvreté et l'instabilité des pays du Sud que nous arriverons à mieux maîtriser ces flux. Dans notre village planétaire, les interdépendances font que plus que jamais la coopération au développement participe d'une politique publique plus globale de préservation des équilibres économiques, sociaux et environnementaux.

Cette politique de coopération, que les pouvoirs publics veulent réinvestir, est une politique de solidarité, de stabilisation de notre environnement, de rayonnement et d'influence. Si nous voulons influer sur la trajectoire de croissance des pays du Sud, infléchir le sens de la mondialisation pour qu'elle soit plus juste, inclusive et soutenable au regard de l'environnement, il faut entretenir le lien d'intimité que nous avions avec ces pays, qui nous a été légué par l'histoire et lui donner des formes plus modernes, dont celle de l'expertise technique. La France est forte de son poids et de son histoire, mais surtout des liens qu'elle tisse avec l'ensemble des partenaires avec lesquels elle entretient des relations étroites : liens culturels, liens économiques, liens scientifiques et d'innovation, et évidemment liens humains, de partage et de métissage des savoirs et des savoirs faire. Ce sont ces liens qui nous permettront de peser sur les modes de développement du Sud afin de construire les piliers sociaux et environnementaux d'une mondialisation plus inclusive.

Ce réinvestissement dans l'aide au développement s'est déroulé dans le cadre d'un calendrier particulièrement riche cette année : la conférence d'Addis Abeba en juillet dernier, la réunion de septembre à l'ONU, où la communauté internationale a adopté les 17 objectifs de développement durable, l'engagement de la France à consacrer plus de 4 milliards d'aide au développement supplémentaire d'ici 2020 et enfin l'accord récent et historique de la COP 21.

Pour mettre en oeuvre cette ambition, dont nous nous réjouissons, Expertise France s'est mise en ordre de marche, à côté de l'AFD, opérateur pivot de la coopération au développement qui, adossé à la Caisse des dépôts, va accroitre ses engagements. Nous allons participer à cette nouvelle ambition en mettant en oeuvre des projets de transfert de savoir et de savoir-faire au bénéfice de la Gouvernance des pays du Sud.

La deuxième raison de création de ce champion national est que l'expertise a un rôle fondamental à jouer dans la coopération au développement. On l'a observé depuis la décolonisation : pour aider les pays les plus défavorisés, il ne suffit pas de réaliser des transferts financiers, il faut les accompagner dans leur capacité à absorber ces fonds et à mener des politiques adaptées. C'est d'abord en renforçant la gouvernance interne qu'on arrivera à leur permettre d'être autonomes et d'assurer leur développement.

L'expertise publique est, en outre, un formidable instrument d'influence et de rayonnement, une force de projection de notre vision du monde. En partageant notre approche de l'état de droit, de la décentralisation, du socle de protection sociale ou des normes de droit du travail décent, nous partageons le modèle institutionnel et social français

Elle constitue un marché en soi – on parle de 400 milliards de dollars dans les cinq ans à venir – et un enjeu d'influence économique majeur. Quand on projette à l'international l'expertise de l'AFNOR par exemple, les appellations d'origine contrôlée, les partenariats public-privé ou la concession de service public à la française, on crée un écosystème favorable aux entreprises et aux intérêts français.

La France réinvestit la coopération technique, mais sous des formes nouvelles. Après la décolonisation, celle-ci consistait à placer des experts techniques auprès de gouvernements : nous en avions 30 000 ; il n'en reste plus que 400. Nous allons continuer cette coopération – le Quai d'Orsay va d'ailleurs nous confier la gestion de l'ensemble de ces experts – avec de nouveaux interlocuteurs, de façon plus temporaire, sur des projets plus construits, plus polyvalents, avec non, seulement l'État, mais les collectivités territoriales et les entreprises publiques, et la nécessité d'établir des coalitions avec de l'expertise européenne et du Sud, y compris avec des entreprises et bureaux d'études privés, au travers d'opérations d'une taille beaucoup plus importante. La Commission européenne met en oeuvre des financements pour des projets de plusieurs millions d'euros : il faut en face des agences publiques de taille suffisante pour les gérer et être capables de créer cette coalition d'acteurs. C'est ce que vous avez voulu faire en créant Expertise France.

Forte d'une banque de développement recapitalisée, l'AFD, et d'un opérateur technique de taille européenne, la France devrait ainsi conforter sa place dans le monde de la coopération.

Voilà pour le contexte, s'agissant des résultats de la réforme, à travers la loi de 2014, vous avez d'abord voulu mettre fin à la fragmentation des acteurs. Avant cette loi, chaque ministère avait son opérateur de coopération technique, de taille limitée, généralement en concurrence avec les autres, avec des domaines de compétences qui se chevauchaient – là où les Allemands, avec la GIZ, les Anglais avec Crown Agency, les Espagnols, avec la FIIAP, avaient constitué des champions nationaux. Vous avez choisi la complémentarité là où il y avait la concurrence, la visibilité là où il y avait une multiplicité d'acteurs et l'efficacité là où il y avait dispersion.

Je crois que c'était le bon choix. En effet, nous avons réalisé cette année 14 % de croissance avec 21 % de subventions publiques en moins. Selon nos prévisions, nous ferons en 2016 40 % de plus par rapport à 2014 avec 35 % de subventions en moins. Un des objectifs de la réforme était de créer un opérateur sachant capter des financements internationaux pour projeter à l'international l'expertise française, cet objectif est atteint.

Notre activité s'articule autour de quatre grandes thématiques, pour lesquelles je vous donnerai des exemples concrets.

Première thématique : l'appui à la gouvernance. Nous intervenons dans le domaine de l'État de droit, la décentralisation, la structuration de la justice, l'aide à la société civile ou au pluralisme des médias. Nous avons ainsi un projet, qui commencera en janvier, de renforcement de capacités de l'Assemblée des représentants du peuple tunisien, avec les services de l'Assemblée nationale et 1,6 million d'euros de financements européens. La transition démocratique en Tunisie, que nous soutenons, est un enjeu fort.

Deuxième thème : la lutte contre le changement climatique. Nous avons ainsi mis en place, à la demande du Gouvernement, sur financement de l'AFD, un soutien à 26 pays pour leur contribution nationale en vue de la COP 21, ce qui a été d'une grande utilité pour l'accord trouvé ce week-end. Nous poursuivrons cette action, notamment dans la mise en oeuvre de ces engagements.

Troisième thème : le renforcement des systèmes de santé. Ayant hérité d'un savoir-faire dans le domaine des pandémies, à travers le GIP Esther et le 5 % fonds SIDA, nous avons diversifié cette activité en gérant pour plus de 22 millions d'euros de projets de renforcement de l'ensemble des systèmes de santé des pays touchés par Ebola – de veille épidémiologique, d'accompagnement des soignants ou de planification sanitaire. Cette oeuvre me paraît utile pour ne pas retrouver la situation vécue il y a un an.

Quatrième thème : sécurité et stabilité. Nous gérons depuis 2013 une série de projets financés par le ministère des affaires étrangères, la Commission européenne, mais aussi les agences japonaise et britannique de développement, pour le soutien de partenaires syriens (ONG ou conseils locaux) dans les zones contrôlées par les forces modérées, afin qu'ils puissent offrir des services de base à la population. Il y a en effet aujourd'hui en Syrie autant de morts liés à la guerre civile qu'à l'absence d'État et de services de base. Nous avons ainsi contribué à la création de 8 centres de santé primaire, délivrant plus de 30 000 consultations mensuelles, et de 3 boulangeries industrielles produisant 30 tonnes de pain par jour et touchant 100 000 personnes. Nous venons en outre de remporter un projet sur le fonds MADAD, qui va nous permettre de poursuivre notre activité, contribuant à sauver des vies en Syrie et à stabiliser les populations.

Sur le plan géographique, nous intervenons en Grèce, sur la crise des finances publiques, en Turquie, sur la ville durable et bientôt sur les questions des réfugiés, en Syrie, comme je viens de le dire, au Liban, sur l'institut des finances et bientôt sur le renforcement des filières des fruits à noyau, dans les territoires palestiniens, avec l'institut des finances, en Libye – où nous sommes intervenus sur l'accompagnement des PME –, en Algérie, sur la formation professionnelle et l'employabilité des jeunes, en Tunisie, dans très nombreux secteurs, avec 20 millions d'euros de projets, dont la dépollution du Golfe de Gabès avec les collectivités territoriales, les pouvoirs publics et les organisations non gouvernementales (ONG), au Maroc, sur des questions de finances ou de droits de l'homme, en Afrique subsaharienne – dans tous les pays francophones, notamment dans le domaine de la santé –, ou en Côte d'Ivoire, sur des secteurs aussi variés que la protection civile, la santé en milieu carcéral, les finances publiques, les pompiers ou les hôpitaux.

Nous intervenons aussi en Asie, de façon minoritaire, sur les questions liées au commerce et aux statistiques, et en Amérique latine, sur des projets européens liés à l'accès à la justice et, j'espère, demain, sur la criminalité organisée.

S'agissant de l'avenir, j'insisterai sur quatre points.

D'abord, l'adoption d'un contrat d'objectifs et de moyens (COM) avec l'État. Nous sommes en train de le négocier avec nos tutelles et avons déjà eu un débat sur ce point au sein de notre conseil d'administration, auxquels vos collègues François Loncle et André Schneider ont déjà participé – j'en profite d'ailleurs pour faire un appel à candidature pour des suppléants, ceux de l'Assemblée nationale n'ayant pas encore été nommés. Nous vous soumettrons ce COM, qui devrait être prêt en mars et sur lequel les commissions parlementaires compétentes auront un avis à donner.

Deuxième objectif de l'année prochaine : consolider l'agence et monter en gamme dans nos prestations. L'année 2015 a été celle de la fusion, 2016 doit être une année de consolidation, sur nos méthodes de travail, nos contrats, la qualité de nos prestations et leur évaluation. Elle sera consacrée aussi à améliorer les conditions dans lesquelles les salariés effectuent leurs missions, avec notamment un vaste projet de formation professionnelle et d'informatisation.

Troisième objectif : répondre à la demande internationale croissante. La programmation des bailleurs de fonds est considérable dans le domaine de l'expertise, en particulier dans celui de la stabilisation. Le fonds MADAD représente ainsi 650 millions d'euros et le fonds stabilisation et migration destiné au Sahel, 1,8 milliard.

La France elle-même a réévalué ses engagements à la veille de la COP 21. Le budget de l'aide au développement a été augmenté de 256 millions d'euros grâce, notamment, à votre initiative et il faudra compter avec la mise en oeuvre des engagements que nous avons pris au titre de la COP 21.

Nous allons donc approfondir les quatre priorités que j'ai décrites et développer de nouveaux modes d'action : favoriser des coopérations triangulaires avec les pays du Sud, pour leur offrir un produit hybride entre l'expertise française et l'expertise de terrain de ces pays, de façon à apporter des réponses adaptées ; élargir nos champs d'activité à des secteurs dans lesquels nous sommes peu présents, comme l'agriculture et l'éducation ; et travailler avec des fondations privées et le mécénat.

Quatrième objectif : parvenir à l'équilibre financier. Les coûts de fusion sont en effet importants – plus de 3 millions d'euros – et nous avons encore un déficit de 4 millions. Nous avons transféré du droit public au droit privé la moitié des salariés, ce qui a engendré plus d'un million d'euros de cotisations sociales supplémentaires. Par ailleurs, les subventions publiques ont diminué de 3 millions d'euros. On sait que les fusions coûtent au début et rapportent ensuite : je suis donc en discussion avec nos tutelles sur la façon de nous accompagner dans cette trajectoire de croissance. Dans cette réforme, les pouvoirs publics sont derrière nous ; j'attends les arbitrages pour connaître le montant du soutien de l'État sur ce point.

J'espère que ce que je vous ai dit vous donnera envie de parler d'Expertise France quand vous rencontrerez vos collègues étrangers. Nous sommes à leur disposition pour étudier des projets de renforcement de capacités.

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