Intervention de Jean-Claude Guibal

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Guibal, rapporteur :

Le présent projet de loi vise à approuver le sixième avenant à la convention de sécurité sociale du 28 février 1952 qui lie la France à la Principauté de Monaco.

L'influence de la Principauté dépasse de loin sa taille et notre dialogue au plan diplomatique est particulièrement fructueux, notamment pour ce qui est de la défense de la francophonie à laquelle cette commission accorde la plus grande attention, mais aussi, il faut le rappeler au lendemain de la COP21, de l'engagement, fort et ancien du côté monégasque, en faveur de l'environnement et du développement durable.

A titre liminaire, je rappellerai que les relations politiques entre la France et la Principauté de Monaco ont profondément évolué depuis quelques années, dans le sens d'une souveraineté renforcée de la Principauté, en trois étapes :

– tout d'abord la signature du Traité d'amitié de 2002. Prenant la place du traité « d'amitié protectrice » de 1918, il est venu réaffirmer la communauté de destin qui lie la France et la Principauté de Monaco et dont témoigne la mise en oeuvre de nombreuses coopérations entre les deux Etats.

– ensuite la signature de la convention de coopération administrative de 2005.

– enfin l'établissement de nos relations diplomatiques, avec élévation de notre Consulat à Monaco au rang d'Ambassade depuis le 1er janvier 2006.

La Commission annuelle de coopération franco-monégasque est la clef de voûte de notre très intense relation bilatérale. Les deux dernières réunions de la Commission ont eu lieu le 16 octobre 2013 à Paris et le 21 avril 2015 à Monaco.

Lors de cette 8ème édition, les échanges ont notamment porté sur le processus de rapprochement avec l'Union européenne engagé par Monaco qui doit conduire à la conclusion d'un accord d'Association, avec l'appui de notre pays.

Trois autres réunions bilatérales rythment notre relation : la Commission chargée des questions locales de coopération transfrontalière ; la Commission bilatérale de suivi de la convention de sécurité sociale ; la Commission mixte sur la fiscalité.

Bien que nos deux Etats soient pleinement souverains, nos rapports ne sont pas ceux de deux voisins ordinaires. La « communauté de destin » proclamée dans le traité d'amitié et de coopération de 2002 est loin d'être vide de sens, elle se vit au quotidien pour près de 8500 français qui vivent à Monaco et les quelques dizaines de milliers qui y travaillent chaque jour. Je tiens d'ailleurs ici à souligner qu'il faut veiller au maintien de la communauté française de Monaco qui a été presque divisée par deux au cours des dix dernières années, notamment en raison de l'envolée des prix de l'immobilier et du statut fiscal des Français.

Par ailleurs, Monaco est, sur le plan économique, très intégré à notre pays et plus particulièrement à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. La Principauté forme avec les communes environnantes une agglomération de plus de 100 000 habitants et elle emploie, pour son seul secteur privé, plus de 30 000 Français à l'origine d'un nombre important de migrations quotidiennes.

La Principauté est très impliquée dans le tissu économique régional et a même participé au financement d'infrastructures autoroutières situées sur le seul territoire français. Par ailleurs, il nous faut insister tout particulièrement sur l'économie numérique et le développement durable, qui ont vocation à constituer des axes forts de notre rapprochement économique.

Le gouvernement princier exprime désormais clairement sa volonté de faire de Monaco une « ville intelligente et durable ». En juin 2013, la Principauté a adhéré au GIE Eurecom de Sophia-Antipolis, qui regroupe industriels et grandes écoles. Monaco peut ainsi disposer d'un incubateur et a ouvert, sur son territoire, un laboratoire sur la sécurité numérique. On peut citer aussi la coopération avec la Métropole Nice-Côte d'Azuren vue d'établir une « métropole French tech »

Véritable bassin économique générateur d'emplois pour toute la région PACA, Monaco attire plusieurs dizaines de milliers de salariés français par jour. Un ralentissement de l'activité économique monégasque ne manquerait pas de provoquer un séisme social dans les Alpes-maritimes. C'est dans ce contexte que s'inscrit le présent accord.

En effet, les autorités monégasques souhaitent développer davantage les activités économiques de la Principauté en desserrant les contraintes liées à un territoire limité et au coût des loyers.

Pour ce faire, elles ont souhaité favoriser le recours par les entreprises monégasques au télétravail, en adoptant un cadre législatif adapté et en soumettant à la législation de sécurité sociale monégasque les salariés exerçant en télétravail pour des entreprises établies à Monaco.

Cependant, la convention de sécurité sociale du 28 février 1952 qui lie la France et Monaco, ne permet pas en l'état de couvrir les cas de télétravail.

La convention prévoit l'assujettissement des travailleurs salariés à la législation d'exercice de l'activité.

Elle précise par ailleurs que les travailleurs à domicile sont soumis à la législation du lieu de leur domicile. Les télétravailleurs exerçant leur activité en France devraient donc être affiliés à la législation française de sécurité sociale.

La situation de télétravailleurs qui exerceraient leur activité pour partie en France et pour partie à Monaco, comme le prévoit le projet de loi monégasque sur le télétravail, n'est donc pas réglée par l'actuelle convention franco-monégasque et impliquerait une affiliation dans chacun des États.

Il fallait donc modifier la convention en ce sens, et c'est l'objet du présent avenant de venir combler ce vide juridique.

Les négociations ont été menées pendant près de 3 ans, avec l'objectif, pour les autorités françaises, de parvenir à un accord qui n'aggrave pas le déséquilibre pour la sécurité sociale française entre financement et dépenses, tel qu'il résulte de la convention franco-monégasque. Un accord a pu être trouvé au printemps 2013. L'aboutissement de ces négociations a permis de finaliser fin 2013 l'avenant à la convention franco-monégasque sur la sécurité sociale et à l'arrangement administratif général pris pour celle-ci. L'avenant a été signé à Monaco le 18 mars 2014, à l'occasion de la Commission mixte franco-monégasque de sécurité sociale.

Le préambule rappelle le souhait des deux Parties d'assurer la modernisation des dispositions de la Convention de sécurité sociale qui les lient en prenant en compte le développement de nouvelles formes de travail.

L'article 1er de l'avenant aménage la possibilité pour les salariés exerçant leur activité de télétravail à Monaco mais résidant en France d'être affiliés au régime de sécurité sociale de la Principauté.

Concrètement, cela signifie que les salariés en télétravail d'une entreprise établie à Monaco, résidant en France, pourront être affiliés au régime de sécurité sociale de la Principauté. L'inverse est aussi vrai. Cependant, cette disposition devrait principalement concerner des personnes résidant en France (80 % des salariés travaillant actuellement à Monaco, soit 36 045 salariés sur 47 759, résident en France) et, dans une moindre mesure, en Italie.

Il est précisé que le salarié devra effectuer au moins un tiers de son temps de travail hebdomadaire dans les locaux de l'employeur, ce afin d'éviter tout détournement de la législation.

En contrepartie, et c'est la deuxième disposition importante de ce texte, le partage, en contrepartie, de la moitié des frais de santé des personnes titulaires d'une pension de retraite ou d'une rente d'accident du travail

L'assujettissement des télétravailleurs résidant en France au régime monégasque prive les régimes de sécurité sociale français des cotisations sur les salaires perçus mais, pendant leur activité, la charge des prestations incombe au régime monégasque.

En revanche, pour éviter de faire supporter au régime français de sécurité sociale la charge intégrale des soins de santé des télétravailleurs devenus retraités, alors même que cette charge est la plus importante, en application de la convention de sécurité sociale franco-monégasque, la France a négocié le partage de la prise en charge des soins des télétravailleurs devenus retraités.

L'article 2 de l'avenant prévoit donc la prise en charge par moitié par les caisses de sécurité sociale françaises et monégasques des soins de santé des pensionnés qui auront été télétravailleurs et de leurs ayants-droit sous réserve d'une durée de télétravail à Monaco d'au moins 15 ans, au moyen d'un compte de partage.

L'article 2 prévoit également qu'un « arrangement administratif fixe les modalités du règlement financier relatif au partage de la charge ». Selon l'étude d'impact, il est difficile pour l'heure d'évaluer l'impact financier de partage des charges pour la France, dans la mesure où le nombre de bénéficiaires potentiels de cet avenant n'est pas encore connu.

Cet accord est attendu, car il devrait avoir des retombées positives en termes d'emploi et de conditions de travail. Les autorités monégasques ont estimé que le nombre de salariés susceptibles d'être concernés par le télétravail pourrait se situer entre 500 et 5000.

Pour la France, le développement du télétravail par des entreprises monégasques est de nature à offrir du travail à des personnes inactives de la région PACA mais aussi à améliorer les conditions de vie des personnes déjà employées à Monaco, qui pourraient exercer leur activité depuis chez elle. Le télétravail devrait permettre une réduction des temps de transport pour les salariés et l'amélioration des conditions de circulation dans la région.

Il convient de noter que le présent avenant pourra s'appliquer sans condition de nationalité aux ressortissants d'États faisant partie de l'Espace économique européen et de la Suisse ou aux ressortissants de pays tiers résidents de longue durée dans le respect dans le respect des dispositions du droit de l'Union européenne.

Il sera enfin procédé à une évaluation régulière de ce dispositif. En effet, l'article 3 prévoit la possibilité pour les deux Parties de prendre des mesures de coopération utiles pour vérifier le respect des conditions prévues pour l'application des articles 1er et 2, de suivre annuellement le nombre de personnes susceptibles d'entrer dans le champ de ces dispositions, ainsi que les entreprises qui les emploient, dans l'objectif notamment de prévenir des délocalisations d'entreprises de la France à la Principauté de Monaco. Un bilan d'application est prévu, à l'issue d'un délai de trois ans suivant la date d'entrée en vigueur de l'avenant.

Les autorités monégasques attendent que la France ait ratifié ces deux conventions pour le faire elles-mêmes. L'adoption du présent projet de loi leur permettra d'accomplir sans tarder cette procédure.

La mise en place concrète de cet accord se prépare déjà sur le terrain, notamment par la mise en place de plateformes de télétravail dans la région. Sur ce point, je souhaite attirer l'attention du gouvernement sur la nécessité de bien clarifier quelle sera la législation qui s'appliquera à ces salariés notamment en matière de droit du travail.

En conclusion, je vous propose d'adopter cet accord : il en va de l'intérêt partagé de la Principauté – qui pourra ainsi développer certaines activités économiques sans engorger son territoire – et de la France – qui pourra y gagner en termes d'emploi, de conditions de travail et de vie sociale, car pour nos concitoyens, ce sera moins de stress dans les embouteillages, moins de frais de transport, moins de temps perdu dans les allers-retours. Je vous remercie.

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