Intervention de Philippe Hourcade

Réunion du 17 décembre 2015 à 9h30
Mission d'information relative au paritarisme

Philippe Hourcade, président de l'association Dialogues :

Pour en venir plus précisément au thème de vos travaux, on ne peut traiter du paritarisme en soi. Il faut d'abord en avoir une définition partagée et bénéficier de conditions qui permettent de faire vivre le dialogue social dans ce pays et d'obtenir des évolutions contractuelles. Nous sommes de fervents partisans du dialogue social et de la possibilité pour les acteurs de se rencontrer, de discuter et de produire du consensus pour peu qu'ils aient une compréhension réciproque des enjeux en cause. Il arrive que des accords collectifs conclus entre les partenaires sociaux ou des décisions prises par le politique se traduisent par la mise en place d'outils de régulation et de dispositifs impliquant la participation desdits partenaires sociaux à leur gestion.

La capacité des acteurs sociaux à s'approprier le paritarisme a connu des évolutions, dont la plus notable concerne la gestion des régimes obligatoires de sécurité sociale : d'essence paritaire à la Libération, ces régimes ont connu des inflexions telles que leur centre de gravité a été réorienté vers leurs enjeux économiques et sociaux. Si la faculté pour les acteurs de participer à la gestion de ces régimes obligatoires a été maintenue, force est de constater que leur capacité autonome de gestion est aujourd'hui fort réduite : ils ne sont malheureusement que consultés au préalable sur la stratégie de santé. Il est évident que la définition de cette stratégie relève de l'État, mais peut-être pourrait-on renforcer la possibilité d'y associer les partenaires sociaux. Même si, en effet, le régime général couvre toute la population, il continue à prendre ses racines au coeur du salariat et ses mécanismes de financement – contribution sociale généralisée (CSG) comprise – sont conçus en référence au salariat ou aux revenus différés que sont les retraites. J'imagine que les partenaires sociaux ont dû vous faire part de leur insatisfaction de ne plus pouvoir participer pleinement à la politique de santé ni à sa mise en oeuvre – les marges de manoeuvre qui leur sont laissées dans les organismes paritaires étant de plus en plus réduites.

Au cours de ces vingt dernières années, on a aussi vu surgir la volonté, de la part de l'État, d'associer des personnalités qualifiées aux structures paritaires. Or, on pourrait contester l'essence démocratique de ce troisième collège. Cette association signifie-t-elle que la composition des organismes paritaires ne le serait pas assez ? À l'observation, on s'aperçoit que la nomination de personnalités qualifiées par les pouvoirs publics répond surtout au souhait de voir maintenus certains équilibres.

Je n'irai pas plus loin concernant ce premier point, car vous recevrez Dominique Libault après nous, et je sais que ce grand spécialiste des régimes obligatoires de protection sociale essaie de faire passer certaines idées concernant la formation des administrateurs. Nous lui en laisserons donc la primeur. Mais le noeud du problème est bien le fait que l'on ne peut responsabiliser les acteurs en l'absence de dispositif de formation qui les rende capables de s'occuper de la gestion que le pays, leurs électeurs ou leurs mandants leur ont confiée. Il y a là un vrai déficit, puisque l'essentiel des cursus de formation sont propres aux organisations qui ont présenté des candidats aux postes de représentants. Notre association essaie modestement de combler ce manque, mais nous n'avons pas vocation à nous substituer à d'autres acteurs.

Il manque actuellement un dispositif de formation globale de l'ensemble des acteurs, quel que soit le lieu où ils exercent leurs responsabilités, qui leur permette d'avoir une vision partagée des enjeux économiques et sociaux. Il y a beaucoup à faire en ce domaine ; cela contribuerait aussi à la revalorisation de la démocratie sociale, qui revêt une grande importance à nos yeux. Je n'épiloguerai pas sur les événements que nous avons vécus ces deux derniers dimanches, mais il ne faut jamais négliger le fait que la démocratie sociale est un pilier indispensable de notre République. Et que, contrairement à ce que la surface des choses peut laisser à penser, cette démocratie sociale est très active dans les entreprises, dans les territoires et dans les branches.

J'en viens aux dispositifs pour lesquels les partenaires sociaux ont un peu plus de marges de manoeuvre, dans la mesure où ils sont nés de leur volonté commune – qu'il s'agisse de la formation professionnelle, de l'assurance chômage ou des institutions créées pour piloter les régimes complémentaires de retraite, de prévoyance et de santé. Ces dispositifs peuvent toujours être améliorés, mais sous réserve de laisser aux partenaires sociaux le temps de la négociation. L'État peut jouer un rôle de garde-fou mais il conviendrait qu'il soit moins présent et pressant pour laisser plus de liberté aux acteurs concernés.

On touche là à une question qui vous intéresse directement : celle de l'articulation entre la capacité des partenaires sociaux à contractualiser et l'obligation de transposer leurs accords dans la loi. On a pu voir votre assemblée légiférer en des termes qui ne correspondaient pas toujours à ce qu'avaient souhaité les partenaires sociaux. Cette articulation mériterait d'être revue afin de maintenir la liberté de négociation et de faire en sorte que votre fonction de garant de l'intérêt public s'exerce sans trop édulcorer les facultés qu'ont voulu se donner les partenaires sociaux. Ainsi, les débats sur la partie de l'accord national interprofessionnel (ANI) relative à la généralisation de l'assurance complémentaire santé ont abouti au vote d'une loi assez différente des intentions des négociateurs. Il conviendrait peut-être que le législateur travaille plus en amont avec les partenaires sociaux pour avoir une meilleure compréhension de leurs objectifs sans que son rôle soit remis en cause.

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