J'étendrai la réflexion au dialogue social en général : comment concevoir dans notre pays un dialogue social qui corresponde à une répartition des rôles entre les différents acteurs – pouvoir politique et pouvoir de la démocratie sociale ? On ne peut aborder cette question qu'en ayant à l'esprit un enjeu tout aussi important : celui du rôle des acteurs. Si l'on veut, demain, avoir des corps intermédiaires qui fonctionnent, il faut qu'ils aient un réel pouvoir. Or, un des problèmes qui se posent est celui de la sécurisation juridique des décisions prises dans le cadre de la démocratie sociale. Comment faire en sorte que les acteurs s'emparent de certains problèmes s'ils sont toujours exposés au risque de voir leurs décisions remises en cause par l'intervention ultérieure d'un pouvoir juridique ? Si l'on veut redonner du pouvoir au corps intermédiaire que représentent les organisations professionnelles et syndicales, il faut considérer que les décisions qu'elles prennent à l'issue d'une négociation ne peuvent être remises en cause par le juge et que, dès l'instant où un accord est majoritaire, cela assoit la légitimité des acteurs. Si l'on veut que, demain, ces acteurs puissent se développer et jouer un rôle efficace dans l'entreprise, il faut considérer que leurs décisions ne peuvent être remises en cause – pourvu, bien évidemment, qu'elles ne touchent pas à l'ordre public social.
Autre aspect lié au précédent : depuis plusieurs mois, certains se plaignent à juste titre des conditions dans lesquelles se déroule la négociation collective – le plus souvent au siège du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), et à partir d'un projet de texte venant toujours de ce dernier. Ne faudrait-il pas revoir la méthodologie de la négociation ? Au lieu du texte exprimant la position patronale, ne serait-il pas préférable de partir de textes élaborés par les organisations syndicales ? Cela supposerait cependant, sauf à ce que ces dernières se mettent d'accord entre elles, d'avoir à discuter d'autant de textes qu'il y a d'organisations présentes autour de la table. La question centrale est de savoir comment créer un climat de confiance entre les différents acteurs.
La formation à la négociation nous semble décisive. Pour ce qui est des représentants des organisations syndicales et patronales, nous avons en France un appareil de formation relativement déficient. En entreprise, des jeunes à peine sortis de faculté ou de grande école se retrouvent à exercer des fonctions de gestion des ressources humaines sans avoir jamais rencontré un seul syndicaliste pendant toute la durée de leurs études. Et la réciproque est vraie du côté syndical. Quant à savoir s'il faut en passer par un institut, pourquoi pas ? Mais, de manière plus générale, il faudrait que, dès la formation post-baccalauréat, les élèves rencontrent des acteurs de l'entreprise puisqu'ils seront amenés à y devenir acteurs eux-mêmes. La méconnaissance crée inévitablement de la défiance.
Faut-il définir un statut de l'élu ? Il conviendrait déjà de favoriser les allers-retours entre la fonction syndicale et l'activité professionnelle, car lorsque des syndicalistes exerçant un mandat lourd ou permanent, que ce soit dans l'entreprise ou en dehors de celle-ci, perdent leur représentativité ou décident de ne plus exercer ce mandat, ils se voient renvoyés par leur employeur au poste qu'ils exerçaient auparavant. Ils ont donc le sentiment que tout ce qu'ils ont appris dans le cadre de leur mandat d'élu du personnel n'a servi absolument à rien. Cela renvoie à l'ensemble des salariés, de surcroît, l'image d'un syndicaliste qui, dès lors qu'il commence à exercer son mandat, n'évolue plus sur le plan professionnel. Si l'on veut, demain, attirer des jeunes vers le syndicalisme, il faut favoriser le départ des plus anciens de leur poste syndical et faire en sorte que les salariés qui quittent leur mandat n'aient pas le sentiment d'avoir perdu du temps dans leur carrière professionnelle, comme c'est malheureusement le cas aujourd'hui. Il convient donc de mettre en place des dispositifs – il s'avère que nous en avons créé un qui fonctionne – favorisant ces allers-retours et permettant de reconnaître dans l'activité professionnelle les compétences acquises dans l'exercice d'un mandat syndical.