J'ai conduit la négociation, non pas au titre du MEDEF, mais pour l'ensemble de la délégation patronale. Nous nous étions réunis préalablement avec la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l'Union professionnelle artisanale (UPA) pour en discuter.
Mon expérience en matière de paritarisme est ancienne. Dans mon entreprise, j'ai dû signer, en vingt-cinq ans, entre 200 et 300 accords. Mais, au niveau national, c'était ma première négociation. Je me félicite qu'elle ait porté sur le champ de la retraite, car je crois que c'est le seul vrai champ du paritarisme où les partenaires sociaux aient à la fois le pouvoir de décision et la responsabilité de la gestion. Il y a d'autres secteurs, comme la sécurité sociale, où l'on pourrait parler de « paritarisme de figuration ». La responsabilité et la décision reviennent à l'État, et les partenaires sociaux sont là pour faire entendre une voix qui, souvent, n'est pas écoutée. Dans le cas des régimes de retraite complémentaire, nous avons à la fois la responsabilité de la décision et celle de sa mise en oeuvre et de sa gestion.
Si, compte tenu de cette caractéristique du paritarisme en matière de gestion des retraites complémentaires, cette négociation avait échoué, c'est le concept même de paritarisme qui aurait été fragilisé car, faute de décision, il aurait fallu que l'État reprenne la main pour fixer le taux d'appel, le niveau des pensions, donc qu'il se substitue aux partenaires sociaux, mettant ainsi fin à ce qui est aujourd'hui le coeur du vrai paritarisme, et qui relève de la seule responsabilité des partenaires sociaux.
Le succès de cette négociation a-t-il sauvé le paritarisme ou les régimes complémentaires ? Pour moi, le sujet reste ouvert. En tout cas, nous avons évité qu'il ne subisse une avanie et permis aux régimes complémentaires de retraite de continuer à exister.
Il ne faut pas confondre paritarisme et dialogue social. On peut ne pas avoir de paritarisme sans que cela porte atteinte au dialogue social, lequel se situe principalement dans les entreprises. Chaque année, 35 000 accords sont signés au niveau des entreprises, 1 000 au niveau des branches, quelques dizaines au niveau interprofessionnel. Le dialogue social fonctionne et, en France, il est même vivace. Le souhait du MEDEF est que, dans la foulée du rapport Combrexelle, on puisse aller plus loin dans le dialogue social sur le terrain, où les salariés et leurs représentants sont en prise directe avec la réalité des marchés, de la concurrence et de la compétition, et où il faut s'adapter rapidement. Pour moi, le dialogue social est incontournable dans l'entreprise, à condition qu'il ne soit pas entravé dans son champ de responsabilité et qu'il puisse traiter des vrais sujets.
Par contre, le paritarisme fonctionne en matière de retraites. Les régimes complémentaires des salariés du privé n'ont jamais coûté d'argent à la collectivité nationale. Les partenaires sociaux sont arrivés dans le passé à constituer des réserves qui permettent, malgré le déficit « technique » actuel des régimes et sans dotation de l'État, contrairement à ce qui existe dans d'autres régimes – je pense à la fonction publique ou aux régimes spéciaux – d'arriver à l'équilibre en ce qui concerne la retraite payée à l'ensemble des salariés, cadres et non-cadres par l'ARRCO, et en complément aux cadres par l'AGIRC.
Le paritarisme a fait la preuve de son efficacité par sa capacité à gérer ce dispositif avec une vision de long terme et un souci prudentiel. Les partenaires sociaux ici présents et la délégation patronale que je représente sont attachés à cette gestion paritaire qui a fait ses preuves.
L'accord que nous avons signé était nécessaire, mais je ne suis pas certain qu'il soit suffisant. Il était nécessaire pour maintenir vivant – et vivace – le paritarisme et pour sauver les régimes complémentaires, menacés de devoir réduire les prestations versées aux retraités si nous n'avions pas trouvé de ressources supplémentaires. Par définition, un régime par répartition ne peut pas faire faillite, mais il ne peut distribuer que ce qu'il a, en puisant dans les cotisations qui rentrent et dans les réserves qu'il a pu constituer dans le passé.
Aujourd'hui le déficit « technique » est de l'ordre de 5 milliards d'euros par an. Sans les mesures que nous avons prises, il aurait atteint 8 milliards à l'horizon 2020. L'accord qui a été signé permet de résorber, non pas la totalité, mais une très grande partie de ce déficit, et surtout de mettre en place un régime unifié et un système de pilotage tactique et stratégique, ce qui permettra d'anticiper les évolutions démographiques et économiques, et d'agir sur tous les leviers pour équilibrer le régime et en assurer la pérennité.
Les salariés, et notamment les jeunes générations, ont besoin d'être rassurés sur la pérennité et la viabilité de ces dispositifs. Les dispositions prises en matière de pilotage apportent cet élément de sécurisation.
La discussion n'a pas été facile. Nous ne sommes pas passés loin d'un échec. Le sujet est à la fois très simple et très technique. Pour équilibrer un régime de retraite, il y a trois leviers : le niveau des ressources, c'est-à-dire les cotisations patronales et salariales, le niveau des dépenses, c'est-à-dire le niveau des pensions, et l'âge de départ.
Alors que nous venions d'obtenir des pouvoirs publics, à travers le pacte de responsabilité et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), des mesures qui permettent, même de façon insuffisante, d'améliorer la compétitivité des entreprises françaises, il était difficile de demander des allégements de charges et parallèlement de prévoir des augmentations de cotisations qui auraient altéré ces allégements nécessaires à la croissance et à l'emploi.
De même, il était difficile de baisser le niveau des pensions, comme cela s'est fait dans certains pays. Une telle mesure n'était souhaitable ni socialement ni économiquement. Il était possible d'envisager le gel ou le ralentissement de l'évolution des pensions, mais certainement pas leur baisse. Le levier restant était celui de l'âge. Il ne nous appartient pas à nous, partenaires sociaux, de définir l'âge légal de départ à la retraite. Une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiée hier dans la presse, montre l'écart entre la durée de vie à la retraite en France et dans les autres pays de l'OCDE. L'espérance de vie moyenne d'un retraité en France est de vingt-six ans à compter de sa cessation d'activité. Il faut donc trouver les moyens de financer une durée de vie à la retraite aussi longue.
Pour nous, la solution était, non pas d'imposer, mais d'inciter les gens à prolonger leur période d'activité. Nous avons trouvé un dispositif d'incitation positive et négative équilibré, avec un système de bonus-malus, pour essayer de convaincre les gens de travailler plus longtemps à partir de 2019.
J'ai le sentiment que nous ne pourrons pas faire l'économie de revenir sur l'âge légal de départ à la retraite. La comparaison avec les pays qui nous entourent montre que la situation française de départ à 62 ans est « anomalique ». La durée de cotisation est insuffisante. C'est la combinaison des deux, à savoir un âge légal retardé et une durée de cotisation plus longue, qui permettra d'équilibrer le régime général, qui ne l'est que provisoirement et incomplètement. Il ne faut pas oublier le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, qui s'élève à 3,4 milliards d'euros. Il ne faut pas oublier non plus que c'est le report de l'âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans et l'absence d'inflation qui permettent temporairement au régime général de paraître à l'équilibre.
De ces mesures, qualifiées de courageuses, je dirai qu'elles sont seulement de bon sens. Depuis 1981, l'espérance de vie a augmenté de huit ans. Il faudrait qu'elle soit partagée entre un temps de travail et un temps de retraite, et non affectée uniquement à ce dernier. Je me félicite donc que cette négociation ait pu aboutir, même si elle a été difficile.
Enfin, toutes les mutations auxquelles nous assistons sur le marché du travail – l'évolution démographique, la croissance faible, l'évolution de la proportion des salariés dans la population active totale, l'émergence de nouvelles pratiques, communément résumées par le vocable d'« ubérisation », ou de nouveaux statuts, comme celui d'auto-entrepreneur – font que c'est tout le sujet de la protection sociale et de son mode de financement qui est devant nous en matière de gestion des retraites.
Si nous nous reportons à ce que nous avons fait les uns et les autres à l'occasion du 70e anniversaire de la sécurité sociale et au texte fondateur de Pierre Laroque en 1945, on constate qu'il y avait à l'époque un lien direct entre cotisations et prestations. Il était normal que les salariés qui cotisent bénéficient d'une couverture dans l'ensemble des branches de la protection sociale.
Dès lors que nous allons vers une universalisation des prestations, il faut en repenser le financement. Il n'est pas forcément logique que ce soit sur le coût du travail et sur les entreprises que repose le financement d'un dispositif de portée générale. C'est sans doute à l'impôt, sous ses diverses formes, qu'il faut recourir.
J'en viens à la question du modèle de protection sociale. Qu'est-ce qui doit être mutualisé et qu'est-ce qui doit relever du choix et de la liberté individuels ? Aujourd'hui, la tendance est d'étendre le champ de la mutualisation, notamment dans le secteur de la santé. Étant donné le déséquilibre des régimes sociaux et l'augmentation de la dette sociale, sans même parler de la trésorerie de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACCOS), on peut se demander si ce modèle est pérenne et s'il ne faut pas repenser son financement et son champ d'application.