Intervention de Jean-Louis Malys

Réunion du 3 décembre 2015 à 9h30
Mission d'information relative au paritarisme

Jean-Louis Malys, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail, CFDT :

À la CFDT, nous avons abordé cette négociation en tenant compte de la situation des régimes, du dialogue social, de la période que nous vivons et du sentiment que le dialogue social est l'objet de doutes et de contestations. Notre secrétaire général, Laurent Berger, parle de « syndicats bashing ». Alors que les corps intermédiaires sont violemment attaqués et que nous vivons une période de tensions et d'anxiété, le rôle de tous ceux qui prétendent agir dans le champ du collectif doit être de dire la vérité et d'apporter des solutions. C'est ce qu'essaie de faire la CFDT dans les domaines qui relèvent de sa compétence. Nous considérons que nous avons un rôle extrêmement important à jouer dans cette période et qu'alimenter les doutes et les suspicions, c'est alimenter tous les extrémismes.

Cette négociation était très difficile, mais nous le savions dès le départ. Nous avions fait un gros travail en amont pour la préparer, avec les services de l'AGIRC et de l'ARRCO. Il nous fallait comprendre ce qu'il se passait afin de déterminer les leviers pour agir. Pour répondre à l'une de vos questions, les données que nous avons utilisées pour négocier ont été objectivées par les services de l'AGIRC et de l'ARRCO. Avoir une sorte de diagnostic partagé avant d'entamer la négociation a été un élément très important. Le Conseil d'orientation des retraites (COR) nous a également aidés. Nous avons adapté les perspectives financières et économiques fournies par lui, en les noircissant un peu pour être le plus près possible de la réalité.

Nous avons préparé la négociation d'un point de vue technique et financier. Nous l'avons également longuement préparée au sein de notre organisation, en indiquant que nous souhaitions un accord. Nous estimions que, dans le cas contraire, il serait extrêmement compliqué d'envoyer des signaux positifs concernant l'avenir des régimes de retraite, en particulier aux jeunes générations. Nous ne voulions pas d'un accord à n'importe quel prix, nous recherchions un compromis. C'est ce que nous avons indiqué aux acteurs dès le début de la négociation.

Cela a été très difficile, car il y avait une équation financière à résoudre et un signal politique à envoyer : la réussite du dialogue social. C'est un signal important, et je partage le propos de M. Tendil sur ce sujet. J'estime, d'ailleurs, que le champ de la négociation doit s'ouvrir, y compris dans les entreprises. Cependant, certaines questions doivent relever de la loi et non être adaptées au plan local, car le risque existe de créer une sorte de dumping social au sein même de nos entreprises : je veux parler du SMIC, de la durée du travail et du contrat de travail. S'agissant, par contre, de l'organisation du travail, il faut ouvrir des espaces de négociation. La fonction fait l'organe, et si l'on veut des syndicats forts, il faut leur laisser des espaces de négociation.

Nous savions que la négociation sur les régimes complémentaires serait difficile. Nous avons donc préparé très en amont l'information pour nos mandants, en expliquant qu'il y aurait un compromis, lequel demanderait forcément des efforts, la question étant de savoir si ces efforts seraient partagés et quels signes politiques seraient donnés.

En ce qui concerne le rapport à l'État, nous considérons depuis toujours que les paramètres principaux des régimes de retraite doivent dépendre du législateur. S'agissant de l'âge, l'interprétation faite parfois par le MEDEF, parfois par des hommes politiques, parfois par des opposants à l'accord, consiste à dire que nous ouvrons la porte au départ à 63 ans. C'est précisément l'inverse : ce que nous proposons dans cet accord est un choix ouvert aux salariés.

Il ne faut pas les priver du choix de partir plus tôt ou plus tard. Si nous avons frôlé l'échec dans la négociation, c'est que les organisations patronales souhaitaient des mesures d'abattement « punitives » pour ceux qui partiraient à l'âge légal, sous la forme d'un abattement de 40 % la première année. Autrement dit, ces mesures les auraient empêchés de partir. Nous avons exigé que le choix de partir existe pour les futurs retraités, afin qu'ils puissent décider de partir à 62 ans, voire à 60 ans, puisque le dispositif en faveur des carrières longues est maintenu – sachant toutefois que, s'ils partent plus tôt, ils devront, compte tenu de la situation financière des régimes complémentaires, accepter de faire un effort, fût-il limité.

L'accord que nous avons signé est à ce jour très incorrectement interprété. Si, demain, le législateur considère que nous avons ouvert la porte au départ à 63 ans, non seulement nous dirons le contraire, mais, comme en 2010, face à une réforme qui, pour nous, a été et reste violente, nous nous y opposerons. La discussion sur les retraites doit tenir compte du fait que le système n'est pas égal pour tous selon les carrières, les profils, mais aussi les aspirations. Nos systèmes de retraite doivent offrir des choix, et non enfermer nos concitoyens dans un dispositif rigide pour des raisons budgétaires.

Décaler de façon uniforme l'âge de départ à la retraite à 63 ans serait profondément injuste et porterait un très mauvais coup à la situation des seniors, qui sont aujourd'hui largement victimes du chômage. L'accord ne s'appliquant pas avant 2019 en ce qui concerne la question de l'abattement, nous avons un travail spécifique à faire, en lien avec les négociations UNEDIC qui vont s'ouvrir. Nous devons exiger – l'accord le prévoit – une contribution des employeurs qui se débarrassent des salariés de façon anticipée, et veiller à ce que ceux qui ne sont pas en emploi aujourd'hui ne subissent pas pleinement l'abattement envisagé.

La négociation a eu lieu entre février et juin 2015. Nous avons eu affaire à une délégation patronale extrêmement dure, qui ne nous a laissé qu'une faible marge de manoeuvre. En outre, la négociation a été suspendue le 23 juin, pour ne reprendre que le 16 octobre.

Nous avons mis ce temps à profit pour faire une contre-proposition chiffrée à partir d'éléments fournis par l'AGIRC et l'ARRCO, en nous appuyant sur une mécanique pour l'essentiel reprise dans l'accord, à l'exception d'un point qui nous paraissait très intéressant : la période pendant laquelle il est demandé aux salariés qui partent à l'âge légal d'accepter une contribution provisoire. Nous souhaitions situer cette période entre l'année effective de départ à la retraite – qu'il faut distinguer de l'âge légal – et ce qu'on a appelé l'âge d'équilibre, c'est-à-dire l'âge théorique de départ qui permettrait d'aboutir à un équilibre total des régimes ARRCO et AGIRC. Cet écart est de deux ans.

Nous estimions que les salariés partant à la retraite devaient accepter de faire un effort, limité, mais réel, pendant une période de deux ans, pour contribuer à l'équilibre des régimes. Nous sommes arrivés à trois ans. Nous regrettons qu'on n'ait pas introduit cette notion de décalage entre l'âge effectif de la retraite et l'âge dit d'équilibre.

Comme nous avions formulé ce projet, les mandants de la CFDT – les adhérents, les salariés qui font confiance à notre organisation – n'ont pas été surpris des axes sur lesquels nous avions négocié et abouti. C'est un accord équilibré : des efforts sont demandés aux salariés, mais il est possible d'utiliser les réserves. M. Tendil l'a dit, nous n'avons pas tout résolu, mais nous avons des réserves suffisantes pour envisager assez sereinement l'avenir à partir de 2019 ou 2020. En tout cas, nous avons évité le pire, le plus important étant de faire sortir de l'impasse les régimes complémentaires.

J'en viens à la méthode de négociation.

Pour ma part, je suis en charge du dossier des retraites et j'y travaille depuis 2006, mais nous avons toute une équipe qui travaille pour préparer ces négociations. Il y a d'abord une délégation, composée de deux secrétaires nationaux, moi-même et ma collègue Jocelyne Cabanal qui s'occupe de la protection sociale. Virginie Aubin, quant à elle, est responsable du dossier des retraites au sein du service « Protection sociale ». Il y a également des représentants des régimes, des gestionnaires et des membres du bureau national (BN).

Enfin, il y a ce que l'on appelle le « groupe BN ». Composé d'une quinzaine ou d'une vingtaine de personnes – techniciens, représentants du bureau national et représentants des régimes –, il se réunit tous les mois et suit le dossier des retraites. C'est en quelque sorte un groupe miroir qui nous permet d'avancer dans la négociation.

Le mandat a été défini par le bureau national, instance politique de notre organisation, composée de quarante membres élus par le congrès. Le mandat du bureau national n'est pas précis au sens technique et arithmétique, car donner des chiffres avant une négociation est très compliqué. Pour simplifier, je dirai qu'il fixe des orientations, des limites basses et hautes. Nous avons rendu compte tous les mois au bureau national de l'avancée des négociations.

La décision de signer cet accord a été prise par le bureau national le lundi qui a suivi le 16 octobre, s'agissant des actes principaux. Ensuite, il y a eu un débat au sein de notre organisation. Comme nous avions bien situé les enjeux, l'organisation assume largement cet accord, malgré les efforts demandés aux salariés.

L'accord est conforme à la doctrine de la CFDT sur une réforme systémique allant dans le sens d'un rapprochement des régimes. Sur ce point, nous nous sentons à l'aise. Mais nous savons que d'autres étapes sont nécessaires. Les retraités doivent, eux aussi, être soumis à contribution, comme le prévoit l'accord. Il en va de même pour les entreprises. Nous aurions souhaité que les employeurs soient davantage soumis à contribution, mais nous savions que c'était difficile. Ce qu'a dit M. Tendil n'est pas totalement inexact. Nous l'avons évoqué dès le début de la négociation, la solution de facilité consistant à financer les régimes de retraite par l'augmentation des cotisations a pour double limite le pouvoir d'achat des salariés et la rentabilité des entreprises. C'est pourquoi cet accord, nuancé, est un compromis. Il n'est pas facile à expliquer, mais nous devons dire les choses très clairement aux salariés. C'est ce que nous avons fait tout au long de cette négociation.

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