Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation, même si je suis surpris que l'Union professionnelle artisane (UPA) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) soient absentes. La parole du MEDEF n'est pas nécessairement celle de l'UPA et de la CGPME : il peut y avoir des divergences sur certains points et des convergences sur d'autres.
La CGT souhaite, lorsqu'elle entre en négociation, parvenir à un accord. Je le dis parce que j'entends souvent affirmer que la CGT ne signe jamais rien. Or je dois dire qu'elle s'est beaucoup investie dans cette négociation. Nous avons été les premiers et les seuls à proposer, au début de la négociation, un accord structuré comportant quelques innovations que notre organisation soutient.
Nous souhaiterions parvenir, à terme, à un accord qui permette un partage des efforts, c'est-à-dire un accord différent de celui qui a été conclu sur les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO.
M. Tendil dit qu'il ne faut pas confondre paritarisme et dialogue social. Je partage cette analyse, à ceci près que le paritarisme fait partie du dialogue social, comme le dialogue social fait partie de la démocratie sociale. Or, en la matière, il y a un problème dans notre pays. Le problème existe moins dans les entreprises, puisque 80 % des accords y sont signés, y compris, le cas échéant, par la CGT – ce qui n'est pas le cas au niveau interprofessionnel. J'utilise souvent trois mots pour définir les conditions nécessaires d'un vrai dialogue social : respect, confiance, durée. Je dois constater qu'aujourd'hui ces trois éléments ne sont pas réunis.
S'agissant de l'organisation de la négociation, un effort a été réalisé au niveau patronal pour changer un peu la donne : je veux parler de l'absence de séances de nuit. Jusqu'à présent, une négociation se terminait à trois ou quatre heures du matin, dans de très mauvaises conditions. En outre, des réunions bilatérales ont eu lieu pendant les séances plénières, ce qui est important.
Mais des efforts sont encore à faire sur trois aspects notamment. D'abord, quant au lieu de la négociation, qui n'est pas neutre. Des tentatives ont été faites, dans le passé, pour qu'elles se tiennent au CESE, par exemple, plutôt qu'au siège du MEDEF. Ensuite, sur la présidence de la négociation, actuellement réservée au seul MEDEF. Nous pensons que la présidence devrait être assurée par une personne neutre, par exemple un représentant de l'État. Enfin, sur la construction du texte de référence. Ces trois aspects méritent d'être analysés et modifiés.
Quand on se retrouve dans une négociation au siège du MEDEF, sous présidence du MEDEF et sur la base d'un texte du MEDEF, les propositions des autres organisations sont trop souvent écartées d'un revers de main au motif qu'elles relèvent d'une autre négociation. Comme je suis également négociateur pour l'assurance chômage, cela me permet de comparer les deux aspects. Je mesure en particulier les conséquences sur l'assurance chômage d'un accord relatif aux retraites complémentaires : elles ne sont pas négligeables, puisque nous les avons évaluées à plus de 3 milliards d'euros, qui viennent s'ajouter aux 20 milliards d'euros de déficit cumulé, qui s'accroît par ailleurs chaque année de 4 milliards environ. Or, quand nous avons soulevé ces questions, notamment celle de l'emploi des seniors, dans le cadre de la négociation, on nous a renvoyés à une autre négociation. Je considère au contraire que l'on aurait dû pouvoir discuter de l'emploi des seniors dans le cadre de l'accord sur les retraites complémentaires, d'autant que 56 % des salariés ne sont plus en activité au moment où ils font valoir leurs droits à la retraite. En effet, les décisions prises dans le cadre de cet accord ne concernent que les 44 % qui sont encore en activité, et qui ont effectivement le choix de partir à l'âge où elles peuvent faire valoir leurs droits à la retraite sans abattement ou de rester un an supplémentaire pour échapper à l'abattement. Les 56 % qui ne sont plus en activité, eux, n'ont pas le choix.
L'autre question soulevée par la CGT est celle de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, qui a fait l'objet de plusieurs lois. L'égalité devait être atteinte en 2015. Or les écarts de salaire sont encore de 20 % en moyenne, les écarts de pension de 40 %, les écarts de retraites complémentaire AGIRC-ARRCO de 60 %. Il est donc temps de se pencher sur cette question. Mais lorsque nous avons soulevé ce problème, en nous fondant sur des études que nous avions demandées aux services de l'AGIRC et de l'ARRCO, on nous a répondu qu'il ne relevait pas de la négociation sur les retraites complémentaires et qu'il devrait être discuté dans un autre cadre. Si la présidence n'avait pas été assurée par le MEDEF, nous aurions pu aborder ces sujets et peut-être les approfondir.
Quelques mots sur les conséquences de l'accord.
Premièrement, il permettra de réaliser une économie de 6 milliards d'euros, ce qui ne comblera pas le besoin de financement, estimé à 8 milliards. Cela veut dire qu'il faudra rouvrir le dossier des retraites complémentaires si l'on veut parvenir à l'équilibre.
Deuxièmement, j'entends souvent dire qu'il ne faut pas toucher aux pensions car elles sont basses – comme l'a rappelé encore tout à l'heure M. Tendil. Pourtant, l'accord aura bien pour conséquence une baisse du niveau des pensions puisque, outre la mise en place d'un bonus-malus, il prévoit une revalorisation égale au taux d'inflation diminué de 1 %, ce qui constitue pour les retraités un manque à gagner de plus de 3 milliards d'euros. En outre, les futurs retraités seront eux aussi concernés, puisqu'il a été décidé une augmentation du prix d'achat du point. De plus, les salariés qui voudront partir à la retraite plus tôt et qui ont acquis tous leurs droits se verront appliquer une décote de 10 %. On ne peut donc pas dire que l'on ne touche pas au niveau des pensions. Je rappelle que le COR évalue à 1 236 euros le montant moyen des pensions, ce qui est effectivement très faible.
Troisièmement, nous sommes en désaccord avec la CFDT car nous estimons qu'un tabou a été levé sur la question de l'âge légal de départ à la retraite, ce que la droite a d'ailleurs exploité puisque le Sénat a décidé de le relever à 63 ans. Demain, certains – je pense aux députés – pourraient être tentés de ne pas faire moins, et même d'aller au-delà puisque le MEDEF avait proposé, au début de la négociation, d'aller jusqu'à l'âge d'équilibre, qui est de 64,5 ans. J'avais d'ailleurs souligné, au cours de la négociation, l'honnêteté du négociateur patronal qui avait affiché clairement son objectif.
Quatrièmement, s'agissant de la fusion de l'AGIRC et de l'ARRCO, la charrue a été mise avant les boeufs. Nous avions proposé une discussion sur les conséquences d'une fusion ou de la création d'un régime unifié et sur les façons d'y remédier. Je pensais notamment à la garantie minimale de points (GMP), au 1,5 % de prévoyance. Nous aurions pu travailler sur ces questions avant d'envisager une fusion. Or, on se dirige vers un régime unifié sans en avoir mesuré les conséquences. Les cadres sont inquiets car ils ont le sentiment que le statut de cadre est remis en cause.
Cinquièmement, on a parlé tout à l'heure de pilotage. En 2010 et en 2013, nous avions proposé la mise en place d'une maison commune des régimes de retraite. Nous croyons beaucoup à un organisme qui permettrait une coordination entre les régimes, de travailler à leur harmonisation et à leur évolution. Il y a actuellement 35 régimes de retraite, et nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut réfléchir à une évolution, mais dans quel cadre doit-on le faire ? Dans un cadre contraint ? Plutôt qu'un pilotage qui écarte encore un peu plus les ayants droit, il faut un organisme qui leur permette d'être acteurs. La démocratie sociale veut que les salariés puissent donner leur sentiment sur une négociation, y compris interprofessionnelle.
Enfin, j'ai indiqué tout à l'heure que 56 % des seniors n'étaient plus en activité. En la matière, le patronat a une responsabilité qu'il ne veut pas assumer. On nous dit souvent qu'il faut travailler plus longtemps parce que l'espérance de vie augmente, mais il y a des différences considérables d'espérance de vie entre les salariés. Quand je vois se vider petit à petit le dispositif relatif à la pénibilité qui avait été voté, je le déplore, même s'il ne nous convenait pas totalement, et je me dis qu'une fois de plus le patronat n'assume pas ses responsabilités. Or la CGT considère cette question comme primordiale : aujourd'hui, certains salariés ne sont pas capables d'aller jusqu'au bout parce qu'ils ne peuvent plus assumer physiquement leur travail, mais on se voile la face devant cette réalité. Avant 2006, il existait douze dispositifs de départ anticipé, mais ils ont tous été supprimés à l'exception de celui qui concerne les travailleurs exposés à l'amiante. Le fait que le dispositif sur la pénibilité soit vidé de son contenu empêchera que les salariés usés prématurément à cause de leurs conditions de travail partent plus tôt à la retraite. Et la négociation sur les retraites complémentaires a écarté ce sujet, alors qu'il existe un lien entre pénibilité, retraite et emploi. Il faut pouvoir discuter de l'ensemble.