Intervention de Philippe Pihet

Réunion du 3 décembre 2015 à 9h30
Mission d'information relative au paritarisme

Philippe Pihet, secrétaire confédéral de Force ouvrière, FO :

Force ouvrière distingue le dialogue social de la négociation collective. À nos yeux le dialogue social est une notion qui recouvre la politique conventionnelle depuis la loi du 11 février 1950, c'est-à-dire les conventions collectives et la hiérarchie des normes, d'ailleurs remise en cause par l'actuel gouvernement, ce qui est regrettable. La négociation, quant à elle, s'apparente à une confrontation, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne se déroule pas dans de bonnes conditions et dans des termes courtois, même si parfois tendus. Le paritarisme ne rentre donc pas dans le champ de la négociation mais dans celui de la confrontation ; il est aussi un mode de gestion, ce qui nous ramène aux deux fédérations – je dis bien « fédérations », car ce sont des fédérations – AGIRC et ARRCO.

Monsieur le président, vous avez déploré l'absence de représentants de la direction de la sécurité sociale (DSS) ; pour ma part, je m'en félicite, car elle n'a en aucun cas à prendre part aux négociations. Elle doit se borner au rôle qui lui est dévolu, et qui consiste en l'occurrence à vérifier, le 7 décembre prochain dans le cadre de la commission d'extension des accords de retraite et de prévoyance (COMAREP), qu'il est possible, en légalité et non en opportunité, d'étendre l'accord à l'ensemble des entreprises du secteur privé et du secteur agricole.

Ceci m'amène au rôle de l'État. Lorsque, il y a environ dix-huit mois, le Gouvernement a remis sa copie à Bruxelles, il y était indiqué que 2 milliards d'euros d'économies seraient réalisés sur les régimes complémentaires. La Cour des comptes, alors en mission à l'ARRCO a souhaité savoir comment avaient été chiffrés ces 2 milliards : il a fallu la renvoyer à Bercy, car l'ARRCO n'avait pas même été consultée ! Pour Force ouvrière, ce type d'ingérence n'est pas supportable, pas davantage que ne le sont les interférences politiques dans les négociations d'octobre dernier, interférences mises en avant par M. Gattaz en personne lors de la conférence sociale du 19 octobre dernier, qui réunissait autour du Président de la République, du Premier ministre et des ministres concernés, les représentants du patronat et ceux des syndicats : le « patron des patrons », comme on disait autrefois, a pris la peine de remercier le Gouvernement pour avoir facilité la négociation et l'obtention d'un accord – celui du 16 octobre.

Un mot donc sur cet accord. On a le droit de signer ou de ne pas signer un accord, mais personne n'a à juger de la qualité de l'interprétation qu'on en fait. Il n'y a pas de vérité révélée, pas de mauvaise ou de bonne interprétation, mais des positions politiques, que chacun défend selon ses mandats et ses opinions. En l'occurrence, Force ouvrière considère qu'il ouvre la voie à une augmentation de l'âge légal de départ à la retraite.

En effet, l'accord ne parle pas d'âge légal, mais des conditions à remplir pour bénéficier du taux plein, soit l'âge légal et le nombre de trimestres cotisés. Si, par aventure, le législateur décidait d'augmenter l'un ou l'autre de ces paramètres, les termes de l'accord se déplaceraient donc, comme le bouchon de liège dont la ligne de flottaison reste la même, que la marée soit basse ou haute. Ainsi les abattements – puisque les signataires qui se sont exprimés avant moi ont préféré ce terme à celui officiel de coefficient de solidarité – seraient-ils appliqués avec un an de retard si l'âge de la retraite à taux plein devait augmenter.

Un peu de pédagogie enfin. Il faut cesser de penser que partir à la retraite et liquider sa retraite sont la même chose. On part à la retraite lorsque l'on s'arrête de travailler le 31, et que le 1er du mois suivant on est à la retraite ; on liquide sa retraite lorsqu'on a enfin obtenu les conditions permettant de bénéficier du taux plein, ce qui peut survenir après quelques années de chômage. Aussi Force ouvrière considère-t-elle qu'en parlant de liberté le président de la République a eu une parole malheureuse car, si tout le monde ne peut choisir de partir à la retraite quand il le souhaite, nous ne considérons pas qu'il s'agisse d'une réelle liberté.

Nous sommes également très dubitatifs sur l'idée d'un effort partagé, contredite par nos calculs. Le Gouvernement s'est engagé à compenser l'effort patronal par des diminutions des cotisations d'assurance contre le risque d'accident du travail ou de maladie professionnelle (AT-MP), comme il s'était engagé à compenser la double augmentation de 0,15 point des cotisations salariale et patronale prévue par la loi du 20 janvier 2014 portant réforme des retraites. Mais si le surplus de cotisations patronales abondera bien la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) verra ses ressources diminuer d'autant. C'est donc finalement le salarié qui paie, dans un jeu de vases communicants auquel a contribué la réforme de 2010 puisque, en faisant passer l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, elle a augmenté le nombre d'invalides faisant valoir leurs droits, si bien que ce ne sont plus les caisses de retraite qui financent mais la caisse d'assurance maladie et les complémentaires, ce qui ne garantit pas l'équilibre global de la protection sociale.

J'espère enfin que la signature de cet accord n'augmentera pas chez les salariés, qui sont aussi des citoyens, l'audience des partis qui rejettent l'Autre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion