Intervention de Françoise Bouygard

Réunion du 3 décembre 2015 à 9h30
Mission d'information relative au paritarisme

Françoise Bouygard, directrice de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, DARES :

L'enquête REPONSE est micro-économique, c'est-à-dire qu'elle est faite au niveau des établissements : nous interrogeons un représentant de la direction de l'entreprise, un représentant du personnel – s'il y en a un – et un échantillon de salariés. L'enquête apporte donc des enseignements sur le paritarisme, mais elle est loin de faire le tour du sujet.

L'enquête REPONSE, vous l'avez rappelé, existe depuis 1992 : sa longévité permet d'examiner des évolutions. Nous sommes d'ailleurs en train de construire la prochaine enquête – aujourd'hui même se tient la quatrième réunion du conseil scientifique, qui a pour mission d'élaborer le questionnaire de l'enquête qui sera menée à partir de 2017.

Il ressort de cette enquête que, parmi les établissements de onze salariés et plus, six sur dix comptent au moins une forme de représentation du personnel – en creux, cela signifie que quatre sur dix en sont dépourvus. La présence d'institutions représentatives du personnel augmente très significativement avec la taille des établissements : si 63 % des établissements de onze à dix-neuf salariés n'en ont pas, ce n'est le cas que de 6 % de ceux employant cinquante salariés ou plus.

L'examen des enquêtes successives montre que l'implantation de ces instances se stabilise aujourd'hui dans les établissements de vingt salariés ou plus, après avoir fortement progressé entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2000, dans un contexte de négociation sur la réduction du temps de travail.

Aujourd'hui, 6 % des salariés interrogés disent détenir au moins un mandat de représentation, ce qui permet d'estimer qu'environ 600 000 salariés du champ considéré, c'est-à-dire du secteur marchand non agricole, sont des représentants du personnel, élus titulaires ou suppléants, ou délégués syndicaux et représentants de la section syndicale. Le nombre de mandats est quant à lui estimé à 767 000 en 2011, un salarié pouvant disposer de plusieurs mandats.

Ces salariés qui représentent leurs collègues de travail sont en moyenne un peu plus âgés qu'eux, ont une plus forte ancienneté, et sont un peu plus souvent ouvriers qualifiés, techniciens ou agents de maîtrise. Ils sont aussi nettement plus souvent syndiqués – à 56 %, contre 8 % pour les salariés ne disposant d'aucun mandat. Parmi les salariés syndiqués, un tiers détient d'ailleurs un mandat représentatif.

Les femmes ne sont en apparence pas sous-représentées au sein des instances représentatives du personnel : elles sont 37 % parmi les représentants des salariés, alors qu'elles représentent 41 % de l'ensemble des salariés du champ considéré. Mais, toutes choses égales par ailleurs, une femme a 20 % de chances de moins d'être représentante du personnel qu'un homme.

S'agissant des moyens d'action des salariés détenteurs d'un mandat de représentation, on peut dire que, à caractéristiques données des établissements et des entreprises, les pratiques des représentants des salariés et les ressources dont ils disposent varient selon qu'ils sont syndiqués ou non : les représentants syndiqués bénéficient plus souvent de formations à leurs fonctions représentatives ; ils recourent davantage aux experts et à diverses ressources d'action ; ils sont aussi davantage en contact avec les salariés. Au total, ils disposent d'un répertoire d'actions plus large.

J'appelle votre attention sur le fait que ces salariés sont plutôt plus âgés que la moyenne de ceux qu'ils représentent : la question du renouvellement des représentants des salariés va se poser – question qui touche d'ailleurs également le monde associatif, par exemple.

J'en arrive à la représentation patronale. En 2011, 44 % des établissements de onze salariés ou plus du secteur marchand non agricole, employant 56 % des salariés, signalent l'affiliation de leur entreprise à une organisation d'employeurs. Pour éviter toute ambiguïté, je souligne ici que, l'enquête REPONSE portant sur les établissements de plus de onze salariés, les organisations patronales qui s'adressent plutôt aux petites entreprises ne se retrouvent pas dans ces chiffres, mais que c'est inhérent au champ de l'enquête.

Nous avons publié au mois de septembre dernier une étude sur les affiliations patronales. Elle a pu dégager certaines spécificités, à commencer par l'adhésion indirecte : 34 % des établissements adhèrent de manière indirecte, c'est-à-dire par le biais d'autres organisations ou regroupements, à l'une des quatre principales confédérations patronales nationales interprofessionnelles que sont le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), l'Union professionnelle artisanale (UPA) et l'Union nationale des professions libérales (UNAPL). La multiadhésion est une autre spécificité : si 30 % des établissements adhèrent à une seule organisation d'employeurs, 14 % adhèrent à au moins deux organisations différentes.

Le taux d'affiliation varie fortement selon le secteur d'activité : de 50 % pour les établissements de l'industrie, de la construction et des transports, il passe à 43 % pour ceux des services et à 36 % pour les établissements du commerce hors transports.

Dans 36 % des établissements affiliés, un membre de la direction au moins exerce une ou plusieurs responsabilités dans une structure extérieure à l'entreprise – organisation patronale, chambre de commerce et d'industrie, chambre des métiers et de l'artisanat, conseil d'administration d'une autre entreprise, institution paritaire ou tripartite. L'adhésion à une organisation d'employeurs va donc souvent de pair avec l'exercice d'un mandat patronal à l'extérieur de l'entreprise.

Aux yeux de près de trois quarts des dirigeants d'entreprise interrogés, qu'ils soient ou non affiliés à des organisations d'employeurs, qu'ils exercent ou pas des responsabilités au sein de ces mêmes organisations, la représentativité des organisations patronales est « faible ou très faible ». Cette opinion est certes moins défavorable lorsque l'entreprise adhère directement à une organisation d'employeurs. Des travaux sociologiques permettent d'avancer, pour expliquer cette défiance, l'hypothèse d'une distance sociale importante entre les « élites » des grandes fédérations et les chefs d'entreprises représentés.

L'enquête REPONSE nous apporte également des renseignements sur l'état de la négociation collective. Je souligne que d'autres sources administratives permettent d'étudier la négociation, notamment le bilan annuel de la négociation collective auquel contribue la DARES et qui vous a déjà été présenté par M. Jean-Henri Pyronnet. Ce bilan traite uniquement des accords conclus ; l'enquête REPONSE permet également d'approcher les discussions qui ont lieu de façon informelle. Elle présente donc une vision plus large.

Entre 2008 et 2010, 90 % des établissements de onze salariés et plus ont « négocié ou discuté » au moins une fois avec des représentants ou d'autres salariés sur au moins un des thèmes étudiés – salaires, temps de travail, conditions de travail… Dans un tiers des cas, ces négociations ou discussions ont impliqué la participation de délégués syndicaux. Le degré de formalisme croît bien sûr avec la taille des établissements et le cadre légal qui lui est associé : si, dans les établissements de moins de cinquante salariés, les discussions informelles sont très majoritaires, la négociation formalisée est surtout le fait des établissements plus grands, notamment ceux où la négociation est obligatoire chaque année du fait de la présence de délégués syndicaux.

Les négociations ou discussions aboutissent bien plus fréquemment à un accord collectif lorsque les directions ont pour interlocuteurs des délégués syndicaux. Je pourrai compléter ces informations si vous le souhaitez.

Il faut souligner le rôle structurant des conventions collectives de branche dans les négociations. Elles sont particulièrement utilisées dans le cadre des discussions ou négociations sur le temps de travail : 79 % des établissements de onze salariés et plus déclarent « utiliser » la convention collective de branche sur le temps de travail, qu'ils négocient sur ce thème ou pas. C'est un point à garder à l'esprit lorsque l'on s'interroge sur les différents niveaux de négociation, et sur leur utilité.

L'enquête REPONSE aborde également la perception qu'ont les salariés de leurs représentants, ainsi que la perception qu'ont ces représentants de leur place dans l'entreprise. Ces derniers se montrent plutôt pessimistes quant à leur carrière professionnelle : ils éprouvent davantage le sentiment qu'ils risquent de perdre leur emploi ; ils estiment que leurs perspectives de promotion ou d'augmentation de salaire sont réduites. Ce constat renvoie au thème de la discrimination syndicale, sur laquelle nous ne disposons que de peu d'éléments. Il est possible que le Conseil national de l'information statistique lance une réflexion afin de mieux documenter cet aspect.

Le fait que les représentants soient des salariés à la fois un peu plus âgés et un peu mieux insérés sur le marché de l'emploi pose, j'y reviens quelques instants, la question de leur relève. Dans 38 % des établissements dotés d'un représentant, il nous est répondu qu'il n'y a pas assez de candidats pour occuper les fonctions de représentant du personnel. Un quart des représentants du personnel interrogés disent ne pas vouloir poursuivre leur engagement ; certains envisagent tout de même de continuer, faute de successeur.

En 2011, l'enquête REPONSE, qui portait initialement sur les établissements employant au moins vingt salariés, a été étendue aux établissements employant au moins onze salariés. Cette extension a confirmé des tendances déjà observées : la fréquente absence de toute représentation du personnel dans les petites entreprises – 63 % des établissements de onze à dix-neuf salariés sont dépourvus d'instances, et 27 % d'entre eux sont uniquement pourvus de représentants élus – et la relative modestie de leur activité de négociation.

Par ailleurs, nous avions profité d'une enquête sur les TPE employant d'un à neuf salariés pour les interroger sur les relations sociales. Il en ressortait que les règles qui s'appliquent aux salariés relèvent le plus souvent, dans ces entreprises, de décisions unilatérales de l'employeur ou prises dans le cadre d'échanges individuels. Il n'y a que très peu de représentation organisée des salariés.

S'agissant enfin des nouvelles formes de travail, en particulier le travail indépendant, elles n'apparaissent pas, par construction, dans l'enquête REPONSE, qui interroge des dirigeants d'entreprise et des salariés. La plupart de nos enquêtes sont d'ailleurs tournées vers l'emploi salarié.

D'un point de vue statistique, les données de l'INSEE notamment permettent de constater un léger effritement de la part de l'emploi salarié et une augmentation de la part de l'emploi non salarié. Au sein de l'emploi salarié, la part des contrats à durée indéterminée est stable – elle était en 2012 de 87 % –, mais les embauches en contrat temporaire sont en très forte hausse et leur durée moyenne a nettement baissé. La durée médiane des contrats temporaires s'établissait, en 2012, à deux semaines. Il y a donc une précarisation des salariés qui ne sont pas en CDI.

Cela traduit nombre de phénomènes auxquels nous assistons : développement du statut d'autoentrepreneur, du portage salarial, des plateformes collaboratives, de ce que les juristes qualifieraient de « faux indépendants », de la multiactivité et de la pluriactivité. Aujourd'hui, l'appareil statistique peine à repérer ces dernières situations ; or c'est peut-être là que se situe l'emploi le moins bien protégé.

C'est pourquoi nous avons souhaité, avec d'autres, que le Conseil national de l'information statistique crée un groupe de travail chargé d'examiner les sources statistiques que nous pourrions mobiliser pour étudier ces franges aux marges de l'emploi. Nous espérons recevoir ses conclusions au premier semestre 2016.

La DARES entend travailler sur ces questions, sans espérer produire d'importants résultats dès 2016 – nous avons du mal à dégager des moyens humains… C'est un sujet qui n'est pas traditionnellement au coeur de nos préoccupations : le ministère du travail est surtout le ministère du code du travail, donc des relations entre employeurs et salariés. Mais ces questions nous sont de plus en plus souvent posées, et il est donc nécessaire de les examiner de plus près.

Enfin, nous essaierons également d'avancer sur la question du travail détaché, qui ne me semble pas sans lien avec les évolutions du marché du travail et les questions que vous abordez.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion