La négociation sociale est plutôt dynamique et, chaque année, de nombreux accords sont conclus. Il est cependant malaisé de raisonner sur l'évolution du nombre d'accords sans prendre les cycles en considération. Si une loi impose une négociation sur un sujet, nombreux seront les accords conclus l'année suivante, après quoi il faudra attendre qu'ils arrivent à leur terme pour que de nouveaux accords viennent alimenter les statistiques. Il nous faut donc rester attentifs à ces phénomènes cycliques.
Si la négociation est vivante, elle n'est pas très perceptible par nos concitoyens. Il faut en effet compter avec cette particularité française qui consiste à reprendre dans la loi les accords nationaux interprofessionnels (ANI), si bien que, dans l'esprit de nos concitoyens, l'ANI s'efface souvent derrière la loi. Ainsi, on parle de la loi de 1971 sur la formation professionnelle, en oubliant l'ANI de 1970.
Enfin, on parle de paritarisme, mais qu'en est-il de la répartition des compétences entre les organisations syndicales et professionnelles qui gèrent des fonds paritaires, les collectivités territoriales et l'État ? Ce quadripartisme rend particulièrement difficile la mise en oeuvre des politiques publiques. Plusieurs échelons de négociation sont nécessaires pour élaborer un consensus. Cela prend du temps, alors qu'il faut traiter sans tarder des thèmes tels que la formation des demandeurs d'emploi.
Nous n'avons pas d'informations sur le volume d'activité que représentent les nouvelles formes d'emploi, question que nous souhaitons étudier au sein du Conseil national de l'information statistique. L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) devrait bientôt publier un rapport sur l'économie collaborative : comme vous, elle nous a interrogés à ce sujet, et j'ai également eu le regret de répondre que nous ne disposions pas de données statistiques. Ce rapport se fondera donc plutôt sur des données qualitatives, ce qui est une bonne chose, car il permettra de délimiter le champ d'étude. Est-il question de pluriactifs, de multiactifs ou de personnes situées hors du champ salarial ? Nombreux, sans doute, sont ceux qui ont deux statuts : ils sont salariés et ont une activité de complément, le revenu qu'ils tirent de leur activité salariée étant insuffisant. Certains n'ont aucune activité et deviennent autoentrepreneurs ou travaillent avec une plateforme collaborative.
Nous pouvons tirer d'ores et déjà tirer quelques enseignements de l'observation du marché du travail : ainsi, la précarisation croissante de ceux qui ne sont pas en CDI se confirme. Faut-il voir là la préfiguration d'une nouvelle forme d'organisation de l'économie ? À l'évidence, quelque chose s'est profondément transformé dans la relation entre le consommateur et le producteur. Nous achetons désormais par des canaux totalement différents. Cela va-t-il changer durablement la nature de l'emploi et des droits qui y sont attachés ? Je n'en suis pas sûre. Peut-être sommes-nous dans une période de construction de nouveaux producteurs, dans un champ non balisé où le droit peine à s'appliquer, mais peut-être aussi allons-nous entrer petit à petit dans un cadre plus formaté et plus protégé, comme ce fut le cas en d'autres occasions. Cette hypothèse n'est pas moins envisageable que celle dans laquelle le modèle dominant du salariat s'effondre, d'autant que ce n'est pas ce que nous avons constaté aux États-Unis.