Merci, monsieur Vivier, pour cet exposé brillant et éclairant. Je crois, comme vous, que ce système s'est construit par la base, au niveau des branches, et sur le terrain. De fait, nombre de dispositifs, notamment dans le domaine du logement, ont été inventés dans le Nord – où j'ai longtemps travaillé –, avant d'être étendus au plan interprofessionnel. On pourrait dire, pour simplifier, que cette construction s'est effectuée jusqu'en 1971 – date du dernier grand accord national interprofessionnel structurant, qui portait sur la formation professionnelle –, c'est-à-dire dans un monde de plein-emploi, dominé par les grandes entreprises et où l'économie était structurée par un petit nombre de branches professionnelles, même si celles-ci étaient déjà nombreuses. Depuis, une forme de conservatisme – ou de conservation, pour ne pas employer de terme péjoratif – prévaut. Le système continue en effet à fonctionner de la même manière : l'assurance chômage est gérée sous la même forme, les retraites complémentaires continuent de relever du paritarisme… Certes, un changement important est intervenu en 1995, lorsque la réforme Juppé de la sécurité sociale a permis à l'État de reprendre la main dans ce domaine. Mais, pour le reste, le mode de gestion est identique à celui de l'après-guerre, alors que le modèle économique s'est transformé.
Tout le monde s'accorde sur l'idée selon laquelle, à l'instar des copropriétaires qui s'efforcent de régler leurs problèmes entre eux en sollicitant, le cas échéant, l'intervention de la mairie ou de l'État, le patronat et les syndicats, ou la branche professionnelle, doivent s'occuper des questions qui ne concernent que l'entreprise. Le problème tient au fait que, dans ce domaine, aucun sujet ou presque ne peut plus être traité isolément. Prenons le cas de l'assurance chômage. Le chômage a augmenté dans de telles proportions qu'il a bien fallu créer un système d'indemnisation des chômeurs en fin de droits : l'allocation spécifique de solidarité (ASS), le revenu minimum d'insertion (RMI) puis le revenu de solidarité active (RSA). Dès lors, toucher à l'un de ces dispositifs a des conséquences sur les autres : si l'on réduit la couverture chômage, le nombre des bénéficiaires du RSA ou de l'ASS augmentera. Il en va de même pour les retraites complémentaires, dont l'importance a crû au fil des réformes successives des retraites, qui ont réduit la proportion du revenu de remplacement correspondant aux pensions. De surcroît, les lois de décentralisation ont confié des compétences importantes aux collectivités territoriales, notamment dans le domaine de l'emploi.
J'en viens à mes questions. Estimez-vous, à partir de ce constat qui, je crois, peut être partagé, que des domaines relevant aujourd'hui du paritarisme doivent faire désormais l'objet d'une gestion tripartite ou quadripartite ? Et, inversement, des domaines actuellement gérés par l'État doivent-ils être confiés aux partenaires sociaux ? Bref, quelle devrait être l'évolution du paysage, sachant que la proximité doit être privilégiée et les acteurs se voir confier la gestion de leurs intérêts, l'État et le législateur intervenant chaque fois que l'intérêt général est en jeu ?
Par ailleurs, quelle réflexion vous inspirent les nouvelles formes d'activité et quelle devrait être, selon vous, leur contribution à notre système de protection ? Faut-il maintenir le système actuel, dans lequel on est soit indépendant, soit salarié ? Il va bien falloir, en effet, qu'Uber, Airbnb et d'autres choisissent leur camp. Enfin, quelle forme doit revêtir la protection correspondant à cette contribution ?