Dans un passé relativement récent, on a distingué, de façon un peu aléatoire, le paritarisme de gestion du paritarisme de négociation. On a ainsi discuté des moyens, des attributions, des « bons d'essence », mais on n'a pas répondu à la question de fond, celle de la clarification des champs de compétence respectifs du législateur et des partenaires sociaux. Il est vrai que, lorsqu'a été créée l'assurance chômage, les choses étaient assez simples : on ne dénombrait que quelques dizaines de milliers de chômeurs, et il a suffi aux employeurs de mutualiser leurs moyens pour créer ce dispositif. Aujourd'hui, on doit se demander ce qui relève, d'un côté, de la solidarité et, de l'autre, de l'assurance. Qu'il s'agisse de la formation professionnelle, de la protection sociale ou des allocations familiales – on est loin, dans ce domaine, des caisses de compensation créées par le patronat chrétien de Grenoble lors de la Première Guerre mondiale –, les frontières sont plus incertaines.
Actuellement, trois blocs importants constituent le coeur du paritarisme en action : la protection sociale, les retraites complémentaires et la formation professionnelle. Tout ce qui relève de l'assurance maladie, de l'assurance vieillesse et des allocations familiales a fait l'objet d'un « rapt » de l'État, selon la violente expression utilisée par Marc Blondel en 1995. Sur le fond, il n'avait pas tort, mais je ne vois pas très bien comment un budget aussi considérable pouvait échapper à la surveillance de la représentation nationale.
Ni les conférences sociales, d'un côté, ni le Parlement, de l'autre, ne peuvent résoudre le problème que vous soulevez, Monsieur le rapporteur : il doit être traité en commun par la représentation politique et la société civile. À cet égard, même si c'est une institution très décriée – on lui reproche de ne servir à rien et de coûter cher –, le CESE, où je siège par ailleurs, est un lieu extraordinaire de rencontre et de fabrication du consensus. On peut, certes, comme à l'Assemblée nationale, y somnoler – les fauteuils y sont confortables –, mais on peut aussi y accomplir un travail aussi modeste que formidable. Il faut favoriser les rencontres et, à l'issue de celles-ci, probablement opérer un travail de clarification. Attention, en effet, au sens des mots : la démocratie politique et la démocratie sociale sont d'une nature différente. On ne peut pas faire fonctionner une entreprise comme une collectivité territoriale. Jean-Denis Combrexelle, dans son rapport de grande qualité sur la réforme de la représentativité patronale, a buté sur ce problème. On voit bien que la notion d'élection ne peut pas s'appliquer partout : pour qu'une société soit éminemment démocratique et libre, toutes ses composantes ne peuvent pas fonctionner sur le modèle de l'élection – pensons à l'école ou à la famille. Ainsi, la vie économique a ses propres règles. Il est important de bien opérer ce travail de clarification.
Quant aux nouvelles formes d'activité, elles représentent un enjeu crucial. Un certain nombre d'organisations syndicales en ont d'ailleurs pris acte. Lors des derniers congrès de la CFDT, en juin 2014, et de la CFTC, en novembre 2015, des discussions ont eu lieu sur ce point. Ces nouvelles formes de production économique, qui ne peuvent que se développer, doivent contribuer à l'impôt et à la protection sociale. Nous en revenons, là encore, à la régulation internationale. Les États sont, en effet, de moins en moins protecteurs et régulateurs. Le défi doit donc être relevé, non pas à l'échelle étatique, mais à l'échelle mondiale. S'agit-il d'une utopie ? Non, c'est une nécessité. C'est pourquoi il faut commencer par construire une Europe sociale beaucoup plus forte. La régulation de branche présente un intérêt à cet égard, car si l'on incite les secteurs professionnels à s'organiser au niveau européen, la régulation se fera de manière beaucoup plus rapide que si l'on attend l'adoption de directives.
Enfin, Monsieur le président, j'ai eu le grand plaisir de participer, en 1989-1990, à la 42e session de l'IHEDN. C'est vrai, nous avons besoin de favoriser les rencontres des acteurs. L'Institut national du travail et de la formation professionnelle a organisé un dispositif comparable à celui de l'IHEDN, où inspecteurs du travail, syndicalistes, dirigeants d'entreprise, mais aussi avocats et journalistes se rencontrent – j'ai participé à leurs réunions –, mais il est moins performant. Cette proposition de Jean-Denis Combrexelle est donc intéressante. Un tel organisme, placé dans le giron du ministère du travail, pourrait être valorisé, ouvert. Je précise que des instituts privés existent ; l'IST en est un. Ainsi, la semaine prochaine, l'un des adjoints de Philippe Martinez viendra discuter, avec des directeurs des ressources humaines, de l'importance de la négociation. Pourquoi la CGT signe-t-elle peu d'accords au niveau national et beaucoup dans les entreprises ? Nous lui poserons la question, dans ce cadre privé. Il a sa réponse, il suit une logique ; il faut l'entendre. Le CESE est un autre lieu de discussion institutionnel – on pourrait citer également Réalités du dialogue social (RDS), organisme que vous avez auditionné, ou Entreprise & personnel –, mais ils sont très peu nombreux, une dizaine tout au plus.
De manière générale, nous devons développer l'information et la formation économiques des acteurs sociaux. En 1863, Pierre-Joseph Proudhon – je suis très proudhonien, et pas du tout marxiste, vous l'avez compris, car je crois à la construction de la société sur la base du fédéralisme - avait rédigé un petit ouvrage intitulé De la capacité politique des classes ouvrières. Aujourd'hui, c'est l'incapacité gestionnaire des classes patronale et ouvrière que nous devons déplorer, car, cultivant l'une et l'autre la lutte des classes, elles ont beaucoup de difficultés à se faire confiance. Mais nous sommes en 2015 ! Comment vaincre cette défiance ? Par la formation et l'information – merci, Danton ! À cet égard, la base de données économiques et sociales marque une avancée puissante, car elle permet aux chefs d'entreprise et aux syndicalistes de se doter d'outils de connaissance de l'entreprise. Une fois cette connaissance acquise, la relation de confiance peut s'établir, et on peut ouvrir des négociations et contracter. Qu'est-ce que le contrat, en effet, sinon un acte de confiance en l'autre ?