L'opération intérieure (OPINT) Sentinelle mobilise aujourd'hui 10 000 hommes, dont 6 500 en Île-de-France ; nous disposons également, au sein de cet ensemble, d'une réserve de 500 hommes que l'on pourrait déployer en cas d'urgence, notre pays restant exposé à la survenue d'autres attentats. L'armée agit conjointement avec les forces de sécurité intérieures, le tout est placé sous l'autorité des préfets de zone et du préfet de police à Paris. On rénove en urgence des bâtiments et on dégage des financements supplémentaires pour l'hébergement et les installations sanitaires destinés à accueillir les 3 000 nouveaux militaires qui sont venus renforcer le contingent de 7 000 personnes déployées avant les attentats du 13 novembre dernier. Deux visites de terrain m'ont montré que le dispositif fonctionnait bien et qu'il comprenait désormais des patrouilles et non plus seulement des positionnements statiques, celles-là ne protégeant pas moins bien que ceux-ci. Les soldats garantissent également la sécurité de la 21e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP-21) sur terre et dans les airs – 500 aviateurs assurent ainsi la sécurisation du ciel parisien pendant la conférence, et notamment lors de la présence de chefs d'État et de gouvernement en Île-de-France.
Au Levant, nous frappons Daech depuis septembre 2014 et nous avons obtenu des résultats significatifs en Irak, notamment à Sinjar et à Baïji. Des massacres d'habitants yézidis ont été perpétrés par Daech au mont Sinjar il y a un an et demi, mais cette ville vient d'être reprise. La reconquête de Baïji s'est opérée alors qu'elle paraissait incertaine, et des combats se déroulent actuellement à Ramadi. Après avoir été bloqué, Daech recule maintenant en Irak, même si la coalition n'est pas encore en mesure de reprendre Mossoul. La France effectue des frappes en Irak et forme des peshmergas à Erbil et les forces d'élite de l'ICTS à Bagdad.
Nous avons intensifié nos frappes en Syrie, à la mesure de l'agression subie le 13 novembre dernier. Plus puissantes et plus fréquentes, nos frappes ont détruit un centre de fabrication d'engins explosifs improvisé à al-Qa'im, ville située à la frontière irako-syrienne. Depuis les attentats, nous avons mené treize raids, dont huit à Raqqa, et avons anéanti des centres de commandement, des camps d'entraînement et des centres logistiques.
Le porte-avions, actuellement en mer Méditerranée orientale, permet de tripler la capacité d'action. Seul porte-avions présent dans cette zone, il rejoindra dans quelques jours le golfe arabo-persique où il restera en mission jusqu'au mois de mars 2016. Nos avions au sol se trouvent actuellement positionnés en Jordanie et à al-Dhafra aux Émirats arabes unis.
Les États-Unis intervenaient jusqu'à présent beaucoup moins en Syrie qu'en Irak, mais ils ont assoupli les règles d'engagement et frappent de plus en plus en Syrie. Nos contacts se sont intensifiés et des instructions spéciales ont été signées pour que nous bénéficiions aujourd'hui d'une forme de « Five eyes » plus, c'est-à-dire de modalités d'échange de renseignements opérationnels plus fluides. J'ai des entretiens très fréquents avec mon homologue américain, M. Ashton Carter, le dernier ayant eu lieu hier soir.
Demain, la chambre des Communes britannique se prononcera sur la participation militaire du Royaume-Uni à la coalition contre Daech en Syrie. Il semble qu'un vote positif se dessine, ce qui constituerait une bonne nouvelle. J'ai publié une tribune dans le journal The Guardian dans laquelle je faisais part du désir de la France de voir le Royaume-Uni nous rejoindre. Par ailleurs, j'entretiens une relation très confiante avec le ministre de la Défense britannique, M. Michael Fallon.
La Russie et l'Iran ont participé à la dernière réunion du processus de Vienne, qui a eu lieu le 14 novembre dernier. Le communiqué publié à l'issue de la rencontre préconisait la tenue de négociations inter-syriennes, un cessez-le-feu généralisé, un calendrier de transition, et ne mentionnait pas le sort de Bachar el-Assad. Nous espérons que cette démarche aboutira à un cessez-le-feu et à un véritable dialogue, à l'issue de la phase de transition de six mois qui s'ouvre à partir du 1er janvier prochain. Dans le cadre du processus de Vienne, les groupes armés syriens non-terroristes et des opposants politiques au régime de Damas se réuniront dans quelques jours à Riyad, afin de préparer une rencontre avec des représentants du gouvernement de Bachar el-Assad. Nous nous trouvons donc peut-être au début d'un processus politique porteur. Il reviendra aux diplomates de définir ensuite les contours de la transition.
Avec le président de la République et le ministre des Affaires étrangères et du développement international, nous avons rencontré nos homologues russes à Moscou le 26 novembre dernier. Les commandants du groupe aéronaval français, positionnés en mer Méditerranée orientale, et du groupe naval russe, organisé autour du croiseur Moskva, se sont rencontrés pour harmoniser leur action et éviter les incidents en mer. Cela n'est pas négligeable, car cela faisait longtemps qu'une telle coordination n'avait pas été mise en oeuvre. Par ailleurs, nous avons décidé de renforcer les échanges entre nos services de renseignement, afin notamment d'identifier des russophones interceptés par les Français et des francophones par les Russes. Comme vous le savez, toute coopération en matière de renseignement repose sur l'échange et ne peut être enclenchée que par une décision politique. C'est celle, logique, que nous amorçons aujourd'hui avec les Russes.
Nous avons demandé à la Russie d'intensifier ses frappes sur Daech, car nos services ont relevé que celles-ci se concentraient au nord-ouest et autour d'Alep, là où les forces de Bachar el-Assad affrontent l'insurrection, et visaient jusque-là très peu Daech. Il y a deux semaines, la Russie a augmenté un temps ses frappes contre Daech, mais ce rythme s'est ralenti depuis qu'un de ses appareils a été abattu par la Turquie ; en tout état de cause, l'inflexion constatée n'a pas entraîné la fin des frappes contre l'insurrection. Le président de la République et le président Vladimir Poutine ont demandé qu'on se mette d'accord sur l'identité de ceux sur lesquels il conviendrait de ne pas frapper. De notre côté, la situation est simple, puisque nous ne visons que Daech. Mon homologue russe et moi-même dresserons un bilan de ces engagements.
Malgré la pesanteur du dispositif et la nécessité d'aller plus vite, l'action en Irak commence à porter ses fruits et les forces kurdes et irakiennes tiennent le terrain reconquis. En Syrie, au-delà des frappes il conviendra de s'appuyer sur les forces locales, dont les unités de protection du peuple (YPG) kurdes et des groupes arabes sunnites armés par la coalition, pour reprendre et occuper les zones du territoire syrien contrôlées aujourd'hui par Daech. Cette entreprise demandera du temps.
La Jordanie et le Liban sont aujourd'hui fragiles ; la France utilise une base aérienne jordanienne, ce qui contribue à sanctuariser le territoire de ce pays. Au Liban, l'absence de gouvernement, la faiblesse de l'armée et l'afflux de réfugiés placent le pays dans une situation difficile. Nous comptons 900 hommes au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) et cette présence, appelée à durer, contribue, là aussi, à assurer l'intégrité de ce pays. Nous devons renforcer notre soutien à l'armée libanaise et tenter de poursuivre le partenariat avec l'Arabie saoudite visant à équiper les forces libanaises. Tous les objectifs du programme auront été atteints en 2015, et il faut s'atteler à le remettre en oeuvre l'année prochaine.
J'ai déjà fait part à plusieurs reprises à la commission de ma préoccupation sur la situation libyenne, et mes inquiétudes ne font que croître. Je vous avais avertis que Daech allait s'implanter en Libye, et nous ne pouvons que constater son expansion dans ce pays. Les quelque 3 000 combattants de Daech progressent vers le sud à partir de Syrte en achetant des tribus et en obtenant l'allégeance de groupes qui trouvent là un projet et une organisation, dans le contexte de la division du pays entre les deux pouvoirs de Tobrouk et de Tripoli. Daech cherche à accaparer le pétrole du Sud de la Libye ; en outre, il pourrait opérer une jonction avec Boko Haram s'il pénétrait loin au Niger et au Nord du Tchad. Le président tchadien, M. Idriss Déby, partage mon inquiétude à ce sujet. La seule solution est de nature politique : les Égyptiens et les Algériens doivent trouver une solution de sortie de crise ; ces pays ne sont pas ennemis, mais les premiers privilégient excessivement l'option militaire quand les seconds se reposent trop sur la diplomatie. Le nouveau représentant du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, M. Martin Kobler devrait proposer un scénario permettant la mise en place d'un gouvernement d'union nationale de transition, dont il faudra assurer la sécurité, notamment via la formation d'une armée efficace. Les forces de l'opération de l'Union européenne (UE) Sophia, qui vise à contrôler les flux de migrants provenant de Libye et qui dispose de moyens importants, ont besoin de l'autorisation d'un gouvernement libyen reconnu pour pénétrer dans les eaux territoriales de la Libye et agir efficacement. La situation en Libye s'avère redoutablement complexe et risque de le devenir de plus en plus. M. León était presque parvenu à un règlement, mais son entreprise a échoué. Si l'on réunit les forces militaires de Tripoli et de Tobrouk, Daech ne pourra pas faire face.
Notre présence au Mali et au Niger s'inscrit dans la durée ; implantés dans des sites avancés comme Faya Largeau, Abéché, Tessalit et Madama, nous venons de renforcer notre positionnement dans cette dernière ville. Nous conduisons très régulièrement des opérations avec les forces nigériennes, maliennes voire tchadiennes. La dernière mission, Vignemale, a permis de découvrir des caches d'armes et de procéder à des neutralisations. Si l'on cessait ces actions régulières dans le cadre de l'opération Barkhane, les groupes djihadistes se reconstitueraient.
Au Mali, le processus vertueux se poursuit malgré l'attentat de Bamako le 20 novembre dernier. L'accord d'Alger entre la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA) et la plateforme pro-gouvernementale se met en oeuvre et des patrouilles communes sont même déployées. Il conviendra d'intégrer ce processus dans la mission d'entraînement de l'Union européenne, EUTM-Mali, afin que cette dernière gère le mouvement de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). J'ai fait part de ce projet de changement d'orientation de la mission EUTM-Mali à mes collègues européens, qui devraient l'accepter. Cela permettra de favoriser la formation de ceux qui veulent participer à la reconstitution de l'armée malienne.
Certains groupes armés terroristes – al-Mourabitoune, né de la fusion du MUJAO et des Signataires par le sang, et dirigé par Mokhtar Belmokhtar, l'auteur de la prise d'otages meurtrière d'In Amenas en Algérie, et Ansar Eddine de Iyad Ag Ghali – refusent cette logique d'apaisement et sont alliés à al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Daech étant absente de cette région. La formation Ansar Eddine a permis la résurgence du Front de libération du Macina, groupe peul vivant de commerce et de brigandage et qui mène quelques actions terroristes. Les chefs de ces organisations souhaitent saboter le processus de paix. Al-Mourabitoune et Ansar Eddine ont tous deux revendiqué l'attentat de Bamako, mais il apparaît de plus en plus que c'est al-Mourabitoune qui l'a commis. Cet attentat fait suite à celui du 7 mars 2015, perpétré par le même groupe à Bamako ; nous devons donc continuer à nous battre pour éliminer ces groupes – peu nombreux mais difficiles à arrêter puisqu'ils utilisent des kamikazes –, mais la situation globale s'améliore tout de même.
La force multinationale mixte, animée par le Nigeria, le Tchad, le Niger et le Cameroun, a repris l'initiative face à Boko Haram et on peut faire preuve d'optimisme sur ce théâtre d'opérations. M. Déby m'a confirmé ce matin que cette force s'organisait sérieusement et allait bénéficier d'un véritable état-major associant les quatre pays. Il s'agit d'un progrès considérable, car seuls le Niger et le Tchad se parlaient il n'y a pas si longtemps ; le remplacement de M. Goodluck Jonathan par M. Muhammadu Buhari à la tête du Nigeria et la prise de conscience du président camerounais, M. Paul Biya, qui a compris qu'il ne pouvait pas se désintéresser de ce sujet favorisent cette évolution. Nous apportons à cette coalition un soutien logistique et technique, facilité par la localisation à N'Djamena des états-majors de cette force et de Barkhane. Boko Haram se trouve réduit à conduire des opérations terroristes contre lesquelles il faudra encore lutter. M. Déby évalue cette période à deux à trois ans, mais malgré la longueur nécessaire de l'effort, je suis assez optimiste sur la situation de ce front. Il n'existe pas encore de signes montrant un lien vraiment concret entre Boko Haram et Daech, même si le premier s'est officiellement rallié au second.
Nous nourrissions beaucoup d'inquiétudes pour la visite du pape en République centrafricaine (RCA), qui aurait pu être l'occasion de manifestations et d'échauffourées. Tout s'est finalement bien déroulé et cette journée marquera peut-être une étape dans la pacification du pays. Le référendum constitutionnel aura lieu le 13 décembre prochain et les premiers et seconds tours des élections présidentielle et législative se tiendront les 27 décembre et 31 janvier prochains. Les candidats se préparent et 90 % de la population sont inscrits sur les listes électorales. Je plaiderai auprès de nos partenaires européens pour transformer la mission d'assistance européenne EUMAM à l'état-major des forces armées centrafricaines (FACA) en mission de type EUTM-Mali – avec un périmètre plus modeste, le pays étant moins peuplé ; il me semble que je pourrai là aussi obtenir satisfaction. Certains pays se sont ainsi déjà manifestés pour entrer dans le dispositif et permettre au nouveau président ou à la nouvelle présidente de bénéficier d'un nouvel outil armé crédible. Les 900 hommes de la force Sangaris resteront en RCA jusqu'à la fin du processus électoral, puis nous engagerons le processus de réduction de nos effectifs, comme je l'ai déjà dit à la chef de l'État de transition, Mme Catherine Samba-Panza.