Intervention de Général Philippe Boutinaud

Réunion du 16 décembre 2015 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Philippe Boutinaud, commandant la brigade des sapeurs-pompiers de Paris :

Madame la présidente, je vous remercie de votre invitation et suis d'autant plus honoré de m'exprimer devant votre commission que je suis le premier général des pompiers de Paris à avoir ce privilège.

Permettez-moi de vous présenter en quelques mots la BSPP. C'est Napoléon Ier qui créa le bataillon de pompiers de Paris en 1811 et le plaça sous l'autorité du préfet de police. La BSPP est aujourd'hui forte de 8 600 hommes et femmes, dont 8 000 à Paris. Elle est chargée de la sécurité des personnes et des biens dans la capitale et les trois départements de la petite couronne. Elle constitue la plus grosse unité de sapeurs-pompiers en Europe et la troisième dans le monde après celles de Tokyo et de New York. Elle effectue près de 460 000 interventions annuelles, soit environ 1 250 par jour.

L'opération du 13 novembre constitue assurément la plus grosse opération de secours par le nombre de victimes depuis les années quatre-vingt et peut être la plus importante jamais effectuée par les pompiers de Paris si l'on exclut les bombardements de la seconde guerre mondiale. Ce qui est certain, c'est que jamais nous n'avions dû traiter autant de victimes en aussi peu de temps. Pour prendre en charge les blessés des sept attentats simultanés perpétrés à Saint-Denis d'un côté, et dans les Xe et XIe arrondissements de Paris de l'autre, la BSPP a dépassé les exigences posées par son contrat opérationnel. Ces attaques ont été concentrées en 40 minutes. Dans les Xe et XIe arrondissements, six sites d'interventions sont répartis sur à peine quatre kilomètres carrés. L'identification des sites en a été d'autant plus ardue que les adresses se trouvaient très proches les unes des autres, et l'on nous en donnait parfois deux pour des établissements situés à l'angle de deux rues.

À partir de 22 heures, l'action s'est fixée au Bataclan, ce qui nous a aidé à concentrer nos moyens. L'ensemble de l'opération a duré huit heures, puisqu'elle a débuté à 21 heures 19, heure de la première explosion au Stade de France, et s'est achevée à 5 heures 30 le 14 novembre, moment où nous avons clos les opérations de secours au Bataclan.

L'action d'ensemble des secours de la BSPP s'articule en quatre phases successives :

• De 21 heures 19 à 22 heures, nous étions dans la phase de réaction, qui s'est avérée tumultueuse car nous devions faire face à de très nombreuses demandes de secours. Ces moments sont chaotiques pour tous les services et le resteront toujours dans de pareilles circonstances. J'ai été affecté chez les pompiers de Paris pour la première fois il y a 26 ans où j'ai fait de très nombreuses interventions, j'ai participé à plusieurs opérations extérieures (OPEX) dans les forces armées et j'ai toujours été confronté au chaos du premier quart d'heure. La différence entre une unité d'élite et une autre réside dans le temps nécessaire au rétablissement. Nous avons mis environ vingt minutes pour y parvenir, ce qui, de mon point de vue, constitue une performance.

• De 22 heures à 0 heure 20, c'est la phase de reprise d'initiative, puisque nous commencions à savoir précisément ce qui se passait et à quels endroits. Dans cette phase, à en juger par le nombre d'appels de services extérieurs, il semble que seuls les pompiers de Paris avaient une vue à peu près claire des événements.

• De 0 heure 20, heure de l'assaut au Bataclan, à 4 heures 21, c'est la phase de concentration des efforts sur deux sites majeurs avec d'un côté l'évacuation des spectateurs du Stade de France et de l'autre la prise en compte des très nombreuses victimes du Bataclan.

• Enfin de 4 heures 30 à 8 heures, c'est la phase de retour à la normale. À 8 heures du matin, tous les véhicules de la BSPP avaient retrouvé l'intégralité de leur potentiel, c'est-à-dire que le stock de produits pharmaceutiques et des consommables des ambulances de réanimation et des véhicules de secours aux victimes avait été reconstitué.

À 4 heures 21, j'ai transmis au préfet de police un bilan de 381 victimes comptabilisées par les pompiers, dont 124 décès, 100 urgences absolues et 157 urgences relatives. À ce bilan il faut ajouter les nombreuses personnes qui se sont présentées spontanément dans des hôpitaux pour faire soigner diverses blessures sans avoir été prises en compte par les sapeurs-pompiers. Au total, 430 pompiers de Paris et 125 engins ont été dépêchés sur les lieux des attentats ; 250 personnes travaillaient derrière eux dans la chaîne de commandement et de soutien. Plusieurs véhicules ont essuyé des tirs dont deux sont sévèrement impactés par balles.

Alors quelles sont les difficultés initiales que nous avons rencontrées ?

Tout d'abord il s'agit de comprendre ce qui se passe en pareilles circonstances. Entre 21 heures 30 et 22 heures, nous avons reçu 700 appels, dont certains faisaient état de fusillades, d'autres d'explosions, d'autres de scènes de panique ou de prises d'otages. On nous indiquait de très nombreuses adresses différentes, car, outre les angles de rue, de nombreuses personnes, blessées et échappées du Bataclan par exemple, se réfugiaient sous des portes cochères dans les rues voisines ou montaient dans la première voiture qui passait.

En second lieu, il y avait 72 000 personnes au Stade de France, dont les plus hautes autorités de l'État. Nous avons demandé et obtenu que le stade ne soit pas évacué. En effet, pendant que les spectateurs regardaient le match, dès lors qu'aucune explosion n'avait eu lieu à l'intérieur, les gens risquaient moins dans le stade que dehors où des kamikazes auraient pu se mêler à la foule pour alourdir le bilan. Par ailleurs ça laissait aux secours et aux policiers un répit pour travailler plus sereinement après les deux premières explosions commises par des kamikazes.

Globalement, cette opération de secours fut réussie grâce à notre anticipation, notre organisation, notre préparation opérationnelle et nos décisions, planifiées et prises durant l'intervention. J'identifie des facteurs de succès de quatre ordres.

Tout d'abord l'anticipation. La BSPP a tiré des enseignements des attentats survenus à Madrid en 2004, à Londres en 2005 et à Bombay en 2011. En 1978, les pompiers de Paris ont mis au point un « plan rouge », adopté ensuite au niveau national, qui vise à traiter un grand nombre de victimes concentrées en un site unique. Après Madrid et Londres, nous nous sommes aperçus que ce plan n'était pas calibré pour faire face à plusieurs attaques et nous avons élaboré un « plan rouge alpha » en 2005 nous permettant d'agir sur plusieurs sites simultanément. Le contrat opérationnel de la BSPP a été adapté en conséquence mais la situation du 13 novembre dernier excédait les exigences de ce contrat.

Par ailleurs nous nous sommes adaptés à l'évolution de la nature de la menace depuis janvier dernier ; nous étudiions notamment depuis cet été le cas d'une course mortifère dans Paris. Nous avons bâti un plan à partir de ce scénario, afin de pouvoir déployer des modules permettant de réagir à un plus grand nombre de sites.

Le second facteur de succès tient à l'organisation de la BSPP. Outre son statut militaire qui lui garantit une forte discipline, l'articulation du commandement mise en place a permis de faire face efficacement aux événements de cette soirée. Depuis 2011, le centre opérationnel de la BSPP réunit en un même lieu trois piliers fondamentaux pour la gestion de crises majeures : le centre de traitement de l'alerte où sont reçus tous les appels 18 et 112, l'état-major opérationnel pour la conduite de crise et la coordination médicale pour la gestion des moyens médicalisés et la remontée des bilans médicaux des intervenants. Cette dernière gère le millier de bilans médicaux réalisés tous les jours par les chefs d'agrès, qui se trouvent auprès des victimes, et oriente les blessés vers les hôpitaux de Paris. La coordination médicale a joué un rôle fondamental dans la réussite de notre action du 13 novembre 2015.

Second point particulier de l'organisation du commandement à la BSPP c'est l'équilibre entre la gestion centralisée des moyens et des ordres et la décentralisation maximale dans l'exécution jusqu'aux plus bas échelons hiérarchiques. Au troisième attentat, j'ai donné l'ordre de réduire l'envoi des moyens demandés pour plan rouge alpha, afin de ne pas nous trouver démunis. Je craignais en effet que le scénario de Bombay se répète, et que les terroristes aillent dans une gare après avoir visé des gens attablés à des terrasses de café. Nous devions donc garder des moyens pour réagir si la liste des sites frappés continuait de s'allonger.

L'état-major opérationnel de la BSPP s'articule en deux niveaux. Une posture immédiate activable par une garde assurée 24 sur 24 et une posture renforcée armée par du personnel d'astreinte à 1h30. Le fait que la plupart des officiers et sous-officiers soient logés sur place facilite grandement la réactivité du dispositif ; ainsi, la posture immédiate a été activée à 21 heures 25 et la posture renforcée à 21 heures 30 avec tout le personnel d'astreinte sur place moins de trente minutes plus tard.

Le troisième facteur de succès réside dans la préparation opérationnelle. Nous nous exerçons tous les samedis au centre opérationnel ; le scénario change à chaque fois et nous testons notre capacité à gérer des crises complexes. Les pompiers de Paris sont donc préparés à intervenir dans ces contextes. Mais ils ne peuvent pas agir seuls. J'avais abordé le scénario d'un raid mortifère dans Paris avec le préfet de police et avais rencontré le chef du service d'aide médicale urgente (SAMU) de Paris, pour en discuter et organiser des exercices d'entraînement. C'est dans ce cadre qu'un exercice envisageant un scénario multi-sites avait eu lieu le vendredi 13 novembre 2015 au matin avec les SAMU de la région parisienne. Par ailleurs, dans les centres de secours, des manoeuvres de secourisme et d'intervention ont lieu tous les jours, afin de compléter notre entraînement. Cela s'avère d'ailleurs indispensable pour être opérationnel en situation de crise quelle qu'en soit l'intensité.

En outre, les cadres, notamment les médecins, bénéficient de leur expérience opérationnelle militaire. Parmi les 61 médecins évoluant sous mes ordres, 40 ont exercé en opérations et savent donc traiter les blessures par balles. La plupart des officiers ont également participé à des OPEX ainsi que quelques sous-officiers et militaires-du-rang.

Le quatrième facteur de succès réside dans les décisions prises, qu'elles soient planifiées à l'avance ou prises en conduite.

En ce qui concerne les décisions planifiées, en premier lieu il s'agit d'adapter la réponse opérationnelle en la dégradant sensiblement. Par exemple, si un incendie s'était produit pendant les attentats, on n'aurait dépêché qu'un engin-pompe au lieu de deux au départ des secours. En second lieu, les demandes de renforts extérieurs à la BSPP, adressées au centre opérationnel de la zone (COZ) de défense et de sécurité à la préfecture de police, sont pré rédigées. Cela permet de gagner du temps. Nous avons demandé dès le départ deux colonnes de renforts aux SDIS de la grande couronne qui sont, en cas de besoin, destinées à nous appuyer dans la couverture courante du risque. Une seule a partiellement été utilisée.

Troisièmement, dès qu'une alerte comme celle du 13 novembre est lancée, nous dépêchons des détachements de liaison : des personnes de garde reçoivent un message sur leur téléphone pour se rendre à la préfecture de police, au centre opérationnel de zone ou ailleurs si c'est nécessaire ce qui facilite la coordination avec les autres administrations et nous permet de relayer l'information concernant les actions pompiers en cours.

Quatrièmement, nous disposons également d'un concours planifié des associations agréées de sécurité civile – la Croix-Rouge, l'Ordre de Malte, la Croix Blanche et la Protection civile de Paris. À la suite des attentats de janvier 2015, j'avais demandé que ces associations nous envoient un représentant au centre opérationnel. Ils sont arrivés dans la demi-heure, ce qui nous a permis de coordonner l'envoi de vecteurs pour les blessés les moins graves.

Cinquièmement nous anticipons les besoins en hélicoptères ; en effet, les urgences absolues doivent être prises en charge par une équipe médicale dans l'heure, alors que les urgences relatives peuvent être traitées dans un délai de six heures, sachant que plus le temps passe, plus les urgences relatives risquent de devenir des urgences absolues. Si les hôpitaux sont saturés, on peut évacuer les blessés les moins fragiles vers des établissements plus éloignés comme ceux de Lille, de Nancy et de Metz. Nous n'avons pas eu besoin de les solliciter, mais des hélicoptères avaient été demandés pour être prêts à transférer des patients. De même, nous avions envisagé de nous appuyer sur les hôpitaux militaires Percy et Bégin lors de simulations : ainsi, ces établissements ont pu accueillir une cinquantaine de blessés graves. Enfin, nous avons également sollicité la RATP, via le COZ, pour transporter des gens vers des centres d'accueil des impliqués (CAI), gérés par les associatifs.

Au chapitre des décisions prises en conduite, à partir de la troisième demande de plan rouge, j'ai donné l'ordre d'adapter la réponse en envoyant des modules plus resserrés. En effet, c'est le nombre de blessés qui dicte les moyens nécessaires, et non celui des morts pour lesquels nous ne pouvons malheureusement plus rien faire. Seuls les premiers intervenants sont capables d'évaluer les vrais besoins. Nous leur avons donc envoyé les moyens qui correspondaient à la situation spécifique sur chaque site en fonction des demandes qu'ils exprimaient plutôt que des modules pré formatés comme ceux du plan rouge.

Six ambulances de réanimation sont armées a minima chaque jour avec un médecin, un infirmier et un conducteur. Il y en avait sept en ligne le 13 novembre. En une heure, nous avons armé 21 ambulances de réanimation supplémentaires en sollicitant les personnes qui n'étaient pas de garde. Une fois que nous sommes parvenus à localiser précisément les lieux des attentats, nous avons baptisé le terrain en donnant un nom, « Bataclan », « Charonne », « Voltaire », « République » pour identifier chaque site d'intervention. J'ai appelé la zone de défense pour que la consigne d'utiliser uniquement ces termes soit donnée. Malgré cette recommandation, certains services ont continué d'employer des adresses pour désigner les sites ce qui a parfois entretenu une certaine confusion. Cet élément, qui peut paraître insignifiant, se révèle déterminant. C'est un réflexe chez les militaires que de baptiser le terrain pour éviter les confusions.

Ensuite, nous avons désigné un commandant des opérations de secours (COS) et un directeur des secours médicaux (DSM) pour chaque site. Les COS dans ces circonstances sont en général des officiers ou des sous-officiers supérieurs mais ce n'est pas une obligation. Sur le site de Beaumarchais, c'est un caporal-chef qui a pris en charge les secours. On lui a envoyé trois véhicules qu'il a conditionnés pour faire partir trois urgences absolues et quatre urgences relatives vers des hôpitaux.

Enfin pour réduire la saturation du centre d'appel, le message d'accueil du 18 et du 112 a été changé pour inviter les requérants à différer les demandes ne présentant pas d'urgence absolue : en une demi-heure, le nombre d'appels est passé de 700 à 200. Nous avons publié le même message sur les réseaux sociaux, et il a été relayé 29 000 fois en une heure sur Twitter et 39 000 sur Facebook. Cela nous a permis de reprendre l'initiative et de ne plus être submergés d'appels.

Mais au-delà de ces facteurs de succès il faut aussi souligner qu'un certain nombre de frottements ont entraîné quelques dysfonctionnements.

Tout d'abord, il fallait déterminer si les terroristes se trouvaient toujours dans la zone, car on ne peut pas être pompier et tenir une arme. Un élu local m'a récemment demandé s'il fallait armer les pompiers. Je lui ai répondu qu'un médecin tenait une perfusion et non un fusil lorsqu'il s'occupait d'un soldat blessé. Il n'est donc pas question d'armer les pompiers, car si l'on devait assurer notre sécurité, on ne soignerait plus les gens. Il convient en revanche de travailler avec les forces de sécurité pour mieux assurer la protection des secours ainsi que celle des victimes

En second lieu la BSPP pour commander ses interventions s'appuie sur un triptyque réuni en un lieu unique. On y retrouve co localisés le centre de traitement de l'alerte, l'état-major opérationnel et la coordination médicale. Chaque jour, 36 opérateurs sont de garde pour 24 heures, 18 opérateurs répondent au téléphone pendant que les 18 autres sont sur place mais en repos physiologique. Dix traitent les demandes de secours et huit gèrent les bilans médicaux remontant des interventions. En quelques minutes, cet effectif peut doubler pour atteindre 36 militaires en rappelant ceux qui se reposent. Le SAMU n'a pas la même réactivité pour faire monter en puissance son centre d'appels, si bien qu'il lui fut plus difficile de se coordonner rapidement avec nous dans la soirée du 13 novembre. Il ne s'agit pas de critiquer le SAMU avec lequel nous entretenons de bonnes relations, mais nous devons prendre en compte cette situation et sécuriser les communications entre nous en toutes circonstances.

Par ailleurs, le COS et le DSM doivent pouvoir travailler avec un commandant des opérations de police (COP), mais il n'est pas toujours facile d'identifier le COP sur chaque site. La préfecture de police est au courant de ce problème et nous avons demandé que le COP porte une chasuble d'identification comme c'est le cas pour le COS et le DSM. Cet élément s'avère très important, car les COP sont responsables des plans rouges alpha circulation (PRAC) qui ouvrent les itinéraires et donc les axes d'arrivée et d'évacuation pour les secours.

Par ailleurs, étant donné que les pompiers sont presque les seuls à disposer d'une vision globale des événements au début de la crise, l'état-major opérationnel est constamment sollicité pour connaître le bilan des victimes. Les médias comme les autorités doivent accepter d'attendre un peu pour disposer de bilans fiables et vérifiés. J'ai parfois répondu un peu sèchement, mais poliment, à certains d'entre eux.

Autre point de frottement : la rumeur. Elle a toujours existé, mais auparavant elle provenait du bas alors que maintenant ce sont les chaînes d'information émettant en continu qui la créent. Un bruit faisait état d'une personne tirant dans la gare du Nord avec un grand nombre de victimes. Nous sommes parvenus à le dissiper en demandant aux appelants s'ils avaient vu eux-mêmes des blessés ou le tireur. Beaucoup avaient entendu dire mais aucun n'avait vu. Il s'agit d'un problème récurrent car, en janvier dernier, je commandais le centre opérationnel et l'on m'avait demandé à cinq reprises des secours pour une prise d'otages à Paris l'après-midi de l'Hyper Cacher. Nous veillons donc à ne pas consommer des moyens pour rien en recoupant l'information à partir de ce que voient ou non les requérants.

Enfin, des blessés furent transportés sur des barrières de foule, car nous n'avions plus de brancards disponibles devant l'afflux de blessés. Cela peut choquer mais ça ne présente pas de danger particulier, même pour une urgence absolue, l'important étant que la personne reste à l'horizontal. On a depuis perçu davantage de brancards souples pour les répartir dans tous les véhicules de secours à victimes. Ces derniers sont dimensionnés pour accueillir une victime. Éventuellement on peut en mettre une couchée et une autre assise, voire trois au maximum en conditions dégradées ; l'afflux de 35 à 40 personnes blessées par balle en quelques minutes a donc posé quelques difficultés. Mais il faut accepter que le dispositif mette quelques minutes à monter en puissance, même si cela va tout de même relativement vite.

Au bilan il n'y a pas eu de dysfonctionnement important au regard de l'ampleur des missions à remplir.

En termes de coordination interservices, la coopération avec les autres acteurs peut être qualifiée d'excellente. Toutefois quelques points méritent une attention particulière.

Le système d'information numérique standardisé (SINUS) est un bracelet comportant un code-barres qui permet à l'ensemble des personnels de secours et de santé d'alimenter une base de données ; hélas, seuls les pompiers utilisent SINUS. Il conviendrait que les autres services médicaux l'emploient également afin de faciliter l'identification et la localisation des victimes en particulier celles qui se présentent spontanément dans un hôpital. Beaucoup des difficultés rencontrées pour renseigner les familles auraient été résolues si toutes les victimes avaient été répertoriées grâce au système SINUS et pas uniquement celles prises en charge par les pompiers.

La coopération s'est accrue après les attentats de janvier avec les associations de sécurité civile, notamment par l'envoi d'éléments de liaison. Les mairies et les centres opérationnels de zone les réclament également, si bien qu'il s'avère souvent délicat de maîtriser le dispositif associatif. Les membres de ces associations sont tous volontaires et veulent donc tous participer. C'est louable mais il faut prendre garde qu'une trop grande concentration de volontaires associatifs ne constitue par autant de victimes supplémentaires en cas de situation non figée. Ils en sont conscients, et nous réfléchissons avec eux sur ce sujet. Au moment de l'Hyper Cacher, j'avais demandé 10 moyens associatifs, on m'en a envoyé 32 ! C'est trop et l'on peut se trouver démuni pour une autre opération.

Avec les autres directions de la police, nous dépêchons des éléments de liaison dans les autres services afin d'améliorer la coordination entre les chaînes de commandement police et pompiers. Une note, signée par le préfet de police, fixe le rôle de chaque acteur en cas d'événement grave. Mais il est important que des exercices aient lieu pour que les différents acteurs s'approprient de façon réflexe les plans.

Les forces de l'opération Sentinelle ont effectué un très bon travail en nous protégeant à Charonne et dans le centre de secours de Chaligny où nous avions ouvert des postes médicaux avancés de circonstance. Les militaires de Sentinelle ont également protégé les premiers pompiers qui sont arrivés devant le Bataclan sans savoir que les terroristes s'y trouvaient. Leur véhicule fut criblé de balles et n'a pas pu repartir. Il serait intéressant d'améliorer notre coopération avec les forces de Sentinelle, qui savent boucler un quartier et fouiller les personnes suspectes si nécessaire en complément des forces de police.

Au-delà des interventions elles-mêmes, qu'avons-nous fait depuis ?

Dès leur retour d'interventions, j'ai demandé à tous les garçons et les filles qui avaient participé au secours la nuit du 13 au 14 novembre d'écrire librement ce qu'ils avaient fait. Cet exercice présente deux vertus : savoir ce qui a été accompli sans réécriture postérieure de l'histoire et favoriser le désamorçage psychologique. En effet, les pompiers au Bataclan ont découvert 78 morts dans la salle de spectacle et ont entendu sonner les téléphones portables des personnes décédées que leurs proches tentaient de joindre. Ce sont des moments difficiles. J'ai donc décidé que tous les pompiers de Paris intervenus cette nuit-là seraient vus en consultation par un psychologue et un psychiatre – j'ai demandé un renfort du service de santé des armées qui m'a été immédiatement accordé –, et seuls quelques-uns auront besoin d'un suivi plus poussé.

On a remédié au manque de brancards légers dès le lendemain des attentats en équipant trois véhicules spécifiquement dédiés pour emporter ce matériel. On a également placé des trousses de « damage control » contenant des pansements hémostatiques et des garrots tourniquets dans tous les véhicules.

Sans les téléphones mobiles, beaucoup de gens n'auraient pas pu commander le 13 novembre. Nous ne devons pas nous habituer à nous reposer uniquement sur ces appareils. Ceux-ci sont très utiles, mais nous avons besoin de systèmes redondants et j'ai demandé une rallonge budgétaire, qui m'a été accordée hier par le conseil de Paris, pour disposer d'un véhicule satellite. Il nous permettra d'assurer la permanence de nos transmissions.

Nous expérimenterons, dès la fin du mois de janvier, la plateforme d'appel unique. À partir de mars prochain, les appels au 17 émis de Paris et de Seine-Saint-Denis, et ceux au 18 et au 112 passés depuis l'ensemble de la zone couverte par la BSPP, arriveront tous dans notre centre opérationnel, afin de couvrir les stades de France et du Parc des princes dans la perspective de l'Euro 2016. Le ministre de l'Intérieur a déjà annoncé qu'une expérience similaire sera menée dans la zone Centre, ce système ayant vocation à être étendu à l'ensemble du pays.

Enfin, pour améliorer la connaissance des gestes qui sauvent, j'ai proposé à madame la Maire de Paris et au Préfet de Police une action qui débutera à partir de la mi-janvier 2016 : le samedi après-midi, d'abord dans six centres de secours, les Parisiens pourront apprendre comment alerter les secours, que faire en attendant qu'ils arrivent – comment réaliser un garrot et un pansement hémostatique avec ce que l'on a sous la main – et comment pratiquer un massage cardiaque. Si chaque Français savait effectuer un massage cardiaque, même imparfaitement, on sauverait plusieurs centaines de vies chaque année. Cette formation, gratuite et non qualifiante, durera deux heures. Si un public nombreux se déplace à Paris, on étendra ce dispositif à la banlieue. Les Parisiens qui souhaitent y participer devront s'inscrire au préalable sur le site Internet de la préfecture de police.

Nous avons été efficaces le 13 novembre dernier, et il aurait été difficile de faire mieux. Il ne s'agit pas d'une autocélébration et nous devons nous pencher non pas sur la guerre que nous venons de vivre, mais sur la prochaine. Il faut se préparer à toutes les hypothèses, même les pires, afin de garantir la capacité à mener des opérations de secours dans des contextes très complexes. Il faut continuer à réfléchir, à s'entraîner et à s'adapter, car ce n'est pas à un risque que nous devons faire face, mais à une menace, ce qui change tout.

Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.

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