Je dois à la vérité de dire que, par souci de cohérence, je suis passé assez vite de la promotion du tourisme au tourisme tout court. Et comme l'entente est excellente tant avec Mme Martine Pinville qu'avec M. Matthias Fekl qui travaille à mes côtés, nous oeuvrons tous ensemble, ainsi qu'avec les professionnels du secteur, gens remarquables et très courageux.
Alors que le tourisme est une mine d'or pour l'économie française, les pouvoirs publics ont très longtemps considéré ce secteur comme ne faisant pas partie de l'économie et jugé en conséquence qu'il n'était pas nécessaire de trop s'en occuper. C'est une erreur complète. Outre que le tourisme représente 2 millions d'emplois et plus de 7 % de notre PIB, les secteurs économiques dans lesquels nous sommes excellents et qui vont à coup sûr se développer ne sont pas si nombreux. À cela s'ajoute que la France est spontanément placée en tête de toutes les enquêtes sur les destinations touristiques. C'est donc un secteur majeur pour notre économie. M. Roland Héguy, président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), souligne avec raison les liens étroits qui unissent le tourisme et l'activité territoriale. Nous devons absolument cultiver notre diversité touristique, une spécificité qui est pour nous un extraordinaire atout. Chacun est conscient que si l'on veut, comme cela est tout à fait possible, faire passer le nombre annuel de touristes étrangers en France de 85 à 100 millions avant d'atteindre d'autres sommets, cela ne pourra se faire entièrement à Paris et sur la Côte d'Azur.
Si j'ai voulu m'occuper du tourisme, c'est parce que cela m'intéressait, bien sûr, et aussi parce qu'il m'a paru que nos ambassadeurs étaient assez bien placés pour en traiter. J'ajoute que chaque touriste étranger venu en France et qui en repart satisfait est le meilleur ambassadeur qui soit pour notre pays. J'ai donc demandé au Président de la République et au Premier ministre, qui ont bien voulu l'accepter, d'ajouter le tourisme à mes attributions. Je ne le regrette pas, et j'espère que, quels que soient les aléas de la vie politique à l'avenir, cette configuration demeurera, car le tourisme ne doit plus être considéré comme un secteur croupion.
Depuis deux ans, nous avons avancé. Vous avez évoqué, madame la présidente, les assises du tourisme qui ont eu lieu à la mi-2014. J'ai aussi mis sur pied un Conseil de promotion du tourisme, et réuni une conférence du tourisme dont je souhaite la périodicité annuelle : il est bon que les pouvoirs publics et les professionnels du tourisme se rencontrent régulièrement pour faire ensemble le point sur la situation du secteur. La première de ces conférences a eu lieu le 8 octobre dernier. À cette occasion, j'ai résumé les quatre évolutions majeures auxquelles nous devons nous adapter, non seulement pour rester la première destination touristique mondiale, ce qui ne sera pas si facile, mais surtout pour créer davantage de valeur et d'emplois grâce au tourisme.
Nous nous glorifions d'être la première destination touristique mondiale, mais il y a à cela aussi des raisons géographiques : ainsi, les Anglais qui veulent aller en Espagne passent par la France – mais je ne suis pas certain qu'ils y restent très longtemps… D'autre part, les Espagnols sont meilleurs que nous puisque tout en recevant des touristes en nombre moindre que la France, ils enregistrent des recettes touristiques plus importantes que les nôtres. Cela signifie que la durée des séjours est plus longue en Espagne et les dépenses des touristes plus élevées ; nous avons donc des progrès à faire.
En matière de tourisme, on peut discerner quatre grandes évolutions à venir. En premier lieu, l'expansion de ce secteur, qui ne cessera de croître à mesure que progressera le pouvoir d'achat dans le monde et que les transports se démocratiseront. Les chiffres sont saisissants : en 1950, 25 millions de personnes en tout voyageaient dans le monde ; les voyageurs sont aujourd'hui 1 milliard, et ils seront 2 milliards dans quinze ans. Notre objectif est de capter une frange de ce milliard de touristes supplémentaires. Si nous y parvenons, notre balance extérieure des paiements se présentera sous un tout autre aspect.
La deuxième évolution, c'est une compétition qui va s'aiguisant. La France est certes un beau pays, mais d'autres le sont aussi et les touristes ont le choix de venir nous visiter ou d'aller ailleurs. Désormais, toutes les grandes économies émergentes s'efforcent de construire leur industrie du tourisme, ne serait-ce que pour répondre à leur demande interne. Or, les projections montrent que d'ici 2030, l'accroissement de l'activité « tourisme » sera du double dans ces pays de ce qu'elle sera dans les destinations touristiques traditionnelles. Ce sont donc pour nous des marchés potentiels très importants mais aussi des concurrents. Cela nous contraint à l'excellence.
La troisième tendance prévisible est la diversification. La demande de tourisme traditionnel persiste, mais une clientèle plus exigeante recherche de plus en plus le tourisme thématique. Il nous faut donc développer une offre mieux adaptée à cette demande : l'oenotourisme, le tourisme de mémoire, l'éco-tourisme, le tourisme des arts et des traditions manufacturières, le tourisme sportif ou encore le tourisme de croisière. J'ai confié à M. Jacques Maillot l'élaboration d'un rapport sur le tourisme de croisière ; ses conclusions soulignent un potentiel de développement extraordinaire tant pour les croisières maritimes que pour les croisières fluviales – et nous avons de très nombreuses possibilités en ce domaine. Nous devons, d'une manière générale, diversifier notre offre sur l'ensemble du territoire.
La quatrième évolution, c'est la numérisation. Désormais, les touristes utilisent internet tout au long de leur parcours, et avant même la réservation. Nous devons être particulièrement performants dans ce domaine ; il serait paradoxal que nous ne retirions pas tous les bénéfices des produits que nous savons concevoir à cet effet.
Aux évolutions que je viens de décrire, s'ajoute un impératif : la sécurisation des grandes destinations touristiques, sujet d'une importance cruciale pour certaines populations de touristes. Ainsi, l'analyse de l'incidence des attentats commis à Paris sur la fréquentation touristique montre qu'il y a eu un recul immédiat de la clientèle japonaise mais nullement de la clientèle chinoise. Quoi qu'il en soit, il existe, de manière générale, une recherche de sécurité.
Sur la base de ce constat partagé, des engagements avaient été pris au terme des assises du tourisme, en juin 2014, et beaucoup a déjà été fait pour ce qui concerne l'amélioration de l'accueil et celle de notre présence sur internet, comme pour la formation et l'investissement. Le Conseil de promotion du tourisme, où siègent des parlementaires, des professionnels et des représentants de l'administration, a proposé une stratégie. Atout France, opérateur de l'État, est en phase d'évolution.
Au nombre des mesures prises, je citerai pour commencer la rénovation des gares. Elle est engagée ; c'est une bonne chose, et c'est aussi un argument très important pour la candidature de notre pays aux Jeux Olympiques et à l'Exposition universelle. Incidemment, la COP21, outre son mérite intrinsèque, est en soit un argument exceptionnel en faveur de ces futures candidatures : si la France, alors qu'elle avait subi peu de temps auparavant les événements que l'on sait, a été capable d'accueillir, sans aucun incident, 154 chefs d'État et de Gouvernement, 20 000 délégués et 90 000 personnes, c'est qu'elle est capable de beaucoup. Je citerai encore le lancement effectif de la liaison ferroviaire directe, dite CDG Express, entre l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et Paris ; la question des taxis ; la délivrance accélérée des visas, qui a désormais lieu en 48 heures en Chine mais aussi dans beaucoup d'autres pays ; l'ouverture dominicale des commerces. Toutes ces mesures vont dans un sens positif.
Pour répondre au défi du numérique, le Premier ministre a accepté d'attribuer à Atout France le nom de domaine France.fr, qui sera désormais consacré au tourisme. Un appel d'offres a été lancé pour la rénovation et le développement du site www.France.fr, qui devient le portail national de la destination France. Des progrès ont eu lieu, aussi, dans l'encadrement des grandes plateformes de réservation en ligne, mais il reste à faire.
La formation est un élément clé d'un tourisme de qualité. C'est pourquoi nous avons lancé la conférence des formations d'excellence du tourisme. Nous avons de bonnes écoles mais elles n'ont pas la même visibilité que d'autres, en Suisse et ailleurs. La conférence permettra de mettre en valeur toutes les formations de haut niveau en ce domaine en France – sachant que manquent, nous dit-on, 100 000 personnes dans le seul secteur de la restauration pour combler les emplois vacants.
Pour ce qui est de l'investissement, mes remerciements vont à la Caisse des dépôts et consignations. M. Pierre-René Lemas, son président, a accepté la création d'un fonds de développement du tourisme doté d'un milliard d'euros dont la moitié ira à la rénovation du parc d'hébergement, 400 millions d'euros aux infrastructures nouvelles et 100 millions d'euros – gérés par BPIfrance – à des entreprises innovantes. Cela permettra de résoudre le problème des « lits froids », ces hébergements touristiques aux infrastructures vieillissantes très peu utilisés.
L'urgence, au lendemain des attentats du 13 novembre, est de restaurer la confiance dans la sécurité en France. Nos ambassades, en liaison avec les professionnels, ont pris une série de mesures à cet effet, corrigeant des informations inexactes diffusées sur internet et publiant des documents. Je le redis, la COP21 est d'une certaine manière la meilleure réponse que l'on puisse apporter à l'inquiétude suscitée par les attentats ; on constate cependant un décrochage des réservations, qui durera un certain temps.
Voilà pour le court terme ; mais il convient aussi de travailler à moyen et long termes. Nous avons voulu fédérer l'offre française autour des pôles d'excellence et des contrats de destination, de manière à disposer d'un portefeuille de produits plus riche. On ne peut promouvoir la multitude des sites de France – cela n'a pas de sens. On voit parfois dans les rues de New York des affiches célébrant un site français parfaitement inconnu ; c'est jeter l'argent par les fenêtres. Nous devons rassembler nos offres, chaque grand regroupement prenant sous son aile les sites plus petits. Toutes les régions sont concernées par les contrats de destination : la Champagne, la région de Bordeaux, les Pyrénées… L'objectif est d'amener les professionnels à agir ensemble pour proposer des produits de qualité pouvant être promus plus facilement à l'étranger. Il en est de même pour les pôles d'excellence, qui réunissent les acteurs concernés autour de thèmes à fort potentiel.
En janvier 2016, nous lancerons un portail consacré à l'oenotourisme, champ d'action considérable à condition que les hôtels et les accueils soient en nombre suffisant, ce qui n'est pas toujours le cas. Sur la base des propositions de M. Jacques Maillot, un travail de longue haleine est conduit sur les croisières ; la Coface a fait évoluer sa doctrine de financement de la construction de navires de croisière en France pour les armateurs français et Voies navigables de France a accepté de donner la priorité au tourisme. Un travail indispensable est aussi mené dans les territoires d'outre-mer.
Je remercie M. Louis Schweitzer qui, en sa qualité de commissaire général à l'investissement, s'est engagé à réserver au tourisme, dans le prochain programme d'investissements d'avenir, une place à la hauteur de son poids dans le PIB.
Nous avons aussi engagé la rénovation d'Atout France après qu'un récent rapport d'inspection a montré les mérites de l'Agence mais aussi que son fonctionnement serait amélioré par la concentration de ses missions, la modernisation de sa gestion et l'utilisation d'outils numériques mieux adaptés. Le chantier s'ouvre sous de très bons auspices. Le conseil d'administration de l'Agence a été renouvelé ; elle a désormais pour président M. Philippe Faure, remarquable ambassadeur. Il fallait trouver quelques subsides pour l'Agence. Vous y avez consenti dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, en acceptant d'affecter une partie des recettes issues de la délivrance des visas à des opérations de promotion touristique dans des pays à fort potentiel. Si l'on compare le budget de l'Agence à celui de son homologue espagnole, on comprend que cette initiative est bienvenue. On permettra aussi à Atout France de refonder son modèle économique en capitalisant sur la marque France.
Il convient aussi de développer la connectivité aérienne. Parce que nous ne pourrons pas accueillir 100 millions de touristes étrangers s'ils ne sont pas mieux répartis sur le territoire, et parce que les voyageurs choisissent comme destination initiale un lieu proche d'un aéroport, nous devrons augmenter nos capacités. On peut certes utiliser le hub parisien mais il faut aussi disposer de liaisons avec les régions. L'exercice est compliqué, car nous ne devons pas, par ailleurs, porter des coups à la compagnie nationale. Des arbitrages devront donc être faits ; M. Alain Vidalies s'y emploie.
Le travail de long terme, c'est aussi, je l'ai dit, rassurer notre clientèle quant à la sécurité. Nous pourrions faire des campagnes spécifiques, comme le Japon a su le faire après l'accident de Fukushima, sur le thème : « Puisque vous dîtes nous aimer, venez donc ! ».
Tels sont quelques-uns des chantiers que nous avons ouverts pour capitaliser sur notre considérable potentiel touristique. Loin des images passéistes, le tourisme est une activité qui se rénove, innove, fait preuve de beaucoup de créativité et repense son cadre de travail mais qui doit aussi développer la vertu de l'hospitalité. Le secteur est un vivier très important de créations d'emplois non délocalisables. Il faut donc donner un coup de pouce aux hôteliers, aux restaurateurs et aux professions concernées. Je sais les parlementaires très intéressés par ce thème, les professionnels très heureux que l'on prenne leurs préoccupations en considération, et je pense que les territoires ont tout à y gagner.
Les régions doivent avoir un rôle déterminant en matière de tourisme mais l'on ne peut tuer les initiatives locales. Une harmonie doit être trouvée ; c'est l'objectif des contrats de destination, qui visent à ce que tout le monde agisse de conserve – et certains contrats n'ont pas été signés faute qu'y soit démontrée une implication commune suffisante.
Le tourisme n'est ni un secteur à part, ni une activité passéiste. Ce n'est pas un domaine qui échapperait à la société moderne mais, au contraire, un secteur d'intérêt économique, culturel et d'aménagement du territoire majeur. Quand on demande aux citoyens du monde entier quel pays ils veulent visiter, leur première réponse est : « La France ». C'est une chance extraordinaire, sur laquelle nous devons capitaliser.