Intervention de Général Didier Castres

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Général Didier Castres :

Quelles sont les forces en présence ? En Syrie et en Irak, Daech compte 30 000 combattants, dont 40 % d'étrangers. A ce nombre s'ajoute les auxiliaires qui travaillent sous la contrainte de Daech. Parmi les étrangers, provenant d'une centaine de pays, nous estimons le nombre d'Européens à 5 000 et celui des russophones à 4 000. 9 000 à 12 000 combattants sont présents sous l'étendard de Daech en Syrie. 1 920 Français se seraient engagés pour Daech, dont environ 140 ont été tués et 570 – dont 200 femmes – se trouvent actuellement en Syrie et en Irak. Les autres tentent de rentrer, sont déjà partis ou se dirigent vers une autre destination.

Le fonctionnement de Daech se révèle extrêmement pyramidal et adapté à la situation dans laquelle il évolue ; il est réparti par wilayas, dirigées par un ouléma s'il n'y a pas de combats ou par un chef militaire dans le cas contraire. Le conseil militaire d'Abou Bakr al-Baghdadi adresse des directives à chaque wilaya, mais les ordres sont appliqués avec beaucoup d'autonomie.

Les mouvements d'opposition syriens rassemblent une centaine de milliers d'individus. L'action et l'idéologie des plus radicaux d'entre eux – Daech, Jabhat an-Nusra qui est affilié à al-Qaïda, et d'autres groupes salafo-nationalistes ou salafo-internationalistes comme Ahrar al-Sham et Jaysh al-Islam – ne sont pas conciliables avec les critères retenus par la coalition ; or, ils représentent 80 % de l'opposition syrienne, si bien que seuls 20 000 combattants appartiennent à des formations modérées. Ceux-ci ne sont pas regroupés dans une armée structurée, mais font partie de milices de quartier ou de village qui défendent leur territoire. La coalition a mis en oeuvre un programme devant permettre la montée en puissance de l'opposition syrienne modérée ; 150 hommes parmi le millier volontaires ont été sélectionnés pour rejoindre le projet, 100 ont été formés, mais une fois la frontière franchie, ils ont vendu leur armement à des membres de Jabhat an-Nusra ou ont été contraints de le leur remettre. Cet échec nous a montré que la formation de l'opposition syrienne modérée n'était pas réaliste à court terme. On peut en revanche se battre avec les Kurdes syriens et irakiens, même si cela pose des problèmes diplomatiques avec la Turquie, et avec les forces de sécurité irakiennes (FSI). Les Kurdes syrienscomptent pour leur part entre 10 000 et 15 000 combattants. Les FSI n'intègrent pas beaucoup d'éléments sunnites. On les estimait à un million de soldats lorsque Daech a envahi Mossoul, mais il ne doit pas y en avoir plus de 140 000 à 150 0000. Les Kurdes, soutenus par les Américains, ont réussi à créer quelques unités sunnites en Syrie qui se battent à leur côté dans les régions d'al-Hasaka et de Kobané, mais cela reste insuffisant pour que les sunnites aient l'impression qu'on leur prépare une place. Enfin, une nébuleuse de milices chiites, soutenues par l'Iran, a fait son apparition, mais on ne peut pas toujours les comptabiliser dans les forces luttant contre Daech.

Les Forces Armées Syriennes, fidèles au régime, rassemblaient 250 000 hommes au début du conflit. Leur effectif a été depuis divisé par deux depuis. A cela s'ajoutent des forces de défense nationale qui regroupent des milices alaouites, chrétiennes, druzes et chiites comptant au total entre 40 000 et 60 000 combattants. L'armée syrienne tient encore parce qu'elle combat, mais elle se trouve profondément déstructurée et mettra de nombreuses années à se réorganiser.

La coalition ne regroupe que 154 chasseurs, et seuls deux pays de l'Union européenne – la France, et le Royaume-Uni depuis une semaine – opèrent en Syrie. Les Belges vont participer. Les Allemands vont apporter des moyens de reconnaissance. J'ignore le caractère volontaire ou non de la modestie des moyens déployés, mais je constate que seuls deux États européens se sont engagés pour lutter contre cet ennemi. Il existe certes une question de droit international pour cette intervention, et certains de nos partenaires ne lisent pas les résolutions de l'ONU comme les Américains et nous. Cela illustre bien toutefois la faiblesse des moyens de la coalition et le manque de mobilisation de la communauté internationale, à commencer par les Européens.

Doit–on et peut-on aller combattre au sol ? Il est clair que les bombardements seront insuffisants pour reprendre le contrôle des zones tenues par les terroristes. Sur cette question, je voudrais simplement vous donner quelques ordres d'idées. Des travaux de planification ont été lancés avec les États-Unis pour évaluer le nombre d'hommes nécessaires à une opération non de maintien, mais d'imposition de la paix ; on avait conclu qu'il faudrait 150 000 soldats au sol et 100 avions de chasse. La Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) déployée en Afghanistan comptait à son acmé 150 000 hommes, preuve qu'il est possible de déployer un tel contingent. Elle s'appuyait en outre sur des forces afghanes formées de 330 000 combattants. A ce stade, une opération de contre-insurrection en Syrie est hors de portée des pays arabes et « hors de la volonté » des pays occidentaux.

La publication mensuelle à laquelle vous avez fait allusion, madame Dagoma, s'intitule Dar al-Islam ; il s'agit d'une revue francophone à la qualité technique extraordinaire, ce qui prouve que Daech dispose de véritables professionnels en la matière. Elle est mise en ligne chaque mois depuis un an et demi ; son équivalente en langue anglaise se nomme Dabiq. Dar al-Islam a identifié les policiers, puis les militaires et aujourd'hui les enseignants comme cibles des actions terroristes.

S'agissant de Abdelhamid Abaaoud, nos premières frappes à Raqqah ne le visaient pas mais elles visaient directement un centre de commandement de Daech.

La soi-disant information selon laquelle l'une de nos frappes aurait tué 28 enfants dans une école de Mossoul a été transmise par un général irakien à l'équivalent de l'Agence France-Presse (AFP) en Allemagne ; nous avons téléphoné à ce journaliste pour l'informer que nous allions démentir car ces allégations étaient fausses. La dépêche a été retirée dans la soirée.

Depuis un an et demi, Daech a tout fait pour se protéger des frappes aériennes. Ainsi, les dirigeants se réunissent dans des hôpitaux, les tribunaux islamiques dans des cours d'école et les chefs militaires dans des mosquées. Il faut donc en permanence s'assurer que nos frappes ne feront pas de victimes civiles. Nous bombardons des cibles à Raqqah, car des renseignements nous font penser que les attentats commis en France et en Europe ont été commandités et planifiés depuis cette ville. En outre, les Kurdes syriens avancent en direction de Raqqah, et il faut appuyer ceux qui se dirigent vers les deux têtes de l'hydre que sont Mossoul et Raqqah. Mossoul comptant 1,4 million d'habitants et Raqqah 250 000, il paraît plus envisageable, dans un premier temps, de s'attaquer à la ville syrienne. Il faudra en tout cas couper les communications de Daech entre ces deux villes, car cela pourrait fortement déséquilibrer le califat.

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