Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la France demeure la première destination touristique du monde. Elle a, en effet, accueilli sur son sol 83,7 millions de visiteurs en 2014, soit une légère hausse de 0,1 % après une année 2013 elle-même favorable, puisqu’elle avait enregistré une progression de 2 % du nombre de touristes étrangers par rapport à l’année précédente.
Ce secteur, qui est le premier contributeur à la balance des paiements puisqu’il a dégagé un solde positif de plus de 11 milliards en 2012, représente 7,3 % du produit intérieur brut et pèse près de 2 millions d’emplois directs et indirects. C’est dire l’importance qu’il revêt pour notre économie en même temps que pour le rayonnement de la France dans le monde.
La consommation touristique, estimée à 157 milliards d’euros, provient pour les deux tiers des nationaux et pour un tiers des étrangers, dont les dépenses augmentent plus rapidement depuis plusieurs années. Ainsi, en 2013, la dépense des touristes étrangers dans les cafés et restaurants a fortement augmenté en volume, à hauteur de 6,2 %, alors que celle des Français a reculé de 1,1 %.
Les hôtels souffrent surtout de la désaffection des Français. En 2014, le secteur hôtelier a été fragilisé par une baisse de 1,5 % du nombre de nuitées, due à un recul de 2,2 % de la demande des touristes français que n’a pas compensé celle des non-résidents.
Il serait tentant d’en conclure qu’il faudrait chercher la croissance du secteur auprès des visiteurs étrangers, en particulier des nouvelles clientèles qui offrent les perspectives les plus prometteuses. Nul ne saurait s’opposer à des mesures permettant d’accueillir davantage de touristes étrangers. Néanmoins, le recul du tourisme national doit nous faire réfléchir. Il ne représente pas seulement un manque à gagner : il reflète surtout l’évolution du pouvoir d’achat de nos concitoyens qui, lorsqu’ils partent en vacances, privilégient la famille et les amis, faute de moyens suffisants.
Près des deux tiers des Français – 66 % – déclaraient partir en vacances au milieu des années quatre-vingt-dix. Le taux de départ en vacances a ensuite diminué, jusqu’à tomber à 52 % en 2008.
En 2014, près de la moitié de nos concitoyens – 46,5% – déclaraient ne pas envisager de partir en vacances dans les prochains mois pour des raisons financières. La même année, 40 % des personnes aux revenus inférieurs à 1 200 euros mensuels ont quitté leur domicile pour des congés, contre 86 % de celles dont les revenus mensuels sont supérieurs à 3 000 euros. Ainsi, 82 % des cadres supérieurs partent en congés, contre 47 % des ouvriers. Ces chiffres attestent d’une rupture avec ce qui a été, depuis des décennies, l’un des éléments du modèle social français.
En 1950, 15 % des Français pouvaient partir en vacances. Ils étaient, je l’ai dit, 66 % au milieu des années quatre-vingt-dix. Cette augmentation était la conséquence directe de politiques ambitieuses de soutien au départ en vacances des Français, par le développement du tourisme social, avec l’appui des pouvoirs publics, de la Caisse nationale d’allocations familiales, d’associations investies dans ce domaine, des collectivités territoriales et des comités d’entreprise.
Le départ en vacances était devenu la norme sociale, un vecteur d’intégration sociale et d’égalité. Or, la situation s’est dégradée. Pourtant, les rapports et les propositions formulées en matière de développement du tourisme ne font que peu de place à la nécessité de dynamiser le tourisme social eu égard aux inégalités, qui se creusent et affectent le droit aux vacances pour tous.
Comme tous les secteurs d’activité, le tourisme s’évalue aujourd’hui à l’aune exclusive de la marchandisation. Dès lors, le tourisme social devient résiduel, quand il devrait être central au regard de l’évolution à la baisse du pouvoir d’achat des familles populaires.
Un contrat d’objectifs et de performance couvrant la période 2013-2016 a été conclu entre l’État et l’Agence nationale pour les chèques-vacances, l’ANCV. Il élargit l’attribution du chèque-vacances, créé en 1982, aux entreprises de moins de 50 salariés dépourvues de comité d’entreprise. Cette disposition est positive, bien sûr, même s’il faut prendre la mesure des effets de la désindustrialisation et des fermetures de grandes entreprises sur l’accès de nombre de salariés aux chèques-vacances.
Parallèlement, il a été convenu de la création d’un fonds « Tourisme social investissement », avec la Caisse des dépôts et consignations et d’autres investisseurs, pour permettre la modernisation des équipements du tourisme à vocation sociale. L’ANCV contribuera à ce fonds à hauteur de 25 millions d’euros sur cinq ans. Elle poursuivra en outre son propre programme d’aides aux équipements de tourisme de loisirs à vocation sociale, qui vise à la modernisation de 30 à 40 équipements par an.
Toutes ces mesures sont salutaires, mais sont-elles à la mesure des défis quand le droit aux vacances pour tous régresse ?
Je l’ai dit : la question centrale est celle du recul du pouvoir d’achat des familles, dont nous voyons les conséquences directes sur l’activité touristique et les résultats de ce secteur. C’est aussi la politique d’austérité, ainsi que les reculs de l’investissement public, tant de l’État que des collectivités territoriales, dont l’engagement est décisif.
Enfin, le tourisme social ne semble plus être une priorité, alors que son développement était historiquement un marqueur identitaire de la gauche. De ce point de vue, le rattachement du tourisme au ministère des affaires étrangères est significatif. Il sera intéressant que le Gouvernement nous dise, au cours de ce débat, quelles sont ses intentions en la matière.