Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion de vous présenter quelques résultats de recherche récemment acquis. Je suis directeur de recherches au CNRS, écologue de formation et de métier. Travaillant depuis près de vingt-cinq ans sur les relations entre l'agriculture et l'environnement, j'ai mis en place à cet effet une plateforme de recherche portant le nom de « zone atelier », dont je vous parlerai dans un premier temps afin de vous indiquer le contexte dans lequel s'effectuent les recherches de terrain et les contraintes qui y sont afférentes.
Dans un deuxième temps, je vous présenterai des résultats relatifs à l'écologie de l'abeille, à la problématique de la pollinisation ainsi qu'à celle des néonicotinoïdes.
Enfin, je terminerai mon intervention par quelques réflexions prospectives et personnelles autour de cette thématique.
Les zones ateliers, dont le réseau a été mis en place par le ministère de la recherche, constituent des plateformes d'observation de l'environnement autour de questions d'intérêt sociétal majeur. Les treize zones ateliers que l'on compte aujourd'hui en France forment un réseau géré par l'Institut Écologie et Environnement du CNRS. En plus d'assurer la direction scientifique de ce réseau, j'anime l'une des zones ateliers, à savoir la zone « Plaine & Val de Sèvre », qui se situe dans le sud du département des Deux-Sèvres, en région Poitou-Charentes. C'est un site d'une grande étendue – 450 kilomètres carrés, fortement instrumenté, puisque nous relevons l'occupation agricole des sols des 15 000 parcelles qui le constituent ; ce travail exhaustif nous permet de disposer d'une lecture très fine et très exacte de l'habitat des organismes vivant dans ces plaines céréalières. La zone correspond, pour moitié de sa superficie, à un site Natura 2000, ayant été désignée au titre de la directive Oiseaux en raison du fait qu'un certain nombre d'espèces très emblématiques, notamment l'outarde canepetière, y trouvent refuge.
Le propre des zones ateliers est de donner lieu à une recherche-intervention en association avec un certain nombre de partenaires. Nous travaillons notamment avec de nombreux exploitants agricoles, au sein de leurs parcelles, où nous menons des expérimentations en agro-écologie, mais aussi avec des acteurs économiques – nous avons ainsi monté plusieurs projets de recherche public-privé avec des coopératives autour de filières économiques agricoles ; enfin, nous travaillons beaucoup avec les citoyens, les syndicats et les ONG, afin d'assurer la dissémination scientifique de certaines notions complexes, dont celle des services écosystémiques. Notre zone atelier est une plateforme de recherche-intervention multidisciplinaire, qui associe des équipes de recherche oeuvrant dans des disciplines scientifiques très diverses.
Nous menons des recherches en agro-écologie en partenariat étroit avec une unité mixte de recherche (UMR) de Dijon, notamment avec Sabrina Gaba, qui y est chercheur, autour des problématiques liées au plan Ecophyto et aux services écosystémiques. Ce qui nous intéresse, c'est de montrer qu'il est possible de passer d'un seul service écosystémique – celui de la production agricole, par exemple – à plusieurs services écosystémiques, ce qui permet de passer d'un bénéficiaire principal – l'agriculteur – à plusieurs acteurs au niveau des territoires agricoles. Nous nous intéressons aux compromis qui existent entre les acteurs du territoire agricole, entre la production agricole et d'autres fonctions à l'échelle des territoires. À l'échelle des adventices – ce que l'on appelle communément « mauvaises herbes » –, nous nous intéressons aux fonctions de pollinisation, aux ressources trophiques que représentent les graines, ou encore aux espèces patrimoniales. Nous essayons en particulier de démontrer que la biodiversité peut compenser, dans le cadre du plan Ecophyto, la réduction de dépendance aux intrants chimiques.
La zone atelier abrite un autre dispositif en son sein, à savoir le dispositif d'observation Ecobee – un anglicisme faisant référence à l'écologie de l'abeille domestique –, mené en partenariat étroit avec une autre équipe de l'INRA, également située en région Poitou-Charentes. Ecobee part du principe selon lequel l'abeille domestique constitue un indicateur des paysages et des pratiques agricoles – étant précisé que l'abeille domestique va chercher des ressources alimentaires dans un rayon pouvant atteindre treize kilomètres. Ce dispositif s'intéresse également à l'apiculture – comme vous le savez, la production de miel en France a été divisée par trois en l'espace de vingt ans –, notamment en ses méthodes, puisque nos ruches sont mises en place et gérées conformément aux pratiques apicoles.
Une abeille domestique qui va chercher du pollen ou du nectar dans un rayon de sept kilomètres travaille sur un domaine vital qui représente plus de 15 000 hectares, ce qui vous donne une idée de l'échelle territoriale et paysagère à laquelle il faut travailler quand on s'intéresse à l'abeille domestique. Nous mettons à profit le fait de disposer d'un renseignement exhaustif sur l'ensemble des parcelles pour mieux comprendre les relations entre le paysage et l'écologie de l'abeille. Depuis 2008, nous avons mis en place, sur le territoire de la zone atelier, cinquante ruches que nous déplaçons chaque année afin d'inventorier l'ensemble de l'espace du site d'étude. Nous nous intéressons à l'écologie de l'abeille, mais aussi à l'apport d'outils destinés à évaluer l'effet des politiques publiques, notamment en faveur des pollinisateurs.
Nous acquérons ainsi un grand nombre de données sur les ruches expérimentales, concernant les abeilles, le couvain, les réserves de miel, le pollen et le nectar. L'INRA du Magneraud a développé des compétences tout à fait uniques en matière d'identification des pollens. Cela nous permet de collecter des données sur l'ensemble des paramètres et ainsi de décrire de façon très détaillée la dynamique de la ruche au cours de l'année, notamment la dynamique de la production de miel.
Sur la base de ce dispositif, nous avons mené un grand nombre d'études au cours des dix dernières années. Jusqu'à une période relativement récente, nous disposions de peu de connaissances sur le régime alimentaire des abeilles en conditions naturelles. Nous avons donc mené une étude à partir de l'identification des pollens – à la fois dans les pelotes et dans les nectars – et ainsi pu démontrer que, dans les milieux céréaliers intensifs, les abeilles ont accès à une profusion de pollen au moment de la floraison du colza et du tournesol, mais connaissent une période de disette alimentaire entre les deux floraisons, au cours de laquelle elles se nourrissent presque exclusivement sur les adventices – le coquelicot peut ainsi constituer jusqu'à 60 % de la ressource alimentaire des abeilles entre mai et juillet. Depuis 2008, nous inventorions à l'unité les coquelicots sur la zone atelier ; le fait que cette espèce soit encore relativement abondante explique sans doute en partie que l'abeille ne se porte pas si mal sur ce site.
Nous avons également travaillé sur les abeilles sauvages, dont nous avons répertorié près de 300 espèces sur la zone atelier, ce qui représente plus du quart de la faune française des abeilles sauvages : du point de vue de la biodiversité et de la conservation, le site est donc tout à fait exceptionnel. Nous nous sommes également beaucoup intéressés aux relations entre les abeilles, domestiques ou sauvages, et les adventices, dont les fleurs produisent le pollen et le nectar, indispensables à la survie et à la reproduction de ces espèces, mais aussi à la production de miel. Nous avons démontré qu'il existait des relations étroites entre la disponibilité des adventices dans le paysage et la reproduction des abeilles. Dans un article publié en 2015 dans la revue Nature Communications, une méta-analyse menée par un consortium associant plusieurs pays a montré que le service de pollinisation dans les cultures – toutes cultures confondues, y compris celles des arbres – était assuré par relativement peu d'espèces : l'abeille domestique et les bourdons assurent à eux seuls environ la moitié de ce service – ce qui signifie que les milliers d'autres espèces sauvages assurent l'autre moitié.
Au cours des trente ou quarante dernières années, le besoin de pollinisation des cultures a triplé dans le monde du fait de l'augmentation des surfaces en culture, alors que dans le même temps, l'abeille domestique, pollinisateur principal, n'a vu sa population augmenter que de 50 % à l'échelle mondiale. En Europe et aux États-Unis, le nombre d'abeilles est en nette diminution, et l'augmentation observée au niveau mondial provient essentiellement de la Chine, qui a augmenté son cheptel de manière tout à fait spectaculaire.
Dans ce contexte agricole concret, nous nous sommes attachés à quantifier l'apport économique de la pollinisation, en termes de production – qualitative et quantitative – des fruits et des graines. Pour cela, nous empêchons les abeilles de polliniser en plaçant des petits sachets en tulle sur les fleurs durant la période de floraison, et comparons ensuite la production des plantes couvertes d'un sachet avec celle des plantes qui n'en ont pas été munies. En parallèle, nous effectuons des piégeages afin d'évaluer l'abondance des pollinisateurs domestiques et sauvages sur les parcelles et avons ainsi pu démontrer, au terme d'une expérimentation de trois ans dont les résultats vont être prochainement publiés, qu'en l'absence totale de pollinisateurs, la productivité du colza diminue de 70 % en moyenne et celle du tournesol de 50 %. Certes, le scénario selon lequel le nombre de pollinisateurs tomberait à zéro n'est pas d'actualité, mais cette étude donne tout de même une idée de l'apport de la pollinisation en matière de rendement des cultures.
Le dispositif Ecobee est aussi un observatoire de l'abeille en milieu agricole intensif. Nous avons effectué le suivi sur sept années de la population des ruches, en couvain – les oeufs, larves et nymphes –, en adultes et en réserves de miel à l'issue de la saison apicole. Un graphique fait apparaître, à l'échelle de ces sept années, un déclin progressif des performances des colonies d'abeilles sur la zone atelier.
Pour ce qui est des relations entre les abeilles et les pesticides, un certain nombre d'échantillons ont été collectés depuis 2008 sur les abeilles, le pollen et le miel, afin de constituer une base de données dans le temps et l'espace, qui représentait fin 2015 près de 2 000 mesures. Cette étude met en évidence une contamination généralisée des matrices apicoles – recouvrant notamment les abeilles entières, le nectar, le miel, le pollen – en résidus de pesticides, à des teneurs variables. Les résidus d'imidaclopride – autrement dit, le blé Gaucho – relevés dans le nectar de colza atteignent des teneurs assez élevées, puisqu'on en trouve jusqu'à 2 ppb – part per billion, c'est-à-dire « partie par milliard ». Ces teneurs sont d'autant plus élevés que le précédent cultural est un blé, et que ce blé a été cultivé récemment. La contamination a été constatée sur l'ensemble du site, parfois à des teneurs extrêmement élevées, surtout en thiaclopride.
Nous avons réalisé un grand nombre d'expérimentations sur les pesticides, notamment les néonicotinoïdes. Une étude menée par Mickaël Henry en 2012 sur la base du dispositif Ecobee, publiée dans la revue Science, a démontré que les individus traités avec du thiaméthoxam affichaient un taux de retour à la colonie plus faible et un taux de mortalité plus élevé, ce qui a conduit à un moratoire de l'utilisation du thiaméthoxam durant un certain nombre d'années. Une autre étude, publiée pratiquement par la même équipe en 2014 dans la revue Nature Communications a montré que le taux de retour est d'autant plus faible que les températures sont basses et que le paysage offre peu de repères permettant aux abeilles de s'orienter.
À la suite de l'étude de 2012 et du moratoire sur l'utilisation du thiaméthoxam, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a demandé au Centre technique interprofessionnel des oléagineux métropolitains (CETIOM), devenu Terres Inovia en juin 2015, de conduire une étude à l'échelle réelle, c'est-à-dire dans la nature, sur l'effet de l'ingestion de thiaméthoxam par les abeilles sur le taux de retour et la dynamique des colonies. Le CETIOM a organisé un partenariat autour de lui, incluant le CNRS, l'INRA et l'Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation (ITSAP), et pris la décision de conduire une nouvelle étude sur le même site que celle menée en 2012, à savoir la zone atelier « Plaine & Val de Sèvre ». S'agissant d'une étude en conditions réelles, les choses n'ont pas été faites à moitié : nous avons implanté du colza Cruiser sur près de 300 hectares et observé dix-huit ruches, en implantant 6 847 puces RFID sur des abeilles réparties en quarante-six cohortes. Les ruches ont été installées à des distances variables du colza Cruiser, afin de disposer d'un gradient d'exposition des abeilles au thiaméthoxam.
Nous avons commencé par vérifier que les teneurs en thiaméthoxam relevées sur les abeilles augmentaient bien avec le gradient d'exposition – il existe effectivement une relation positive entre les deux –, et avons démontré que le taux de mortalité, correspondant au non-retour des abeilles à leur colonie, augmentait fortement en cas d'exposition : ce taux augmente de 10 % par quinze hectares supplémentaires de colza Cruiser dans un rayon d'un kilomètre. Par ailleurs, dans le temps, le taux de non-retour augmente également de 6 % par semaine : ainsi, en trois semaines – ce qui est à peu près la durée de vie d'une abeille adulte –, on passe de 6 % de mortalité basale à 22 % au total – ce qui est considérable.
Cette nouvelle étude confirme totalement les résultats des deux études de 2012. C'est la première fois qu'une étude est réalisée en plein champ, sans être basée sur la contamination expérimentale d'individus, mais sur une manipulation de la contamination à l'échelle du paysage. Elle fait le lien, que plusieurs travaux avaient en vain tenté d'établir, entre les études menées depuis des années en laboratoire et celles menées sur le terrain. Elle démontre également que la contamination chronique existe, et la quantifie même à l'échelle des individus et des colonies.
Enfin, l'étude a mis en évidence, alors que ce n'était absolument pas prévu, une contamination chronique par l'imidaclopride. Le laboratoire de l'ANSES de Sophia-Antipolis, à qui nous avions confié nos échantillons afin de quantifier la présence de thiaméthoxam, a eu la bonne idée de tester la présence de cinq néonicotinoïdes, ce qui a permis de découvrir des taux très élevés d'imidaclopride. Plus de 60 % des colzas contenaient de l'imidaclopride dans leur nectar, provenant d'un antécédent cultural datant parfois de plusieurs années. Les teneurs relevés sont bien plus que des traces : il a été relevé jusqu'à 1,6 ppb – alors que les teneurs en thiaméthoxam étaient de l'ordre de 1 ppb.
En 2015 ont été publiées plusieurs autres études aboutissant aux mêmes résultats, notamment une étude britannique. Cette révélation nous a conduits à nous pencher à nouveau sur des études françaises plus anciennes, montrant que l'on trouvait de l'imidaclopride dans de nombreuses parcelles, alors même qu'elles n'avaient pas été traitées par cette substance – 97 % en 2005 et 70 % en 2002.
Depuis 2014, de très nombreuses études sont venues confirmer l'effet des néonicotinoïdes sur les abeilles et, plus largement, sur les insectes : rien que pour l'année 2015, on compte une cinquantaine d'articles portant les rapports entre les néonicotinoïdes et les abeilles. À l'issue d'une étude de 2012 sur les bourdons, la Food & Environment Research Agency (FERA, agence britannique chargée de la protection de la santé et de la nourriture) a mené une autre étude qui a fait grand bruit, puisqu'elle n'aboutissait pas aux mêmes résultats. L'auteur de la première étude, Dave Goulson, a réanalysé en 2015 les résultats de la deuxième et montré que l'application d'une analyse statistique plus rigoureuse permettait de mettre en évidence des résultats similaires à ceux auxquels il avait lui-même initialement abouti, à savoir un effet très clair des néonicotinoïdes sur les bourdons. Ce même auteur a publié dans la revue Science une étude très exhaustive portant sur l'effet interactif des néonicotinoïdes, des parasites, des maladies et du manque de ressources alimentaires et mettant en évidence un effet synergique des néonicotinoïdes avec d'autres facteurs environnementaux. Enfin, deux autres articles relatifs à l'abeille domestique sont sortis, dont l'un a mis en évidence un effet aussi inattendu qu'inquiétant : les abeilles à qui l'on offre le choix entre de la nourriture traitée aux néonicotinoïdes et de l'eau sucrée préfèrent la nourriture traitée.
En 2015, ont également été mis en évidence les effets des néonicotinoïdes sur d'autres insectes. Une étude britannique a en effet montré que les papillons, qui sont d'autres pollinisateurs – plutôt des fleurs que des cultures agricoles – étaient gravement touchés : sur quinze espèces étudiées, douze étaient frappées par un déclin important de leur population, avec un net effet de corrélation entre les quantités de néonicotinoïdes mises en oeuvre et la réduction des populations. Deux articles parus dans Nature en 2015 ont montré, l'un un effet négatif des néonicotinoïdes sur les abeilles sauvages, l'autre un effet négatif de ces molécules à l'échelle des paysages, sur le service de pollinisation produit par les bourdons.
Enfin, une étude parue dans une revue du groupe Nature s'est intéressée aux doses létales pour les abeilles à long terme – il faut en effet savoir que, durant l'hiver, les abeilles domestiques adultes survivent environ 150 jours. Des concentrations infimes – 0,005 nanogramme par jour dans le miel dont se nourrissent les abeilles – suffisent pour multiplier par deux la mortalité en 150 jours. Ces doses équivalent à 0,25 ppb, ce qui est beaucoup plus faible que ce que l'on croyait être la dose nécessaire pour entraîner une mortalité.
Pour conclure, je dirai que, du point de vue de la recherche, l'utilisation des néonicotinoïdes a augmenté de manière très significative au cours des dix dernières années, ce qui remet en cause certains résultats, car la présence des néonicotinoïdes a augmenté dans l'environnement. Je précise que, si la plupart des études expérimentales comportent un protocole prévoyant d'injecter aux individus des doses un peu supérieures à ce que l'on trouve sur le terrain, c'est pour des raisons de puissance statistique, afin de pouvoir détecter l'existence d'effets. Si le signal des néonicotinoïdes est faible dans la nature, c'est parce qu'un grand nombre de facteurs se trouvent en interaction, du fait du mode de vie très complexe de l'abeille. Il ne faut cependant pas s'y tromper : la détection de ces signaux faibles dans la nature doit être considérée comme un résultat fort – car les échantillons sont de taille relativement modeste, et l'on a affaire à des phénomènes très complexes et interagissant entre eux.
Du fait de l'omniprésence spatiale des néonicotinoïdes dans le paysage – ce qui nous oblige à travailler sans pouvoir disposer d'une situation témoin, c'est-à-dire vierge de toute présence de néonicotinoïdes – , de leur rémanence temporelle sur plusieurs années et de leurs effets délayés dans le temps sur les organismes, on peut considérer, à mon sens, que l'effet des néonicotinoïdes sur les colonies d'abeilles est aujourd'hui clairement établi. De très nombreuses études sont d'ailleurs venues renforcer le consensus qui existait déjà lors d'une revue de la littérature réalisée par le professeur Godfray en 2014, démontrant qu'en conditions naturelles, il existe des néonicotinoïdes dans les nectars et dans les pollens, que l'on retrouve également sur les abeilles et dans les ruches, ce qui impacte à des degrés divers la dynamique des colonies.
D'un point de vue agricole et sociétal, toute la question est de savoir si l'on peut se passer des néonicotinoïdes, et par quoi on pourrait les remplacer en cas d'interdiction. Le plan Ecophyto a été mis en place en 2008, avec l'objectif de réduire la dépendance aux pesticides, notamment aux herbicides et insecticides. À mi-parcours, c'est-à-dire en 2014, le ministère de l'agriculture a produit un rapport intermédiaire, auquel le rapport du député Dominique Potier a largement fait référence. Le plan Ecophyto montre qu'entre 2008 et 2013, l'utilisation des insecticides a, au mieux, été stable : elle n'a pas diminué, et a même plutôt légèrement augmenté – il est important de noter que les traitements de semences ne sont pas inclus dans ces calculs. Par ailleurs, durant la période 2008-2013, on a assisté à une augmentation de l'utilisation des néonicotinoïdes. Cela montre qu'alors qu'ils étaient de plus en plus utilisés, on n'a pas observé de réduction de l'utilisation des insecticides. Si l'on interdisait les néonicotinoïdes, pour quelle raison les insecticides devraient-ils augmenter, puisqu'en phase d'augmentation de l'utilisation des néonicotinoïdes, ils n'ont pas diminué ?
Si une décision devait être prise – ce qui, à mon avis, finira par être le cas dans un certain nombre de pays –, il faudrait donc, à mon sens, tenir compte de l'impérative nécessité d'accompagner les acteurs, notamment les agriculteurs : une décision d'une telle importance ne pourrait être imposée du jour au lendemain au monde agricole. Il serait nécessaire d'assortir toute décision ou préconisation de la démonstration suivante : les rendements n'ont pas augmenté avec l'utilisation des néonicotinoïdes – ni dans le colza, ni dans le blé, ni dans le tournesol – et n'ont pas diminué non plus depuis leur interdiction partielle – en tout cas pour ce qui est du colza, en France et en Angleterre, au cours des dernières années.