La question des néonicotinoïdes, représentative de notre façon d'aborder la préservation de la biodiversité, nous tient particulièrement à coeur. C'est un sujet qui a le mérite de dépasser les clivages politiques, et nous sommes nombreux sur tous les bancs de notre assemblée à demander l'interdiction – à plus ou moins court terme, mais le plus rapidement possible – des néonicotinoïdes.
Je remercie M. Vincent Bretagnolle pour son étude qui rappelle une nouvelle fois la nocivité des néonicotinoïdes pour les abeilles. Cette étude confirme celle de l'INRA de 2012, qui avait révélé que les pesticides désorientent les abeilles et causent une mort indirecte liée au non-retour à la ruche. Néanmoins, l'étude se révèle ambiguë puisqu'elle indique que la colonie s'adapte à l'exposition aux néonicotinoïdes en produisant moins de mâles, selon un mécanisme de compensation. L'étude rappelle pourtant, comme vous l'avez dit, que ce mécanisme de survie ne signifie pas l'absence d'impact sur la colonie. Vous évoquez ainsi une perturbation de la synchronicité biologique de la ruche, notamment lorsque la production de mâles est décalée dans le temps.
Ce mécanisme de compensation a été mis en évidence dans une autre étude de 2014, que l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) m'a fait parvenir. Dans cette étude, les colonies ont été nourries avec du pollen contaminé aux néonicotinoïdes à des taux comparables à ceux existants en champ. Les scientifiques ont alors constaté, l'année suivante, un taux de remplacement des reines dans les colonies exposées de 60 %, contre un taux nul dans les ruches contrôles. L'impact est donc certain.
Autre fait marquant soulevé par votre étude : la contamination « inattendue et omniprésente » des champs à l'imidaclopride, que vous avez eu la surprise de constater et qui constitue bien la preuve d'une pollution diffuse et massive de notre environnement aux néonicotinoïdes.
Comme cela a été rappelé, notre assemblée a eu le courage d'interdire ces néonicotinoïdes, en adoptant un amendement en ce sens lors de l'examen du projet de loi relatif à la biodiversité – amendement malheureusement balayé par le Sénat. Il n'est plus question de tergiverser, et les écologistes feront partie de ceux qui prendront leurs responsabilités et demanderont à nouveau une interdiction de ces substances lors de l'examen en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Je me suis exprimée de nombreuses fois sur le scandale des néonicotinoïdes, en rappelant à chaque fois que les abeilles sont des sentinelles de la biodiversité, et que leur disparition est le signe d'une dégradation forte de notre environnement. Au-delà des abeilles, c'est toute la biodiversité qui est menacée par l'agriculture chimique, et c'est également la santé humaine.
Il ne devrait plus être possible d'autoriser la mise sur le marché de substances dès lors que leur nocivité est supposée. Actuellement, un produit reste autorisé tant que sa nocivité n'a pas été clairement prouvée, et même lorsqu'elle est prouvée, la commercialisation reste souvent possible, comme on le voit avec le Roundup. Il est plus que nécessaire d'inverser la logique, et de suspendre toute autorisation dès lors que des doutes sérieux existent. Nouvel exemple en date : la commission européenne vient d'autoriser Bayer à mettre sur le marché un nouvel insecticide, le flupyradifurone, dont on peut fortement douter de l'innocuité sur la faune.
Ce sont les procédures d'évaluation des substances chimiques utilisées dans l'agriculture qu'il convient de modifier. L'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) a pointé, dans un avis scientifique de 2012, les lacunes des procédures d'évaluation. Pour les pesticides néonicotinoïdes, et pour toute substance chimique en général, il est nécessaire d'évaluer les effets à des doses sublétales et de prendre en compte les effets létaux indirects. En effet, si le pesticide ne cause pas la mort directement, ses effets indirects peuvent être désastreux. L'étude de M. Bretagnolle nous rappelle ainsi la nécessité de mesurer les effets chroniques à faibles doses de ces substances ainsi que les effets cocktails, qui sont insuffisamment pris en compte dans les protocoles d'évaluation.
Les arguments contre l'interdiction des néonicotinoïdes sont souvent fallacieux et relèvent surtout de la défense d'intérêts particuliers, ceux des tenants de l'agriculture productiviste et de la chimie. (Murmures) On entend souvent dire que l'interdiction des néonicotinoïdes déstabiliserait notre agriculture. Rappelons juste que cette classe de pesticides n'existe que depuis les années 1990, et qu'on arrivait très bien, avant, à produire sans eux. Que l'on se rassure, l'interdiction des néonicotinoïdes n'entraînera pas de famine !
L'autre argument consiste à minimiser le rôle des néonicotinoïdes dans la disparition des abeilles : frelon asiatique, varroa, mauvaise gestion des ruches sont autant de causes évoquées. Si ces causes existent, il n'en reste pas moins que le problème principal reste celui des pesticides.
Dernier argument : l'interdiction ne pourrait pas être votée en dehors du cadre européen. Pourtant, les règles européennes sont claires sur ce sujet : lorsqu'il apparaît qu'une substance est susceptible de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale, ou pour l'environnement, un État membre peut engager une procédure visant à restreindre ou à interdire son utilisation et sa vente.
J'espère donc très vivement que dans les prochaines semaines, notre assemblée tout entière aura le courage et la responsabilité de voter l'interdiction des néonicotinoïdes.