Intervention de Vincent Bretagnolle

Réunion du 12 janvier 2016 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Vincent Bretagnolle :

Je vous remercie pour vos questions qui témoignent d'un grand intérêt de votre part pour la question que nous évoquons aujourd'hui.

On m'a demandé comment je vivais la controverse scientifique pouvant porter sur l'étude que nous avons réalisée. Pour ma part, je veille à maintenir une distinction très nette entre le scientifique que je suis et le débat sociétal – même si les scientifiques sont des citoyens comme les autres, qui ont vocation à participer aux débats. Mon rôle consiste à m'intéresser à des questions environnementales et à essayer de produire de l'évidence – si possible expérimentale, mais parfois aussi corrélative – afin de faire reculer la méconnaissance. L'essentiel de mon rôle s'arrête là.

Lorsqu'on anime une zone atelier, on est de plain-pied dans les questions sociétales, mais on s'efforce de les aborder de manière scientifique, afin de fournir aux citoyens, aux collectivités et aux parlementaires les faits dont ils ont besoin pour prendre position dans les débats sociétaux. L'idéal en science est de pouvoir procéder à des expérimentations : dans la mesure où l'on contrôle tous les paramètres, si l'on ne s'est pas trompé dans le design expérimental, on obtient forcément la réponse à la question que l'on s'est posée. Cela s'est beaucoup fait sur les abeilles – il existe en la matière bien plus d'études expérimentales que d'études sur le terrain, ces dernières étant plus difficiles à mettre en place. On compte actuellement six ou sept études sur le terrain, ayant donné des résultats similaires à ceux que nous avons obtenus.

Cela dit, l'écologue s'intéresse à des systèmes complexes, ce qui est particulièrement vrai en ce qui concerne l'abeille, dont le domaine vital est d'une dimension telle qu'elle ne permet pas que l'on contrôle tous les facteurs dans le cas d'une étude sur le terrain. C'est pourquoi nous avons également recours à l'approche corrélative, beaucoup plus faible en termes de pertinence – car une telle approche met en évidence des résultats corrélés, sans qu'il y ait forcément de causalité dans les faits –, mais non dénuée de valeur scientifique et ayant donc également vocation à entrer dans le débat scientifique.

Un article publié en 2014 par le professeur Godfray dans les Proceedings of the Royal Society B – l'équivalent de l'Académie des sciences en France – a fait l'état des lieux de la question des néonicotinoïdes en distinguant ce qui était alors avéré, certain, possible ou probable, et déjà montré l'existence d'un assez large consensus scientifique sur ce point, que les études parues ultérieurement – du moins, celles portées à ma connaissance – n'ont fait que confirmer.

L'étude de l'INRA à laquelle un certain nombre d'entre vous ont fait référence n'est autre que la nôtre : c'est en fait un consortium entre l'INRA et le CNRS qui a réalisé cette étude confirmant les premiers résultats de 2012 et mettant en évidence un mécanisme d'adaptation mis en place par les abeilles afin de répondre à la perturbation de leur environnement. Par ailleurs, l'observatoire de l'unité de La Rochelle correspond également au dispositif Ecobee dont je vous ai parlé.

Nous avons procédé à notre étude au terme d'un partenariat étroit entre l'INRA, le CNRS, mais aussi le CETIOM. Nous avons travaillé en très bonne intelligence, et c'est d'ailleurs le CETIOM, en la personne de Nicolas Cerrutti, qui a dirigé l'essentiel des manipulations sur le terrain durant deux années. Notre partenariat avec les agriculteurs a également été très fructueux : ils ont accepté très volontiers que nous réalisions nos expérimentations sur leurs parcelles, ce qui nous a permis d'implanter la totalité des cultures entrant dans l'étude dans le périmètre qui nous intéressait. Ces questions les intéressent au plus haut point, car ils sont les premiers concernés en termes de production agricole, mais aussi de santé publique. Dans la zone atelier « Plaine & Val de Sèvre » comme sur bien d'autres sites en France, le partenariat entre les agriculteurs et les apiculteurs se passe généralement bien. Nous nous efforçons actuellement de monter des projets collaboratifs associant les deux professions dans la zone atelier, ce qui aide chacun à prendre conscience du fait que les abeilles sont indispensables au rendement des cultures, y compris le colza et le tournesol.

En l'absence de pollinisateurs, les colzas ne pourraient pas totalement compenser. Des données en cours d'analyse montrent que la quantité, mais aussi la qualité de la production se trouvent affectées quand les pollinisateurs font défaut : les grains sont alors moins gros, et leurs teneurs en lipides ou en protéines moins élevées. Le mécanisme aboutissant à ces résultats est mal connu, mais probablement lié à la perte d'hétérozygotie. Quand un plant de colza s'autopollinise, il ne bénéficie pas du mélange de gènes qu'apporte habituellement la pollinisation, par l'apport de pollens pouvant provenir non seulement d'autres plants, mais aussi d'autres parcelles, et ce que l'on appelle la vigueur hybride s'en ressent.

Le moratoire imposant une interdiction du thiaméthoxam, entré en vigueur en 2013, ne s'est pas traduit par un effondrement de la production, étant précisé que nous ne disposons pour le moment que de deux ou trois années de recul. Si, en tant que scientifique, je ne suis pas en mesure d'analyser les rendements du colza, qui dépendent beaucoup des conditions météorologiques, je peux avancer l'hypothèse selon laquelle les néonicotinoïdes auraient un double effet : d'une part, ils augmenteraient la production de colza en éliminant les insectes, d'autre part, ils la diminueraient en faisant disparaître les pollinisateurs – ce qui, globalement, pourrait expliquer que le rendement n'ait pas été affecté par l'arrêt de leur utilisation. Nous avons affaire à des phénomènes et des relations qu'il faut envisager dans toute leur complexité si nous voulons espérer les comprendre un jour.

L'un des points importants de notre étude est qu'il n'a pas été observé d'effet statistique sur la production de miel. Il importe de souligner qu'en matière scientifique, ne pas détecter d'effet statistique ne signifie pas qu'il n'existe aucun effet : quand on procède à des analyses statistiques, on est dans un paradigme mathématique consistant à tester des hypothèses, que l'on rejette avec une certaine probabilité. Dans le cas de notre étude, ne pas avoir observé d'effet statistique sur la production de miel ne signifie pas qu'il n'y en a pas.

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