Intervention de Karel De Boeck

Réunion du 13 janvier 2016 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Karel De Boeck, administrateur délégué et président du comité de direction :

Il faut se rendre compte que Dexia est aujourd'hui à peu près ce qu'était Dexia Crédit local il y a quelques années. C'est cette partie de l'ancienne Dexia que nous ne pouvons pas vendre, parce qu'elle n'est pas viable ; c'est elle qui est à l'origine de 95 % des pertes du groupe Dexia – celles-ci ne viennent pas du Crédit communal belge, de la BIL, de DenizBank, des assureurs ou des courtiers, ou plus généralement des quelque 500 sociétés dont était composé le groupe Dexia. Le trou béant, le Grand Canyon, du groupe Dexia, vient bien du Crédit local.

La liquidation va durer très longtemps, cela a été dit, car les crédits étaient signés pour de très longues durées.

L'écroulement a été causé par une accumulation d'erreurs – bien sûr, on est toujours beaucoup plus intelligent après les faits, et il nous faut rester humbles. En résumé, l'objectif était de devenir le champion mondial des activités dans le domaine public ; mais, pour cette raison même, les risques n'ont pas été suffisamment diversifiés. Une banque commerciale comme la Société générale en France dispose de toutes sortes de clients ; mais lorsque vous financez seulement les communes, les régions, les départements… vous accumulez les mêmes types de risques.

Dans un pays comme la France, dans des pays de l'OCDE en général, c'est sans doute une stratégie qui peut se défendre. Le malheur, c'est que ces prêts ont été consentis avec une marge très faible, d'environ 45 points de base, mais pour de très longues durées – trente, quarante ans. Or le monde change vite ! De plus, ces prêts ne comportaient pas ce que nous appelons des covenants, c'est-à-dire des règles qui vous donnent des droits pour changer les taux, pour demander des garanties, pour rappeler le crédit… lorsque le débiteur commence à aller mal. Ces prêts, c'est donc du béton pur pendant trente ans ! Enfin, il est bizarre de signer ce genre de contrats sans funding, sans être financé mieux que par les marchés interbancaires : ceux-ci sont en effet d'une extrême frilosité, et la liquidité s'y réduit très vite au moindre problème.

Voilà les raisons de la chute de Dexia Crédit local.

Pour garder la tête hors de l'eau, nous devons procéder à des refinancements. Il nous faut trouver 250 milliards, toujours moins cher, par tous les moyens – nous ne perdons pas de vue l'intérêt des États. Nous utilisons notamment des opérations de pensions – REPO – et des obligations sécurisées – covered bonds. Évidemment, ces opérations ont un coût. Nous utilisons également les financements de l'Eurosystème, qui sont de même nature : nous déposons en garantie des titres, éligibles et non éligibles, et recevons en échange 70 % ou 80 % de leur valeur. Toutes les petites pertes causées par ces opérations, nous les compensons en réalisant des émissions sur les marchés internationaux, grâce à la garantie des trois États qui aident à sauver Dexia : nous disposons de quatre lignes de 85 milliards, que nous utilisons à hauteur de 60 milliards. Ce montant devra diminuer, afin que les États soient finalement débarrassés du risque présenté par Dexia.

C'est un processus très long, et nous devons rester très prudents. Pour utiliser les garanties des États, nous devons émettre des titres à court et à long terme, aux États-Unis, et dans le monde entier. Nous utilisons les placements de titre privés, notamment, et plus généralement toutes sortes d'instruments financiers, à destination essentiellement des banques centrales, des fonds de pensions, des institutions internationales…

Voilà comment nous bouclons le bilan de Dexia.

L'Eurosystème nous demande de le rembourser en premier ; les États doivent attendre, ce qui peut paraître quelque peu ingrat. Nous sortons progressivement du mécanisme européen : nous étions engagés il y a trois ans à hauteur de 53 milliards ; nous n'y sommes plus que pour 14 milliards. En 2021, nous devrions en avoir fini avec lui.

Nous devons également préserver nos fonds propres, en dépit de la sévérité toujours accrue de la réglementation, et assurer la continuité opérationnelle.

L'infrastructure du groupe Dexia avait été totalement négligée – je n'avais jamais vu cela de ma vie, moi qui en ai beaucoup vu. L'intendance n'a pourtant qu'une tendance : c'est de ne pas suivre. Nous sommes donc en train de reconstruire en totalité l'infrastructure opérationnelle du groupe. Chaque entité internationale disposait de son informatique propre, par exemple : il y avait donc six systèmes informatiques différents. À Paris, on a probablement fait quatre fois ce qu'il fallait, mais toujours de façon brouillonne… Nous remettons donc de l'ordre, pour diminuer les frais, et nous concentrons à Paris toutes les activités internationales, ainsi que les opérations informatiques. Nous envisageons aussi d'externaliser ces opérations vers des banques plus pérennes.

Cette résolution ordonnée est une aventure qui dure depuis plus de quatre ans – nous ne sommes, je le rappelle, que des pompiers. Le resserrement des marges de crédit des emprunteurs souverains – le spread entre l'Italie et l'Allemagne a ainsi été divisé par quatre – nous a été très favorable. En revanche, la diminution des taux d'intérêt est mauvaise pour nous : elle fait augmenter notre cash collateral, qui s'élève maintenant à 32 milliards. C'est beaucoup plus que ce que nous attendions : ces sommes, nous devons les lever sur les marchés pour les apporter en contrepartie aux contrats de swap. Dans cette opération, nous sommes perdants, car nous recevons très peu pour ces dépôts, et en tout cas toujours moins que les frais occasionnés par la levée des fonds. La fuite d'argent est continue…

Ces 32 milliards, nous les calculons chaque semaine, et au rythme de l'évolution technologique des marchés, ce sera d'ailleurs bientôt trois fois par jour… Nous les levons grâce aux garanties des États.

Si les États profitent de la baisse des taux, nous avons, nous, intérêt à ce qu'ils augmentent. Dexia est finalement un élément d'équilibre pour les finances publiques - même si les montants ne sont pas les mêmes ! Je souligne qu'une variation de taux de 0,1 % sur les prêts à dix ans amène un changement de 1,1 milliard dans le cash collateral que doit fournir Dexia. Lorsque les taux d'intérêt varient, même très peu, nous rencontrons donc immédiatement des problèmes de liquidités.

Nous avons à tout moment une réserve de 5 à 10 milliards en cash. Cette somme est déposée à la Federal Reserve, car paradoxalement la Banque centrale européenne (BCE) n'accepte pas nos dépôts. Nous suivons de près la gestion de ces réserves.

La pression prudentielle est de plus en plus forte, surtout en Europe, si l'on compare notre continent à l'Amérique et à l'Asie. Le Single Supervisory Mechanism – mécanisme de supervision unique, SSM – est une très bonne chose. Nous y figurons aux côtés de 119 autres banques internationales, mais cette présence est à nos yeux une erreur, dans la mesure où nous sommes en voie de résolution. Le Single Resolution Mechanism – mécanisme de résolution unique, SRM – vient d'être créé, et nous y serons plus à notre place. Nous avons en tout cas trouvé un modus vivendi avec les autorités prudentielles européennes, après de très longues discussions : la BCE a fini par accepter les solutions trouvées pour Dexia avec la Commission européenne en 2012.

Ce qui a été fait me paraît bon. Mais je redis que la pression réglementaire augmente.

J'en viens à l'évolution du bilan de Dexia. On s'attendrait à une décroissance continue mais, de façon surprenante, il augmente parfois. Nous respectons pour le moment la cadence prévue par le plan, avec la chute des actifs – cédés, vendus, remboursés par anticipation, etc. Nous sommes à peu près à une diminution de 150 milliards, auxquels il faut ajouter l'évaluation au prix du marché des dérivés inscrits à notre bilan, c'est-à-dire une trentaine de milliards : on arrive à 180 milliards environ. Ces montants sont ceux qui avaient été prévus il y a trois ans et demi. Notre bilan comprend ainsi la fair value – la juste valeur – des dérivés, ainsi que le cash collateral ; or ce dernier varie beaucoup, notamment en raison des variations importantes des taux de change. Pour ces raisons, notre bilan évolue également. Ce qui constitue son coeur – obligations et crédits – diminue d'environ 1 milliard par mois. Les dérivés sur ces mêmes lignes disparaissant peu à peu, on peut s'attendre à une lente diminution de notre sensibilité sur ce point.

Notre bilan en euros a également augmenté parce que nous détenons d'importantes réserves en dollars américains et en livres sterling.

Nos actifs sont bien notés, puisqu'à 88 %, ils sont considérés comme investment grade. Le risque est faible en moyenne, mais les risques sont concentrés. Les champions de DCL ont vraiment foncé… Ainsi, ils ont acheté des obligations émises par l'État d'Illinois, pour un milliard d'euros – alors qu'il n'existait aucune relation antérieure. Cette attitude téméraire d'accumulation d'actifs, à un rythme très soutenu de 60 à 80 milliards par an, conduisait la banque à sauter sur les débiteurs comme sur des proies. Lorsque des relations commerciales s'établissaient, c'était souvent avec des sommes d'emblée très conséquentes. Dans notre portefeuille, nous avons maintenant 110 contreparties environ sur lesquelles nous avons plus de 250 millions. Or les pertes normales d'une banque sont de l'ordre de 30 à 50 points de base sur la valeur nominale d'un portefeuille, et jusqu'à 100 points de base. Nous en sommes de 7 à 9 points de base seulement – notre risque est moindre, mais nous n'avons pas les marges de manoeuvre d'une banque. Ces 7 à 9 points de base correspondent à 100 millions par an. Vous imaginez donc que nous sommes très sensibles à ces fortes expositions ; or souvent, pour celles-ci, il n'y a pas de garantie, car ces débiteurs étaient considérés comme tout à fait fiables. C'est le cas de la ville de Detroit (Michigan). Or dans un pays « sauvage » comme les États-Unis, le système judiciaire constitue pour les étrangers un véritable risque. Vous pouvez imaginer que, lorsque l'on organise la faillite d'une ville comme Detroit, on pense aux pompiers, aux policiers, aux employés municipaux… bien avant de penser à rembourser les banques étrangères qui ont été suffisamment bêtes pour prêter des centaines de millions de dollars.

Notre portefeuille est donc de bonne qualité, avec une perte de 100 millions d'euros en moyenne par an, soit, je le répète, un cinquième de ce que l'on constate dans d'autres banques. Mais ce portefeuille est trop concentré, et une seule faillite peut remettre en cause une année d'efforts.

Notre gestion de la liquidité est très prudente. Nous n'avons recours à la garantie des États qu'à hauteur de 60 milliards d'euros environ, bien en dessous du plafond de 85 milliards. L'encours a, au cours des années 2014 et 2015, pu augmenter très provisoirement. Ainsi, nous avons remboursé 56 milliards de dettes à Belfius, qui s'est donc libéré du risque représenté par Dexia – qui avait naturellement demandé l'aide de ses filiales. La dernière tranche a été remboursée en janvier-février 2015, au moment même d'ailleurs où la BCE nous demandait le remboursement de 13 milliards d'euros. L'encours diminue ensuite progressivement, à la cadence à laquelle nous pouvons utiliser nos actifs pour nous refinancer. Cette évolution devrait continuer.

Nous devons maintenant achever de rembourser la BCE, qui vient avant les États – nous essayons néanmoins de rembourser un petit peu les États, qui prennent des risques, contrairement à la BCE qui est extrêmement bien couverte, puisque nous avons déposé 30 milliards en garantie à la BCE pour 14 milliards utilisés. Les pauvres États, eux, sont les prêteurs en dernier ressort de Dexia. Nous essayons donc de trouver des compromis entre le remboursement des uns et des autres, et j'espère que l'on ne nous mettra pas en prison pour cela !

Le recours à la garantie des États a donc vocation à diminuer, surtout lorsque la BCE aura été remboursée.

Nos coûts de financement diminuent. Au troisième trimestre 2015, le refinancement de nos 250 milliards nous a coûté 138 millions, contre 349 millions au premier trimestre 2013. La diminution du coût du financement, mais aussi de nos frais, est le seul moyen qui nous permettra de rectifier le P&L de Dexia et de Dexia Crédit local.

Je souligne à nouveau que les contraintes prudentielles s'accentuent fortement, notamment en matière de produits dérivés, et que la baisse des taux nous joue des tours, puisque le cash collateral augmente tandis que nos fonds propres ne rapportent plus rien.

Avec le passage de Bâle II à Bâle III, notre ratio CET1 – Common Equity Tier I – est passé de 21,2 % à 16,2 %, et les actifs pondérés des risques sont passés de 47,3 à 56,3 milliards. C'est une forte augmentation ; parallèlement, nos fonds propres ont diminué, leur mode de calcul ayant changé. Notre plan de résolution ordonnée a été dressé en 2012 ; depuis, nous avons donc perdu 3 milliards de fonds propres tandis que le poids des risques augmentait de 11 milliards.

À long terme, notre bilan devrait continuer à se réduire, à un rythme plus lent puisque nous n'avons plus d'actifs à vendre. Du côté du passif, nous devrions notamment sortir du mécanisme de l'Eurosystème, comme nous l'avons vu, et nous prévoyons d'importants remboursements de financements garantis par les États.

J'en viens aux projections de solvabilité. C'est là que se trouve le risque des États, représenté dans le temps par une courbe en U. La sévérité de Bâle III vis-à-vis de Bâle II a fait diminuer ce risque. Deux composantes sont en compétition : la diminution des fonds propres par perte et la diminution des risques quoted assets par échéance ou parce que l'on est remboursé par les clients.

Si nous ne parvenons pas à diminuer les pertes de fonds propres, les États devront augmenter le capital. Ce n'est pas certain, mais il faut être prudent sur le long terme. Quand la ligne commence à augmenter, c'est que les pertes provoquent moins d'effritement des fonds propres que la diminution des actifs, et donc que la solvabilité augmente. Nous sommes là tributaires des pressions des régulateurs dans le sens du resserrement des règles. Je n'ai pas de boule de cristal pour savoir ce que les régulateurs feront. Nous faisons au mieux pour que cette ligne remonte. Le point bas est en 2017, mais nous disposons d'un « joker », avec l'entrée en vigueur de la règle de valorisation des actifs ou dérivés de banque IFRS 9, qui peut nous aider à davantage figer le bilan de Dexia et à augmenter la solvabilité parce que nous n'aurons plus à diminuer des fonds propres les réserves AFS (available for sale). IFRS 9 peut ainsi nous donner une poussée dans le dos.

Nous pensons poursuivre le plan comme prévu, même si ce sera parfois contre vents et marées, avec beaucoup d'incompréhension de la part de toutes les parties qui nous entourent. Ce sont au total dix-huit parties qui nous contrôlent, nous conseillent, nous questionnent, ont peur pour nous à notre place… Nous sommes la banque la plus contrôlée en Europe, mais c'est justifié car nous sommes aussi la banque en résolution la plus grande d'Europe.

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