Intervention de François Houllier

Réunion du 16 janvier 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

François Houllier, président de l'Institut national de la recherche agronomique, INRA :

Comme vous le savez probablement, c'est à ma demande que je suis auditionné aujourd'hui par votre commission. Je remercie vivement le président Jean-Paul Chanteguet d'en avoir accepté le principe, tant il est important que l'Institut puisse tenter d'éclairer la réflexion initiée au sein de cette commission.

Pourquoi l'INRA a-t-il souhaité être auditionné ? En juillet 2012, j'ai rencontré les membres de la Commission des affaires économiques. En novembre dernier, l'INRA a reçu l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. À chacune de ces rencontres, j'ai clairement perçu le réel intérêt du Parlement pour la parole de l'INRA, sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui, mais aussi sur d'autres sujets comme le défi alimentaire mondial. Cet intérêt me semble légitime, puisque l'INRA est un institut de recherche finalisée et qu'il se doit, à ce titre, d'être attentif aux questionnements qui parcourent l'ensemble de la société, les entreprises, le monde agricole, les associations, les consommateurs, les citoyens et, naturellement, les élus.

Je ne reviendrai pas, au cours de mon exposé, sur l'étude menée par le professeur Gilles-Eric Séralini ; les agences d'évaluation des risques et le Haut Conseil des biotechnologies se sont exprimés sur ce dossier à l'automne. Je veux seulement souligner ici que je ne conteste aucunement le bien-fondé de la démarche menée par M. Séralini : il est parfaitement en droit de mener une étude sur les OGM, eu égard à l'importance que ce sujet revêt pour bon nombre de nos concitoyens.

Le premier point que je voudrais développer est celui de la réalité des recherches menées sur les OGM depuis maintenant près de dix ans, afin de rappeler leur étendue et la manière dont elles ont évolué et se sont structurées sous l'impulsion de la société.

Dès 2005 et après diverses actions incitatives du ministère chargé de la recherche, un premier programme de l'Agence nationale de la recherche (ANR) a été lancé, visant :

– à évaluer l'ensemble des impacts positifs et négatifs — immédiats ou différés, locaux ou diffus — des OGM sur l'environnement, sur la santé humaine et sur l'organisation des filières socio-économiques ;

– à comprendre et maîtriser les méthodes de transformation génétique, dans une perspective de prévention et de contrôle des impacts des OGM ;

– à évaluer les conditions de la coexistence de filières OGM avec d'autres filières ;

– à identifier et évaluer les modifications que des cultures optimisées d'OGM pourraient induire sur les itinéraires techniques et les systèmes de production agricoles ;

– à ouvrir le champ des recherches à des OGM dont la vocation serait essentiellement environnementale (adaptation aux changements globaux ou phyto-remédiation sur des sols pollués).

Dans ce cadre, une vingtaine de projets ont été financés, dont douze impliquaient l'INRA et six étaient coordonnés par lui. Ces projets, dont la séquence s'étend de 2005 à 2011, étaient essentiellement tournés vers l'étude des impacts de la mise en culture, de la commercialisation et de la consommation d'OGM. Le plus tristement célèbre de ces projets a été celui mené par l'INRA de Colmar : portant sur l'impact au champ de porte-greffes transgéniques développés pour résister à un virus de la vigne (le court-noué), cet essai, mené dans des conditions exemplaires d'expérimentation et de concertation avec les parties prenantes (collectivités, filières, associations), a finalement été détruit par des faucheurs volontaires en 2010 — alors même que les premiers résultats révélaient l'inefficacité, dans ce cas précis, du recours à la transgénèse et que nous n'avions pas assez de recul pour apprécier les effets éventuels sur la microflore du sol.

En toute hypothèse, l'avènement d'un contexte national et européen de vigilance accrue vis-à-vis des OGM a permis la production d'un volume significatif de recherches sur leurs effets et impacts.

Ce même contexte a inversement conduit à une érosion des compétences sur les technologies liées aux plantes génétiquement modifiées, auxquelles s'est partiellement substituée une spécialisation sur des technologies alternatives. Parmi celles-ci, je citerai notamment la sélection assistée par marqueurs puis la sélection génomique, deux technologies qui permettent d'accélérer les programmes classiques d'amélioration des plantes par le recours aux méthodes les plus récentes valorisant la biodiversité et qui reposent sur les avancées réalisées en matière de génomique, de phénotypage et de bioinformatique.

Dans ce contexte de spécialisation et d'érosion, l'INRA a maintenu et structuré des compétences en toxicologie alimentaire. L'Institut compte ainsi seize chercheurs travaillant dans ce domaine, qui ne travaillent pas uniquement sur les plantes génétiquement modifiées et participent à un nombre certes restreint, mais stratégique, de programmes de recherche. Sans entrer dans trop de détails scientifiques :

– le premier projet (GMO Risk Assessment and Communication of Evidence, GRACE) est un projet collaboratif, monté en 2011, cofinancé par la Commission européenne et ayant pour objectifs : d'élaborer et de mettre en place un cadre transparent pour l'évaluation des effets des OGM etou des aliments génétiquement modifiés sur l'environnement, la santé et la performance économique ; de reconsidérer les essais in vitro ou sur les animaux visant à évaluer la sécurité des aliments génétiquement modifiés, pour l'homme et pour l'animal.

Ce projet porte spécifiquement sur une variété de maïs résistante aux insectes (MON810), dont le type est différent de celui étudié par l'équipe du professeur Séralini, ainsi que sur une pomme de terre dont le métabolisme a été modifié ;

– le second projet (Monitoring of Animals for Feed-related Risks in the Long Term, MARLON) est une action concertée dont l'objectif est de développer un modèle épidémiologique de surveillance des effets de l'alimentation sur la santé du bétail nourri avec des OGM. L'INRA est l'un des onze organismes des huit pays européens impliqués — et le seul organisme français. L'initiative débute également cette année.

Ces projets intervenant dans le domaine de la toxicologie alimentaire s'inscrivent dans la continuité d'autres projets démarrés dans les années 2000, portant soit sur le métabolisme, soit sur des questions d'immunité et d'allerginicité.

Je ne détaillerai pas plus avant ces exemples de recherches menées par l'INRA, pas plus que je ne pousserai l'exercice jusqu'à vous en donner une vue exhaustive. Mais je me tiens à votre disposition pour compléter ces données, si la commission le souhaite ou si certains parlementaires souhaitent visiter certaines des unités impliquées et échanger avec les chercheurs.

Pour l'avenir, l'INRA souhaite que ces recherches se poursuivent. Nous estimons en effet qu'à l'heure actuelle, les conditions d'un débat scientifique serein ne sont pas réunies. Seule la poursuite des travaux autour des OGM doit permettre la tenue d'un tel débat. Ces travaux doivent à mon sens se poursuivre dans deux directions :

– à l'échelle nationale, la réflexion en écotoxicologie qui s'est engagée à la suite de la conférence environnementale doit inclure un volet OGM. Les alliances, parmi lesquelles ALLENVI que j'ai l'honneur de présider, sont prêtes à élaborer un vaste programme interdisciplinaire. Mais soyons clairs : pour être pertinent, ce programme devra comprendre des essais au champ, sans finalité marchande et destinés à appuyer une prise de décision par les pouvoirs publics ;

– cet effort pourrait utilement être relayé à l'échelon européen : la Commission pourrait lancer, dans des délais brefs, une expertise scientifique collective sur les impacts de la consommation des OGM actuels sur la santé des animaux et des consommateurs.

La recherche publique, notamment pour ce qui concerne l'agronomie, a toujours rempli – et entend continuer de remplir – ses missions scientifiques dans le domaine des OGM, même si elle n'aboutit pas aux mêmes conclusions que le professeur Gilles-Eric Séralini. Chacun sait en effet qu'un article unique ne suffit pas à établir une vérité scientifique, même s'il peut nous amener collectivement à redoubler d'efforts pour offrir une véritable robustesse scientifique à l'action publique.

Tous ces travaux de recherches nourrissent les différentes expertises menées dans le domaine des OGM et si je devais résumer en quelques mots le rapport entre recherche et expertise, je dirais que les deux sont complémentaires, tout en étant bien distinctes. En l'amont de l'expertise des agences, la recherche publique cherche à caractériser les mécanismes ou effets susceptibles de constituer un danger, pour permettre l'évolution des procédures et des évaluations menées par les agences mènent. A l'aval du processus, la recherche oeuvre à consolider les connaissances disponibles par des méta-analyses, des synthèses ou encore des expertises collectives. En appui de l'expertise elle-même, l'Institut répond aux sollicitations et favorise la participation de ses chercheurs et ingénieurs aux travaux des agences : à titre d'exemple, plus de vingt chercheurs de l'INRA ont ainsi contribué à l'expertise collective sur les biotechnologies auprès de l'AFSSA, puis de l'ANSES, depuis le début des années 2000.

Cette distinction entre recherche et expertise, au-delà de la réalité des recherches menées sur les OGM par l'INRA, pose naturellement la question du rôle de l'expert scientifique. La question mérite d'être débattue : se résume-t-elle forcément à l'absence totale de liens avec des intérêts privés, comme cela a souvent été demandé au cours des derniers mois ? Je n'en suis pas certain, car cette vision équivaudrait à ne sélectionner comme experts que des « ermites coupés du monde économique et social », comme l'écrivait récemment Olivier Godard (CNRS). J'adhère à sa vision, selon laquelle ce n'est pas tant l'indépendance des experts pris individuellement qu'il faut viser, mais l'indépendance de l'expertise collective qui résulte de leur travail commun. Cela nécessite : un lieu institutionnel coupé des influences politiques, idéologiques, financières et industrielles pour statuer ; une rigueur absolue dans la discussion critique de la littérature scientifique et des données soumises au collectif des experts, afin de dégager une vision objective ; enfin, des moyens sans doute plus importants que ceux aujourd'hui disponibles.

Quelques mots sur le cadre dans lequel nos recherches sur les biotechnologies végétales – et donc les plantes génétiquement modifiées – s'inscrivent. Ce cadre a été défini par le conseil d'administration de l'INRA en juin 2007, dont l'avis peut être résumé par le rappel des quatre grands principes que sont la compétence, la pertinence, la parcimonie et la transparence :

En ce qui concerne la compétence, afin de fournir aux scientifiques, qui les utilisent dans leurs recherches quotidiennes, les meilleurs outils et afin de garantir la possibilité d'une expertise disciplinaire nationale sur des technologies très répandues dans le monde et qui continuent d'évoluer rapidement, il est nécessaire de maintenir un investissement scientifique conséquent sur l'ensemble des biotechnologies végétales, dont celles liées à la transgénèse. À ce titre, l'enjeu d'essais au champ pourrait être utilement reposé : ces essais, très ponctuels et « sécurisés », pourraient être autorisés pour étudier certains impacts environnementaux et agronomiques des OGM en conditions culturales. Ils sont la seule garantie d'une robustesse scientifique réelle ;

Pertinence : en termes d'applications potentielles, les objectifs des recherches publiques doivent être guidés par le seul intérêt public. Ces recherches doivent porter sur des espèces et des cibles sur lesquelles il est légitime que cette recherche s'implique – par exemple, réduction de l'usage des engrais, des insecticides et des herbicides et de leurs impacts environnementaux, espèces peu couvertes par la recherche privée telles que les légumineuses, etc. Elles doivent aussi considérer la diversité du spectre des technologies alternatives disponibles. Elles doivent enfin contribuer à faire avancer les connaissances et les méthodes nécessaires à l'expertise et à l'évaluation des risques — activités qui ne relèvent pas de la recherche, mais qui sont prises en charge par des agences dédiées ;

Sur le plan de la parcimonie, s'agissant des plantes génétiquement modifiées, les essais au champ ne sont envisagés que s'ils sont nécessaires à l'avancement de la connaissance (par exemple l'essai de Colmar, financé sur fonds publics et qui visait à étudier les interactions entre des porte-greffes de vigne et la microflore du sol) ;

En ce qui concerne la transparence, il est nécessaire d'instaurer un dialogue avec toutes les parties concernées (élus, ONG, associations, etc.) et d'expliciter les objectifs et modalités des recherches —comme cela a été le cas pour l'essai mené à Colmar jusqu'en août 2010, accompagné par plus de deux cents conférences publiques.

J'espère que ces quelques développements ont pu vous éclairer sur la valeur que l'INRA accorde aux OGM : celle d'une technologie parmi d'autres, sur laquelle nous devons rester compétents pour anticiper les questions liées à l'utilisation croissante des plantes génétiquement modifiées dans le monde.

Ces plantes, qui commencent à arriver sur le marché, empilent plusieurs transgènes. Le questionnement sur leur impact est donc d'une autre nature que celui portant sur les plantes génétiquement modifiées de première génération, telles que le maïs NK603 dont il a été question à l'automne dernier. Les nouvelles questions posées ne sont qu'imparfaitement prises en compte dans l'évaluation du risque telle qu'elle est menée aujourd'hui, faute de connaissances scientifiques produites en amont des expertises qui ne manqueront pas d'être conduites. Il me paraît donc opportun de privilégier des recherches nouvelles sur ces plantes de deuxième génération — si cela est possible, compte tenu des difficultés méthodologiques liées à la non-autorisation de ces semences en France.

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