Intervention de Axelle Lemaire

Séance en hémicycle du 19 janvier 2016 à 15h00
République numérique — Présentation

Axelle Lemaire, secrétaire d’état chargée du numérique :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames et messieurs les députés, et chers citoyens internautes qui nous regardez nombreux sur le site de l’Assemblée nationale cet après-midi et qui avez été des dizaines de milliers à participer à l’élaboration de ce projet de loi, c’est un honneur pour le Gouvernement de présenter aujourd’hui à l’Assemblée nationale ce texte qui vise à construire une République numérique.

J’ai souhaité que la vision du numérique qui anime le Gouvernement non seulement dessine la France de demain mais forme aussi une pierre fondamentale de l’édifice du renouvellement de notre démocratie, en empruntant à la culture numérique elle-même sa transparence et ses modes de confection. « La démocratie est d’abord un état d’esprit », disait Pierre Mendès France. Eh bien, la République numérique aussi. Si j’emprunte cette citation à son ouvrage La République moderne, c’est qu’il s’agit bien ici de dessiner ensemble, article après article, amendement après amendement, le visage de la France et de la République de demain.

Le numérique, qu’on évoque tant, bouleverse nos valeurs, notre modèle social et nos manières de produire, de travailler et de consommer. Il doit être l’occasion à la fois de moderniser notre pays en actualisant le logiciel républicain et de réaffirmer dans ce monde incertain nos valeurs qui ne sont pas partagées partout.

Par une large consultation, le texte a été mis à la disposition de nos concitoyens, amendé et discuté avant même son passage au Conseil d’État et en conseil des ministres. Ce pari, au départ un peu fou et qui a quelque peu bousculé les institutions, a été gagné. En ressort un texte enrichi, plus précis, « augmenté » dirait-on dans le monde du numérique, grâce à l’aide des 21 000 participants, qui ont déposé 8 500 contributions, et à l’intégration de cinq nouveaux articles et de soixante-dix modifications substantielles nés du débat et de l’intelligence collective. Je tiens ici devant les représentants du peuple souverain à remercier et saluer chacun des citoyens qui ont pris de leur temps pour participer à cette nouvelle façon d’écrire la loi. Ce texte, c’est aussi le leur. C’est porteur de toutes ces voix que le projet de loi est arrivé devant vous en commission.

Je salue la qualité des débats que nous avons eus et l’intérêt marqué sur tous les bancs, qui ont permis d’améliorer encore le projet de loi. De nouvelles thématiques ont été introduites la semaine dernière, qu’il s’agisse des sanctions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL –, des lanceurs d’alerte ou de la revanche pornographique en ligne, autant de sujets dont nous serons amenés à débattre dans les prochains jours. Je le dis d’emblée : le rapporteur et les rapporteurs pour avis ont effectué un travail remarquable, et je les en remercie.

Cette loi, le Gouvernement l’a voulue car beaucoup de choses ont changé depuis la dernière loi consacrée au sujet, la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Dix ans se sont écoulés : quasiment un siècle à l’échelle du monde du numérique, en perpétuel mouvement. Or on ne peut pas penser la France de demain avec des lois d’hier, sans inventer un nouveau cadre qui donne sa chance à chacun.

Trois objectifs ont guidé les choix du Gouvernement.

D’abord, la liberté. Nous voulons permettre à l’économie numérique de se développer dans notre pays. Il faut que nos jeunes pousses, nos start-up puissent grandir en France et en Europe. Il faut que la circulation des données et du savoir permette aux nouveaux entrants, aux nouveaux modèles de pensée et d’économie, d’émerger dans un cadre à la fois protecteur et innovant.

Ensuite, l’égalité, sur le marché concurrentiel, entre les géants et les petites entreprises, et l’égalité entre nos concitoyens, à qui nous conférons de nouveaux droits et dont nous protégeons mieux les données personnelles.

Enfin, la fraternité. Le numérique ne peut pas être une machine à produire de l’exclusion supplémentaire. Je veux que la République numérique soit celle de la solidarité, de l’inclusion, de l’accessibilité. Nous avons la chance de vivre dans la cinquième économie du monde et de ne compter parmi nous qu’une très petite part des 4 milliards d’individus qui n’ont pas accès à internet sur notre planète. Et pourtant, chez nous aussi, le risque d’un internet à deux vitesses est réel. Face à cela, seule l’intervention du politique peut éviter que l’écart ne se creuse.

Le postulat qui a guidé ces choix est simple : il n’y a de place ni pour le fatalisme, ni pour la naïveté qui pourrait résulter d’une approche uniquement technophile, qui a d’ailleurs longtemps prévalu, ni pour une espèce de nostalgie intellectuelle de l’époque des pré-barbares. Non, l’heure est désormais au réalisme, au pragmatisme de l’action, à la réaffirmation de nos valeurs dans un monde en mutation totale afin de rappeler que la France et l’Europe veulent promouvoir un internet ouvert, multilatéral, libre, représentatif, qui ne soit pas abandonné aux seules forces du marché ou aux velléités de fermeture des régimes autoritaires.

J’entends ça et là que le texte irait trop loin, ou à l’inverse qu’il manquerait d’ambition. Allez comprendre ! Ce qui est certain, c’est que jamais un gouvernement français n’a appréhendé le numérique de manière aussi globale, avec une approche aussi transversale, tout à la fois politique, économique, sociale et sociétale.

Bien sûr, tout ne relève pas de la loi. Nous continuons à travailler sur les enjeux d’emploi et de formation professionnelle. Je pense aux annonces faites hier par le Président de la République concernant la formation des chômeurs : l’apprentissage du numérique doit être au coeur de la formation tout au long de la vie. Les débats sur l’opposition entre l’économie collaborative et l’économie des services à la demande, sur le financement de l’innovation et sur la fiscalité doivent aboutir rapidement.

Ce texte est donc une pierre qui participe à la construction d’un édifice plus global. Mais la vision est toujours la même : la quatrième révolution industrielle, que nous traversons à une vitesse inégalée précédemment, doit être l’occasion de poser un diagnostic des effets du numérique, qui est potentiellement menaçant pour l’emploi, mais aussi et peut-être surtout une solution. Dans ce cadre, la préservation des situations établies, qui s’apparentent parfois à des rentes, n’est pas la solution. Mieux vaut faire face à la réalité en investissant dans la formation, dans l’appareil productif, dans la recherche de nouveaux modèles économiques.

Le texte que vous avez devant vous répond aussi, en droit, à ces objectifs.

Tout d’abord, il encadre la circulation du savoir et des données. On dit que le droit est en retard sur les usages. Eh bien non ! Ici, nous inventons pour construire le socle de l’économie de demain, celle de la « data ». Nous créons de nouvelles notions : l’open data par défaut, les données d’intérêt général, la mission de service public de la donnée, autant de dispositions qui doivent donner à la France une longueur d’avance dans ce qu’on appelle l’économie de la connaissance. Nous considérons que la mise à disposition d’un certain nombre de données relève du bien commun. C’est une petite révolution en soi, une ambition politique tout autant qu’un impératif économique, qui se traduit par exemple par la mise à disposition gratuite des données de la base SIRENE de l’INSEE, par l’ouverture des algorithmes administratifs en cas de décision individuelle ou par l’ouverture des codes sources des administrations.

Cette économie du savoir repose aussi sur la capacité qu’auront désormais les chercheurs à sortir des contrats d’exclusivité qui les lient à des éditeurs commerciaux, afin que le numérique soit plus encore un formidable outil de diffusion du savoir au service du plus grand nombre, à commencer par les chercheurs eux-mêmes.

Construire la République numérique, c’est aussi redonner du pouvoir aux citoyens en leur octroyant de nouveaux droits. Pour ce faire, il faut créer un espace de confiance. La loi de 2004 avait bien compris cet impératif. La nécessité de rassurer les citoyens est sans doute encore plus essentielle aujourd’hui, face à la multiplication des cyberattaques et des phénomènes de fuite de données personnelles ou de fraude aux moyens de paiement sur internet, dont la récurrence peut faire douter de l’utilité du numérique.

En réponse, nous avons élaboré une loi du quotidien, qui confère de nouveaux droits aux utilisateurs, lesquels se sentent trop souvent impuissants, dépossédés de la maîtrise de leur vie en ligne, enfermés dans un contrat, dans un réseau, sans possibilité d’agir. Nous avons introduit un nouveau principe : celui de la loyauté des plateformes. Désormais, les grandes sociétés devront mentionner clairement l’existence d’éventuels liens commerciaux ou financiers avec les contenus qu’elles mentionnent ou référencent. Par ailleurs, les sites internet recueillant les avis des utilisateurs seront tenus de préciser quels processus de vérification et de contrôle ils emploient pour garantir l’authenticité de ces avis. Enfin, les contenus des messageries électroniques et les données hébergées « en nuage » seront rendus portables afin que chacun puisse les récupérer à tout moment. Nous rendrons possible, sur simple demande, le droit à l’oubli pour les mineurs. Nous permettrons à chacun de disposer librement de ses données et de déterminer la manière dont elles devront être traitées et communiquées après son décès physique.

Ce texte prend résolument parti en faveur de la neutralité de l’internet, après un travail ardu, mené à Bruxelles et dans toute l’Europe, pour convaincre nos partenaires européens d’avancer ensemble sur ce sujet. Il donne aux régulateurs des télécoms les moyens de faire respecter cet important principe de neutralité du Net. Notre méthode a été d’avancer dans l’articulation la plus fine possible avec le travail européen. Encore une fois, nous avons refusé la passivité et l’inaction : nous avons voulu agir là où cela est possible, en bonne coordination avec nos homologues et avec les institutions communautaires. C’est ce que j’aime qualifier de « stratégie du dialogue constructif permanent ».

Enfin, construire la République numérique, c’est assurer l’égalité et la promesse d’un numérique partout et pour tous. S’il est bon de créer de nouveaux droits, ceux-ci doivent être effectifs pour l’ensemble de nos concitoyens et de nos territoires.

La force de notre pays réside dans ses territoires, surtout quand ils sont connectés. Aussi ce texte a-t-il pour ambition d’aider les collectivités locales à retrouver des marges de négociation : elles pourront ainsi invoquer les données d’intérêt général dans leurs relations avec les titulaires de délégations de service public, par exemple. C’est aussi le but des schémas d’aménagement des usages, de l’élargissement du champ d’application du Fonds de compensation pour la TVA aux investissements dans la téléphonie mobile, de l’accélération du plan France Très Haut Débit dans les territoires, ou encore du renforcement du service universel du téléphone fixe. Car, oui, certains de nos concitoyens préfèrent ou sont obligés de recourir uniquement au téléphone fixe. Il y a donc là un enjeu d’égalité entre les citoyens et les territoires qu’il était absolument essentiel d’intégrer à ce projet de loi, avant de parvenir peut-être à renégocier à Bruxelles une définition du service universel qui inclue internet.

L’égalité entre les citoyens passe aussi par trois autres sujets. Tout d’abord, la connexion à internet des foyers les plus fragilisés doit être maintenue en cas d’impayés. Ensuite, la médiation numérique est essentielle pour accompagner nos concitoyens dans l’appropriation des outils numériques : à l’heure où les services publics se dématérialisent, où il n’est plus possible de trouver un emploi sans le chercher en ligne, où l’on demande aux administrés de payer leurs impôts sur internet, où toutes ces démarches doivent être accomplies en ligne, les Français doivent être accompagnés dans les territoires. Enfin, il faut améliorer l’accessibilité, en particulier pour les personnes en situation de handicap : le Gouvernement refuse qu’il y ait deux internets.

Vous le voyez : la République numérique doit faire de la France le pays du numérique partout, par tous et pour tous. Mais finalement, le numérique n’est qu’un outil : nous voulons qu’il soit au service d’une mission politique.

Avec ce texte, le Gouvernement a expérimenté une nouvelle manière de faire la loi. Le numérique est potentiellement un formidable outil de reconnexion, de réconciliation entre les citoyens et la politique. La force citoyenne doit réinvestir le champ politique !

Le numérique est aussi une chance de réconciliation entre les générations, entre les lieux, les territoires, entre les politiques industrielles du passé et de l’avenir, entre des enjeux économiques qui rejoignent, pour une fois, les défis sociaux et sociétaux.

Avec votre soutien, mesdames et messieurs les députés, la République numérique sera la France de demain.

Il me reste à me souhaiter que les députés médecins, qui sont paraît-il nombreux, aient organisé, comme les groupes politiques, des permanences pour les jours à venir…

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