Le projet dont nous débattons est important pour au moins trois raisons. Il vise à améliorer les conditions d’accès à l’internet. À bien des égards il se veut précurseur de dispositions visant à concilier le respect des droits et l’efficacité. Il intervient peu avant que l’Union européenne n’aboutisse à une réglementation commune aux États membres. La plupart des sujets traités ont un lien avec le droit européen et c’est pour cette raison que la commission des affaires européennes s’est saisie pour avis.
Dans un souci d’efficacité et de sécurité juridique, la bonne articulation entre les dispositions du projet de loi et celles en vigueur ou à venir au niveau européen est donc cruciale. Un certain nombre d’amendements ont été refusés par la commission en raison même de cet ordre juridique que nous sommes en train de créer avec les autres États. Je comprends la déception de se voir opposer une norme définie hors du champ national, mais c’est le prix à payer si l’on veut faire le poids face aux très grandes entreprises du net, certes innovantes et qui changent nos façons de vivre, mais qui ne sont déterminées que par leur logique propre et leur volonté de nous l’imposer.
Je suis personnellement convaincue que l’Europe constitue aujourd’hui l’échelon optimal pour encourager et encadrer ces nouveaux modes de production, de consommation et de création. Par définition, le numérique n’a pas de frontières, et face à la puissance de Google ou de Facebook, seule l’Union européenne atteint la taille critique nécessaire pour devenir le médiateur d’un internet ouvert et respectueux des droits de l’individu. La nouvelle Commission européenne l’a compris puisqu’elle a fait du numérique l’une de ses priorités et a présenté, le 6 mai dernier, une nouvelle stratégie numérique.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement doit contribuer à renforcer cet élan européen. Le législateur peut aujourd’hui se montrer précurseur, en jetant les bases de la future réglementation européenne, comme la loi informatique et libertés de 1978 a inspiré les grands principes de la directive de 1995 sur les données personnelles.
Je souhaite attirer votre attention sur trois principes particulièrement concernés par l’actualité européenne : la neutralité de l’internet, la loyauté des plateformes et la protection des données personnelles.
La notion de neutralité de l’internet a fait l’objet d’intenses débats au niveau européen. Finalement, le règlement Télécoms, adopté en octobre 2015, ne consacre pas explicitement ce principe mais la notion très proche de « garantie d’accès à un internet ouvert ». Il établit des principes fondamentaux pour la mise en oeuvre de la neutralité du net. La définition retenue par le présent projet de loi permet de consacrer explicitement ce principe de la neutralité de l’internet, tout en lui assurant une adéquation complète avec les choix européens.
En vue de nos futurs débats, je veux appeler votre attention sur deux éléments. D’abord, s’agissant d’un règlement et non d’une directive, il n’a pas besoin d’être transposé. Si l’affirmation de la neutralité du net est un symbole fort politiquement, la garantie d’accès à un internet ouvert est d’ores déjà consacrée dans notre droit. Ensuite, il n’est pas possible d’aller au-delà de ce règlement en matière de neutralité, à une exception près, et importante : la bonne information des consommateurs.
Le projet de loi fait un autre grand pas en avant en consacrant le principe de la loyauté des plateformes, sujet dont la nouvelle Commission européenne s’est également saisie et sur lequel elle a ouvert une consultation en septembre dernier – mais beaucoup de temps peut encore s’écouler avant que cette consultation soit suivie d’une proposition législative. Adopter de telles mesures aujourd’hui permettrait à la France d’être précurseur, voire novatrice lors des discussions sur la régulation des plateformes au niveau européen.
J’appelle toutefois votre attention sur le risque juridique que recèle ce principe de loyauté des plateformes qui ne s’applique qu’aux établissements situés sur le territoire national, et non aux géants du web dont nous souhaitons réguler l’activité.